Bernard Lamizet (avatar)

Bernard Lamizet

Ancien professeur à l'Institut d'Études Politiques de Lyon

Abonné·e de Mediapart

359 Billets

1 Éditions

Billet de blog 9 octobre 2025

Bernard Lamizet (avatar)

Bernard Lamizet

Ancien professeur à l'Institut d'Études Politiques de Lyon

Abonné·e de Mediapart

QU’EST-CE QU’UNE CRISE POLITIQUE ?

Bernard Lamizet (avatar)

Bernard Lamizet

Ancien professeur à l'Institut d'Études Politiques de Lyon

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La démission du premier ministre : la France n’a plus de gouvernement

Depuis la démission du premier ministre, il n’y a plus de gouvernement en France : Le premier ministre et les ministres expédient les affaires courantes. En quittant ses fonctions, S. Lecornu n’a pas seulement obéi (ou fait semblant d’obéir) à une absence d’adhésion du pouvoir législatif à son projet : il a manifesté une impuissance. En quittant ses fonctions, le premier ministre choisi par E. Macron ne montre pas tant qu’il se plie, démocratiquement, à la volonté des assemblées censées représenter le peuple qu’il ne manifeste l’incapacité de l’exécutif de gouverner le pays, alors que c’est son rôle. Si nous avons élu un président et si celui-ci a nommé un premier ministre, en quelque sorte en vertu d’une procuration que nous lui avons donnée, c’est pour gouverner le pays, pour lui donner des orientations, pour concevoir une politique, pour mettre en scène ce que l’on peut appeler une nation porteuse d’une identité politique. Dans ces conditions, l’absence de premier ministre pendant un mois et cela sans perpective place notre pays dans une incertitude à la fois grave pour notre économie et pour nos finances et démotivante pour les citoyennes et les citoyens qui ne comprennent plus parce que la vie politique et les institutions sont devenues illisibles.

Le président de la République ne peut plus remplir son rôle

Alors que l’une de ses premières fonctions est de désigner un gouvernement, le chef de l’État ne peut assurer ses fonctions : il ne peut plus être le chef d’un état qui n’existe plus. Pour l’être de nouveau, il nous demande une sorte de crédit : jusqu’à demain soir au plus tard, dit-il. Si la désignation d’un gouvernement est l’une des premières tâches du président, c’est, tout simplement, parce qu’un président sans gouvernement cesse d’être un exécutif au sens propre du terme. Il s’agit d’une sorte de pouvoir exécutif incomplet, à qui il manque un acteur essentiel pour pouvoir s’exercer. À moins, bien sûr, qu’il ne s’agisse, de la part de notre président, de la recherche d’une autre conception de l’exécutif : un pouvoir exécutif sans premier ministre est une monarchie. Un chef de l’exécutif seul ne partage pas sa mission avec un premier ministre et un gouvernement, car il n’y a plus, avec lui, de contre-pouvoir exécutif. Nous nous trouvons devant un pouvoir exécutif absolu. Finalement, si le chef de l’État ne peut plus remplir le rôle d’un président, il peut, du moins le croit-il, remplir un autre rôle, celui d’un souverain seul. Mais, comme notre pays n’est pas encore une véritable monarchie assumée, de plus en plus de voix s’élèvent pour demander la démission d’E. Macron. Ce qui était, au commencement, une sorte de lubie d’éditorialistes égarés ou d’acteurs politiques fanfaronnants devient de plus en plus une image reconnue comme juste par des responsables politiques et des témoins de notre vie institutionnelle chaque jour un peu plus nombreux. Si le président ne peut plus remplir son rôle en l’absence de cette béquille ou de cette « deuxième jambe » de l’exécutif, alors c’est simple : il lui faut partir. Nous semblons arrivés à une limite de notre régime politique, parvenus à une exigence de nos institutions et de nos pouvoirs qui n’est plus satisfaite, et, dans ces conditions, peut-être est-il devenu nécessaire que le président quitte ses fonctions, puisqu’il ne peut plus faire pleinement l’objet d’une reconnaissance démocratique de sa légitimité.

