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Billet de blog 9 mars 2023

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LA COLÈRE ET LE SILENCE

Le mardi 7 mars, la colère s’est dite partout en France. En face, du côté de l’exécutif, c’est le silence et l’entêtement. Que s’est-il cassé dans notre démocratie ?

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Des millions de manifestants

Nous étions des millions, mardi 7 mars, à dire notre colère, dans toutes les rues de note pays, sous toutes les formes possibles. Nous étions 1, 8 million selon le ministère de l’intérieur, 3, 5 millions selon la C.G.T. Les raffineries étaient bloquées, les routes étaient entravées. Des manifestations sont annoncées pour samedi prochain. Partout, nous avons manifesté à la fois notre refus de la réforme des retraites que veut imposer le président Macron et son exécutif et, d’une manière plus générale, notre rejet global de l’ensemble de sa politique. Mais, surtout, ce qui frappe dans ces défilés et dans les expressions de notre colère, c’est la présence des jeunes. Ce sont tous les âges qui sont porteurs de cette colère, ce qui signifie bien qu’il ne s’agit pas seulement de la réforme des retraites. Ces millions de manifestants qui ont manifesté leur rejet de la politique dite sociale menée dans notre pays appartiennent à tous les âges, à toutes les classes sociales, à toutes les catégories d’habitants. Désormais, la confrontation ne se situe plus entre l’exécutif et des catégories sociales ou des métiers particuliers : c’est toute la France contre Macron. Ces manifestations ont, toutefois, ceci de bon, de positif : elles permettent de comprendre que, peut-être, enfin, le peuple se soit réveillé. Le peuple au bois dormant a peut-être mis fin au « sommeil de la raison » qui enfante des « monstres » et au sommeil de la politique qui enfante des dictatures.

La manifestation, le seul langage possible désormais

Mais la manifestation, les cris, les slogans, les défilés, semblent le seul langage qui soit à notre disposition aujourd’hui. En effet, l’exécutif ne veut pas entendre les mots du peuple, par une sorte d’entêtement qui devient pathologique – à moins qu’il ne l’ait toujours été. Donc nous ne pouvons plus que manifester. Il n’y a qu’en manifestant dans les rues que nous pouvons nous exprimer dans le régime politique qui est devenu celui sous lequel nous vivons. Il fut un temps, pas si éloigné tout de même, où le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif écoutaient, et même tendaient l’oreille, pour entendre ce qui se disait dans l’espace public, voire faisaient porte leur regard sur la rue. Ce temps est terminé : le seul langage possible, c’est « la manif », ne serait-ce que parce que la seule expression du pouvoir semble bien être devenu la force. Si la « manif » est devenu le seul langage auquel nous puissions recourir, c’est que les mots semblent ne plus exister dans la culture politique du macronisme – si tant est qu’ils aient plus y figurer. Les mots du politique n’existent pas dans le discours macronien, qui, finalement, est à peine un discours. À leur place, il y a des manifestations d’autoritarisme qui sont censées répondre aux manifestations populaires. Tandis que le souverain se calfeutre dans son palais et dans de lointains voyages, le peuple n’a plus que la rue pour s’exprimer, puisque même le parlement, le lieu où « ça parle », n’est pas entendu. C’est dire l’importance des manifestations, des défilés, qui font vivre l’espace public dans la rue, qui semble ne plus avoir à choisir que la rue comme espace du débat public. Mais, au fond, la rue a toujours été le domaine du peuple : nous nous rendons compte, à présent, qu’elle semble, désormais, le seul lieu d’un véritable espace public.

