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Billet de blog 9 février 2023

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LE RÉVEIL

Peut-être le nombre de manifestants au cours des défilés récents contre la réforme des retraites a-t-il baissé. Encore, d’ailleurs, n’est-ce pas partout le cas. L’important est que ces manifestations expriment le réveil d’un peuple.

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Le réveil politique d’une nation

Sans doute cela a-t-il commencé avec les « gilets jaunes » : notre pays semble s’être, enfin, réveillé, peut-être est-il en train de sortir de sa longue torpeur. Jusqu’à nos jours, notre pays semblait se contenter de subir. Les élections présidentielles semblaient se caractériser, depuis 2002, par la force grandissante du R.N. et, en 2012, l’élection de François Hollande s’était jouée sur un mensonge : lors des primaires du P.S., c’est lui qui avait été désigné comme le candidat socialiste, notamment contre Martine Aubry, alors qu’il avait mené, ensuite, une politique timidement social-démocrate, et, surtout, alors qu’il avait servi de marchepied au pouvoir d’E. Macron, en lui permettant d’être élu président et de mettre en œuvre une des politiques les plus réactionnaires que notre pays ait connues depuis longtemps. Les prescriptions de l’Union européenne semblaient s’imposer à notre pays – comme, bien sûr, aux autres pays de l’U.E. – sans qu’il trouve à redire, sans qu’il résiste à cette invasion de note pays par les acteurs économiques et financiers qui dominent l’Europe. Notre pays s’était résolu à suivre la politique sanitaire menée à l’occasion de l’éruption du COVID-19 sans trouver à redire, sans engager de véritable débat sur le sens de cette politique et sur ce qu’elle implique. Eh bien peut-être le projet de réforme des retraites engagé par E. Macron et son gouvernement sera-t-il la sonnerie d’un réveil ; peut-être notre pays, ses habitants, leurs syndicats, leurs partis, sont-ils en train de retrouver le sens du refus, de la protestation, qui sont, comme on sait, le chemin de la démocratie. Après tout, n’oublions jamais qu’en 1789, ce sont les fameux « cahiers de doléances », les protestations contre les abus de la fiscalité, le rejet de la monarchie, qui auront été le signal du commencement de la marche vers la république.

La brutale prise de conscience d’un vide

Mais cela ne suffit pas à comprendre ce qui se joue en ce moment. Que le choix final, lors de l’élection présidentielle, ait été entre le président sortant et la candidate du R.N. a été comme la sonnerie d’un autre réveil : nous ne voulons plus revoir l’épisode de 2002. Nous ne voulons plus que les choix politiques de limitent au choix entre la droite libérale et la droite totalitaire. Nous ne voulons plus d’une vie politique sans la gauche, car nous comprenons enfin le sens d’un tel choix : notre vie politique est frappée d’un vide. Nous nous apercevons enfin que la place de la gauche dans notre vie politique est vide, qu’elle a été occupée par des partis et des acteurs politiques qui se font passer pour des acteurs de gauche alors qu’ils sont, en réalité, soumis au libéralisme que nous impose, par ailleurs, la politique menée par E. Macron. Que des socialistes, des membres du P.S., en viennent à désigner la France Insoumise comme un mouvement radical d’extrême gauche, alors que J.-L. Mélenchon fut ministre du gouvernement de L. Jospin sous la présidence de J. Chirac, en dit long sur la conception du socialisme que se font ces membres du P.S. Si le vide de la gauche permet de comprendre la montée du R.N. et son vol de la figure du peuple qu’il a usurpée, il permet de comprendre aussi l’absence de débat véritable au sein de la NUPES qui, pourtant, est certainement le lieu où la gauche peut se retrouver elle-même. La conscience de ce vide est le passage obligé d’un réveil de la gauche pour qu’elle puisse enfin retrouver le pouvoir et le fasse perdre à la droite.

