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Billet de blog 9 janvier 2025

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LIRE LES VŒUX DU MONARQUE

C’était le 31 décembre. Comme tous les ans, le président se livrait au rituel des vœux présentés au pays. Relisons ces vœux avec un peu de recul. Ils semblent plus vides encore que les autres discours de notre monarque.

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Les formules toutes faites

Cela commence à la première phrase : « Nous avons prouvé qu’impossible n’était pas français ». Ce genre de lieu commun, voire de proverbe, destiné à affirmer la supériorité de notre pays sur les autres, est en réalité une formule creuse qui ne veut rien dire, mais qui montre que le président n’a plus rien à dire et que, pour cette raison, il a recours à ces formules pour tenter de remplir un peu le creux de sa pensée et de son absence de projets. C’est un peu comme ce qu’il dit un peu plus loin, à propos des Jeux olympiques et paralympiques, qui, selon lui, « sont entrés dans nos cœurs » et « ont fait vibrer un pays uni, de Saint-Denis à Tahiti ». On se demande le lien qu’E. Macron peut établir entre les Jeux olympiques, la Résistance, ici célébrée quatre-vingt ans après, et l’épreuve, bien réelle, elle, subie par Mayotte, sinon que le président se sert de tous ces exemples, qu’il mélange allègrement, pour donner l’impression qu’il connaît le pays. On peut aussi lire d’autres formules toutes faites et creuses quand le président nous dit que « nous devons lucidement voir que le monde avance plus vite et bouscule nombre de nos certitudes », pour ajouter « ce que nous tenions pour acquis ne l’est plus ». Lui, peut-être, tenait des choses pour acquises (cela fait partie de la bulle imaginaire dans laquelle il se complaît), mais sûrement pas celles et ceux qui vivent dans la crise au quotidien. À ces formules, nous pouvons ajouter les propos consacrés aux Jeux olympiques qui ont montré, selon le président, « une France pleine d’audace, de panache, follement libre. Une France qui rayonne avec ses exploits sportifs, ses émotions, sa générosité une ville de Paris magnifiée ». Ces mots n’ont rien à voir avec les Jeux olympiques, surtout quand ils évoquent la « générosité », qui n’a que peu à voir avec la compétition, et la « ville de Paris » que les Jeux n’ont guère « magnifiée », sinon par la foule des voyageurs et des spectateurs - voire leur cohue.

Un début (ou un semblant) d’autocritique

Peut-être est-ce la première fois que l’autosuffisance du monarque a rencontré une limite, quand le président à reconnu que, dit-il, « la dissolution a apporté, pour le moment, davantage de divisions à l’Assemblée que de solutions pour les Français ». Il y a tout de même deux limites à cette critique, ne nous affolons pas trop vite, quand même : d’abord, E. Macron prend soin de préciser « pour le moment », ce qui lui permet de laisser une porte ouverte à la possibilité d’une reconnaissance ultérieure de son génie, même s’il demeure incompris pour le moment ; ensuite, il explique plus loin que la dissolution était destinée à nous « redonner la parole, pour retrouver de la clarté et éviter l’immobilisme qui menaçait ». C’est sur ce point encore que l’on se demande si le président n’est pas dans une bulle sans contact avec la réalité du monde, car le peuple ne s’est pas vu « redonner la parole », puisque le gouvernement suivant la dissolution a été formé selon les seules volontés du président, sans que la dissolution ait été l’occasion d’une expression populaire réelle ni d’un débat politique authentique. En plus, pour en pas trop tomber dans l’autocritique (n’exagérons pas tout de même), le monarque n’oublie pas de précéder ces propos d’une critique de la politique allemande, au sujet de l’instabilité politique qui « n’est pas propre à la France », mais que « nous voyons aussi chez nos amis allemands qui viennent de dissoudre leur Assemblée ».