La distance entre le peuple et les institutions

Mais ce langage de la rue n’est pas entendu par les représentants du peuple. C’est que jamais la distance semble n’avoir été aussi grande entre le peuple et des institutions qui, en principe, sont issues de lui et le représentent. Rappelons, tout de même, que la seule légitimité électorale de ce pouvoir est fondée sur une absence : en 2017 et en 2022, lors de l’élection présidentielle, il n’y avait qu’E. Macron face à la candidate du parti qui refuse le politique, le Rassemblement national. Mais, en réalité, entre le peuple et ce pouvoir qui n’a aucune légitimité véritable, qui ne dispose d’une reconnaissance que par défaut, la distance est abyssale. Alors que le pouvoir exécutif, comme tous les pouvoirs, est issu du peuple, il donne bien l’impression de n’écouter et de n’entendre personne. Faute de s’ouvrir au débat, les institutions sont réduites à des pouvoirs sans la légitimité démocratique que donne un mandat librement donné par le peuple. Cela permet de mieux comprendre cette distance, ce fait que le peuple ne peut se reconnaître dans des pouvoirs qu’il n’a pas librement choisis. Cette distance qui explique que les institutions ne représentent pas véritablement le peuple permet de comprendre que la démocratie soit en quelque sorte suspendue depuis l’élection d’E. Macron. Le « méprisant de la République », comme le disait une pancarte au cours d’un des défilés , figure un pouvoir exécutif dans la situation d’un monarque qui impose sa volonté au peuple par la force, en refusant de parler et de débattre, et, surtout, en témoignant un mépris pour le peuple qui, pourtant, est souverain dans une démocratie. Mais il importe de prendre garde : si le peuple ne se sent plus représenté par les institutions, il peut tout à fait – cela s’est vu, comme nous le savons tous – remplacer la représentation par la force. La distance entre le peuple et les institutions risque de mener à la disparition des institutions et à l’établissement d’un régime autoritaire. De fait, nous vivons sous un régime autoritaire, mais il s’agit d’un autoritarisme déguisé en démocratie : c’est l’autoritarisme des puissances financières et du libéralisme. Entre cet autoritarisme-là et l’autoritarisme déguisé en populisme, il n’y a qu’un pas – tellement facile à franchir.

Le peuple et le pouvoir

C’est que nous ne sommes plus dans une démocratie, car à la revendication, à la parole populaire, seul le silence semble être une réponse. Mais écoutons Pascal : « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie ». Entre le peuple et le pouvoir, il n’y a plus que de la confrontation. Seul le silence semble répondre à la colère, à l’expression du rejet, de l’opposition, de ce qui est plus qu’un désaccord : l’expression de choix politiques incompatibles avec ceux du pouvoir. Le peuple ne peut exercer son pouvoir que par représentation, en désignant librement des représentants qui mènent en son nom le débat public et qui prennent les décisions, font les choix, qui leur semblent les plus conformes à la volonté populaire. C’est cela, la démocratie. Mais, pour cela, il est nécessaire que s’instaure un véritable débat public, à la fois au sein du peuple et entre le peuple et ses représentants. Il faut qu’entre le peuple et le pouvoir, il y ait de la parole. Mais, aujourd’hui, comme on peut s’en rendre compte au sujet de la réforme des retraites, il n’y a plus de parole, il n’y a plus que du silence. Les mots ne peuvent plus se dire que dans la rue, dans l’espace public de la rue. Et ils ne se voient répondre qu’un pouvoir qui trépigne et qui dit sa volonté d’aller jusqu’au bout de la réforme des retraites qu’il a décidée sans concertation, ni avec le peuple, ni même avec les consultants, avec les élus – y compris de son propre parti, avec les organismes d’aide à la décision. Le peuple ne trouve en face de lui que de l’entêtement, de la part du pouvoir. Le pouvoir est désormais confiné dans son palais sans relation au peuple, comme le roi dans son château. Le pouvoir s’est enfermé lui-même dans un palais qui, somme toute, ressemble à une prison. C’est cela la folie. Le pouvoir est devenu fou car, enfermé, forclos, dans son lieu, il ne voit plus personne, il n’entend plus personne, il ne parle à personne. Face au peuple, le pouvoir s’est enfermé dans la folie.

Pour finir, inspirons-nous de Racine :

Contre Macron, le peuple, en la rue descendu,

Se sera, en la rue, retrouvé ou perdu.

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