Il n’y a plus de mots dans la vie politique

Dans une telle situation, dans cette impossibilité d’assigner à chacun des acteurs de la vie politique le rôle qui est le sien, aucun discours ne peut plus rendre compte des événements de la vie politique : la vie politique n’a plus de sens. C’est ce qui se produit en ce moment. Mais, si l’on réfléchit bien, cette absence de mots et donc de sens de la vie politique ne date pas d’aujourd’hui, mais sans doute est-elle le signe de l’impossibilité de gouverner du président E. Macron. Un banquier ne devient pas un acteur politique du seul fait d’avoir séduit un électorat. Le précédent banquier qui avait été président sous la cinquième république, c’était G. Pompidou, qui avait succédé à de Gaulle en 1969 et avait été président jusqu’en 1974, année de sa mort. Mais G. Pompidou parlait, il avait des mots, de la culture. Il avait même publié une anthologie de la poésie française. Sans avoir été un partisan de Pompidou et sans avoir adhéré à sa politique, on ne pouvait pas lui retirer cela. Ce banquier savait écrire et parler. Or on a l’impression qu’E. Macron ne le sait pas. Depuis que la crise de l’exécutif a commencé, il ne s’est pas une seule fois adressé à la nation, il n’a prononcé aucun discours public, on ne sait ni ce qu’il pense, ni le sens qu’il donne à ce qu’est devenue la vie politique du pays. Mais, plus profondément que cela, sans doute ne pense-t-il rien, et sans doute n’a-t-il rien à dire. Avec E. Macron, l’exécutif n’a plus de voix, mais aussi l’absence d’un véritable pouvoir exécutif a rendu notre pays muet. Sans mots pour se dire et s’exprimer, l’activité politique n’est plus une vie politique, elle est une mort politique. Faute de choix, d’orientations et d’acteurs, E. Macron a rendu la politique muette, mais la politique ne peut vivre dans le silence. Sans mots pour se dire, la politique ne vit plus. Ce qui rend invivable la situation dans laquelle nous vivons, c’est l’absence de mots et de paroles pour l’exprimer et pour nous permettre de la comprendre et de lui donner du sens. Les mots se réduisent à des conciliabules sans intérêt autour de la seule question de savoir qui aura le pouvoir.

La vie politique est devenue imprévisible

Mais il y a encore plus : comme les mots ne peuvent plus rendre compte de ses évolutions, la vie politique est devenue imprévisible, ce qui est peut-être le critère essentiel d’une crise. Faute de mots pour la dire, la vie politique est un navire qui vogue au gré des flots, au hasard de ses rencontres, dans l’incertitude d’un lendemain devenu imprévisible. Cela s’est, d’ailleurs, traduit en termes financiers, puisque, sur ce plan, la France a commencé à perdre ses valeurs. La vie politique est devenue imprévisible, car on ne sait pas qui sera le premier ministre demain, on ne sait pas si le président va continuer à présider, et s’il ne continue pas, on ne sait pas quand aura lieu une élection présidentielle ni, bien sûr, quels y seront les candidate et les candidats. Devenue ainsi imprévisible, la vie politique ne peut susciter la participation des citoyennes et des citoyens ni leur adhésion à un projet ou à un autre. Cela conduit à un désengagement faisant suite à l’affaiblissement de l’engagement des électrices et des électeurs que tout le monde dénonce depuis longtemps. Cette imprévisibilité de la vie politique la met, en quelque sorte, hors du temps. Au-delà de simples événements comme une élection, au-delà de la simple absence d’autorité de l’exécutif et de son impossibilité d’agir, notre vie politique, ainsi située hors du temps, ne relève plus que de l’imaginaire, du fantasme : il ne s’agit plus que de contes de fées dans lesquels les acteurs politiques se font plaisir en se racontant de jolies histoires et en essayant de nous séduire avec la rhétorique que ces histoires leur donnent. De cette manière, peut-être peut-on dire qu’E. Macron aura rempli une de ses ambitions : tuer la vie politique de la France, faire perdre à notre pays sa culture politique, son histoire et ses projets. La vie politique est en train de devenir une sorte d’errance, si nous n’y prenons pas garde, nous risquons de devenir des fantômes perdus sans projet et sans désir dans des parcours politiques sans tracés, sans choix. Dans ces conditions,  c’est à nous de faire retrouver à notre pays et à celles et à ceux qui y vivent l’ambition et le désir qui, seuls, peuvent donner du sens à son devenir. Car c’est cela, le retour de la politique : le retour de l’engagement et du désir que nous risquons d’abandonner. Car, en abandonnant le désir, c’est nous-mêmes que nous perdons dans l’aveuglement de la nuit du politique.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.