La légitimation par l’urgence

C’est toujours l’urgence qui est utilisée par les gouvernements sans légitimité pour se voir reconnaître leur pouvoir. Pour cette raison, E. Macron en appelle à l’urgence de l’élaboration d’un budget. « Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre », dit-il au sujet de la nécessité « d’adopter un budget ». Le budget semble ainsi figurer dans les vœux présidentiels, alors que nous sommes déjà hors des clous, puisqu’en principe, le budget doit avoir été conçu et adopté le 31 décembre, au plus tard, à la fin de l’année. Nous en sommes donc loin, mais peut-être, par ces simples petits mots, le président prépare-t-il tout doucement, sans en donner l’air, le recours par le gouvernement au désormais fameux article 49-3 de la Constitution pour pouvoir faire adopter le budget sans débat parlementaire véritable. La surconsommation de l’article 49-3 sous le règne présidentiel d’E. Macron signifie bien que, faute d’une légitimité populaire réelle dont il se sait dépourvu, l’exécutif évite soigneusement le débat public pour faire adopter les mesures nécessaires à l’exécution de son programme - à défaut de son projet, car, ne nous leurrons pas : un programme n’est pas un projet, car il n’a pas véritablement de signification. C’est aussi l’urgence que le président utilise, dans ces voix, au sujet de ce qu’il appelle « le bon fonctionnement de nos démocraties », comme si la démocratie était une machine qu’il fait faire marcher, et non un projet politique à adopter. En effet, il invoque, pêle-mêle, la Syrie, la Moldavie, la Géorgie, la Roumanie, le terrorisme pour justifier le recours à l’absence de débat.

La figure du réveil

Cela fait aussi partie de la rhétorique des vœux macroniens. Il est question, dans son propos, de « se ressaisir », de « réveil européen ». Il s'agit aussi, selon le président, de « voir loin », de « se détacher des polémiques du quotidien ». En d’autres mots, cette figure du réveil consiste à aller au-delà de la réalité. Le réveil, dans ce discours du président, consiste, somme toute, à dénier la réalité pour s’enfermer encore davantage dans l’imaginaire. Même s’il est plausible que des idées et des projets consistent dans de l’imaginaire, puisque, par définition, il s’agit de ce que l’on attend du futur ou de ce que l’on en espère, il y a des limites : nous sommes dans ces mots, en plein décrochage par rapport à la réalité des situations dans lesquelles nous nous trouvons. En présentant ses vœux à « son peuple », le monarque lui tient un discours destiné, au lieu de l’éveiller comme il le prétend, à l’assoupir encore un peu plus dans la répétition des refrains mille fois énoncés depuis qu’il est au pouvoir. Ces mots ne cherchent pas à nous éveiller, mais, au contraire, à nous endormir dans l’absence du débat. D’ailleurs, nous avons un brusque retour de l’autorité quand E. Macron dit, au sujet de la politique économique de notre pays, que le réveil « suppose une France qui continue d’être attractive, qui travaille et innove plus, qui continue de créer des emplois et qui assure sa croissance en tenant ses finances », et le président ajoute : « J’ y veillerai ». Dans ces trois derniers mots, le président prend la pose du surveillant, du chef, qui est là pour contrôler que les citoyennes et les citoyens font bien le travail qu’ils ont à faire. C’est bien pour cela que, dans les vœux du président, le réveil ne peut pleinement avoir lieu que sous le contrôle du chef.

Un mélange de propos qui prive les vœux de signification

Les vœux présidentiels parlent de tellement de choses, évoquent tellement de situations qu’il s’agit d’un fourre-tout privant les mots du président de toute signification tellement ils sont entassés dans la même « boîte à vœux ». Surtout, ce qui frappe, c’est le mélange de propos et de mots graves et porteurs d’histoire, voire d’émotion, comme quand E. Macron parle de l’histoire à propos de la Résistance et de la Libération, à propos de Notre-Dame, et, surtout, au moment où ils sont prononcés, à propos de Mayotte, et de ce que l’on appelle des « propos de bar » (je présente mes excuses aux patrons de bar), comme quand il parle des Jeux olympiques, ou quand il évoque de « bons compromis » destinés à « prendre les bonnes décisions ». Cela nous permet de comprendre qu’en réalité, ce mélange de propos dissimule une absence de décision, de choix et de projet. En terminant ses vœux par une allusion à « une Nation et une République plus belles encore », E. Macron semble confondre politique et salons de beauté. Mais un discours de président n’est pas une publicité pour un salon d’esthéticiens : une fois de plus, faute de projet, le président dissimule le vide de sa pensée politique derrière les lieux communs et les mots vides de la publicité et de la propagande.

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