Protester contre un totalitarisme

En protestant contre la réforme des retraites, c’est contre l’absence de liberté que les manifestations de cette année s’expriment, contre ce qu’il faut bien appeler un totalitarisme du libéralisme. En effet, la présence des jeunes dans les cortèges de refus montre bien que cette protestation n’est pas seulement celle qui s’oppose aux nouvelles conceptions des retraites qui sont celles de notre exécutif – lui-même semblant, d’ailleurs, même avoir de plus en plus de mal à maîtriser ses propres troupes. C’est qu’au fond, sans doute n’est-ce pas tant contre la réforme des retraites que se manifeste la gauche ainsi enfin réunie que contre le vide qui, de son côté, laisse le champ libre au totalitarisme de la droite et du libéralisme, y compris de cette droite déguisée en gauche qui ne tire sa légitimité que de la peur du R.N. Le libéralisme, notamment le libéralisme macronien, st un totalitarisme parce qu’il est la nuit de la gauche, de la solidarité et de l’égalité. En acceptant la domination d’E. Macron et de son régime, nous acceptions de subir l’hégémonie de l’économie libérale, dont Marx nous disait bien qu’elle refusait une économie politique. C’est parce que l’économie n’est pas soumise au politique qu’elle est totalitaire parce qu’elle empêche le débat d’avoir lieu autour des choix économiques, autour de la politique de l’énergie, autour de la politique des salaires et autour de la politique fiscale. Enfin, le libéralisme est un totalitarisme parce qu’il foule aux pieds l’un des principes fondateurs de notre république : l’égalité.

Les inégalités insoutenables

C’est qu’aujourd’hui, les inégalités atteignent une dimension insupportable. Pour ne prendre qu’un exemple, TotalEnergies a eu plus de 19 milliards d’euros de bénéfices en 2022. Il paraît que c’est le bénéfice le plus important de l’histoire de cette entreprise. V. Bolloré multiplie ses atteintes aux inégalités en investissant en Afrique et en dominant des domaines entiers de notre économie libérale. Ne nous embarquons pas dans la litanie des illustrations, ce serait trop long. Qu’il nous suffise de dire que, désormais, la lutte contre les inégalités n’est plus seulement un engagement politique, mais qu’il s’agit désormais d’une véritable urgence. En effet, des inégalités aussi lourdes menacent notre société même. D’abord, tout simplement, parce qu’elles menacent la cohésion du corps social. Comment des personnes aussi éloignées les unes des autres par leurs revenus peuvent-elles se reconnaître comme faisant partie d’une même société ? Ensuite, si la société elle-même est menacée par de telles inégalités, c’est parce que nous ne pouvons plus nous parler les uns aux autres. Nous ne pouvons plus échanger des mots, des gestes, des représentations, parce que nous ne nous comprenons plus, pace que nous n’avons plus le même langage. Peut-être, au passage, cela peut-il expliquer le succès des instruments de communication qui donnent l’illusion d’échanges en n’étant que des machines. Mais c’est une autre histoire. Si, en 1792, la République s’était donné pour devise les mots que nous connaissons bien, Liberté, égalité, fraternité, c’est parce qu’elle savait bien ce que nos dirigeants semblent avoir oublié : que l’égalité est le seul fondement possible de la sécurité d’une société. Enfin, les inégalités des retraites que nous promet la politique macronienne, celles des salaires et des emplois dont cette politique nous donne la perspective, sont les obstacles sur lesquels notre société finira par trébucher. N’oublions pas que c’est sur les inégalités fiscales que la monarchie absolue a fini par tomber en 1789. N’oublions pas que, quoi qu’en disent M. Macron, M. Bolloré, et les dirigeants de TotalEnergies, la société ne peut se fonder, aujourd’hui, que sur l’égalité. Quant à la guerre en Ukraine, où nos dirigeants semblent soutenir si fort les revendications de V. Zelensky et la liberté de ce pays face à la Russie, elle est, elle aussi, le symptôme d’une inégalité entre des peuples. L’issue de l’inégalité est toujours la violence – qu’il s’agisse de ses victimes qui renversent les autorités qui leur sont imposées, ou de celle des pouvoirs qui utilisent la violence pour faire durer les inégalités dont ils profitent. C’est bien le sens du combat des retraites. M. Macron et ses amis doivent comprendre que ce combat ne porte pas seulement sur l’âge de la retraite, mais qu’il s’agit, fondamentalement, d’un combat pour un choix de société. C’est une nouvelle citoyenneté que nous sommes en train de construire, c’est un nouveau contrat social que nous sommes en train de conclure, c’est vers un nouveau modèle de société que nous devons nous tourner.

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