Dans les deux mois qui nous séparent de l’élection présidentielle, je vous propose de consacrer un « feuilleton » de réflexions à la politique de notre pays et aux orientations qui seront les siennes dans les différents domaines dans lesquelles elle agit. Il ne s’agira pas d’une comparaison entre les candidats : trop de médias font cela, un peu comme une comparaison de marché entre les avantages et les inconvénients des différentes machines à laver. Je pense que nous savons tous pour qui nous allons voter – en tous les cas les lecteurs de Mediapart, sans doute, le savent. Non : nous allons consacrer ces articles aux différents domaines de la politique de notre pays, à celle qui sera, à partir du 24 avril prochain, dirigée et, en quelque sorte, mise en musique par le chef de l’État que nous aurons choisi. Bien sûr, nous ne prétendons pas couvrir par les épisodes de cette « série » tous les aspects de la politique menée par l’État : disons que nous avons choisi de parler de la petite dizaine des domaines qui nous ont semblé les plus urgents à envisager pour dessiner ce que pourrait être notre politique, la politique dans laquelle nous reconnaîtrions le mieux celle du pays qui est le nôtre.
LA POLITIQUE DU LOGEMENT
par Bernard Lamizet
Si nous avons choisi de commencer ce « feuilleton » par la politique du logement, c’est qu’elle est la plus quotidienne des politiques publiques, celle à laquelle nous sommes confrontés tous les jours, chez nous, mais aussi là où nous habitons. En même temps, sans doute s’agit-il de la politique la plus confrontée aux inégalités, à celles sui sont les plus vives, voire les plus violentes, qu’il s’agisse de la ségrégation entre les quartiers, de la qualité des maisons que nous habitons, ou de la façon dont l’espace qui nous est proposé – à moins qu’il ne nous soit imposé – ordonne notre façon de vivre. La première urgence est là, dans le domaine du logement : en finir avec les inégalités qui y sont d’autant plus criantes qu’elles se voient, à l’œil nu. Il suffit de se promener dans les rues pour savoir que l’échec des politiques de l’État dans le domaine du logement est là : dans l’évidence de l’inégalité entre les quartiers riches et les quartiers pauvres, entre les cœurs de ville et les banlieues, entre les trop fameux « quartiers Nord » de Marseille et les quartiers Sud de cette ville, entre les quartiers aménagés et entretenus et les quartiers laissés à l’abandon.
Pour cela, quatre axes devraient orienter les politiques publiques dans le domaine du logement.
D’abord, il faut mettre fin à la division entre « le logement » et « le logement social ». Comme si – et malheureusement, il faut dire que c’est le cas – le « logement social » n’était pas du logement. Tout le monde doit avoir droit au même logement, à la sécurité et à la pérennité dans son logement, à la liberté de pouvoir le choisir, à pourvoir vivre à une distance raisonnable de son travail, à vivre dans une maison où il soit agréable de vivre, dans un espace où les enfants puissent circuler sans danger. Peut-être, à cet égard, pourrait-il être envisagé d’imaginer non un « chèque logement », ce qui serait, une fois de plus, une façon de faire la charité d’une aide aux pauvres qui ne dit pas son nom, mais un « droit au logement » proportionnel aux revenus. Au lieu de nous acquitter d’un loyer, nous nous acquitterions d’une sorte d’impôt de logement comparable à l’impôt sur le revenu. Cet impôt serait consacré – et ne pourrait l’être qu’à cela –au logement et à l’aménagement des villes et des quartiers, des espaces d’habitation et des espaces de vie collective. L’institution de cette sorte de fiscalité d’un nouveau genre serait l’occasion de repenser les responsabilités des différentes collectivités locales qui administrent nos espaces : quartiers, villes, métropoles, mas aussi de repenser les modes de désignation de leurs acteurs et de leurs décideurs.
Par ailleurs, la politique du logement ne peut être séparée de la politique de l’aménagement de l’espace. Le logement que nous habitons n’est pas suspendu en l’air, il est situé dans une rue, dans un quartier. C’est pourquoi la politique du logement est aussi la politique de l’espace, dont le rôle est d’aménager des espaces de vie individuelle et collective, des espaces de vie quotidienne et des espaces de rencontres, des espaces d’habitation et des lieux de commerce et d’activités sociales, culturelles ou sportives. L’aménagement des espaces doit être à la fois fonctionnel et harmonieux : il doit être l’œuvre en même temps et de façon coordonnée d’architectes et de responsables sociaux et politiques. L’aménagement de l’espace est ce qui permet que les espaces dans lesquels nous vivons soient en même temps des paysages, c’est-à-dire des espaces satisfaisant des exigences esthétiques.
Lié à l’esthétique de l’habitation, un troisième aspect essentiel de la politique du logement est l’entretien des immeubles dans lesquels nous vivons. Trop d’habitations – et cela y compris dans des quartiers aisés – sont en mauvais état, en particulier parce que les responsables de leur entretien ne remplissent pas leurs obligations, voire n’en ont pas. Un gérant d’immeuble ou un syndic de copropriété devait faire l’objet d’un contrôle – exactement de la même manière qu’un locataire fait l’objet d’un contrôle qui vérifie qu’il paie bien son loyer ou un copropriétaire qu’il paie bien ses charges. Nous revoilà peut-être devant l’idée d’une « fiscalité domiciliaire » dont une régulation efficace permettrait d’éviter les failles de l’entretien des immeubles.
Enfin, une politique du logement qui en soit vraiment une permet à toutes celles et à tous ceux qui habitent un quartier d’y vivre en toute sécurité. Mais ce terme, « sécurité », a fini par perdre toute sa signification. On retiendra, ici, quelques éléments qui font partie de la sécurité. Le premier, une fois de plus celui qui se voit le mieux, est la sécurité de l’environnement. Qu’il s’agisse de la maîtrise de la pollution ou de la maîtrise de l’évolution du climat, la politique du logement doit assurer que nous vivions dans des habitations qui ne sont pas soumises à ce genre de risques. La sécurité de l’habitation consiste à nous protéger contre les risques de dégradations immobiliers et foncières. Un second élément de la sécurité dans les quartiers où nous vivons est la protection contre la violence. Mais la lutte contre l’insécurité a trop longtemps été associée de façon exclusive à la lutte contre l’immigration et à la lutte contre les pauvres – à défaut d’une politique de lutte efficace contre la pauvreté. Une politique du logement de sécurité consiste à permettre aux habitants d’un espace d’y vivre en ayant de véritables relations sociales avec leurs voisins. Enfin, la politique de sécurité des logements consiste à prémunir les habitants d’un quartier contre les politiques d’aménagement qui entraîneraient leur exclusion, la destruction des immeubles où ils vivent, la soumission de leurs logements aux risques de l’urbanisme et à l’insécurité immobilière.
C’est pour ces raisons qu’il importe que, qui qu’il soit, le prochain président de la République ait une politique de la ville, qui articule l’espace urbain autour d’exigences fondamentales en matière de logement, d’aménagement de l’espace, de préservation du patrimoine, de solidarité et d’égalité entre les quartiers et de circulation, notamment en réduisant la circulation automobile – voire en l’interdisant dans les centres urbains – et en développant davantage les transports en commun publics.
Ces différents éléments constituent les exigences auxquelles doit satisfaire une politique du logement qui réponde aux impératifs qui sont ceux de l’identité de notre pays. La liberté du logement consiste à pouvoir le choisir librement, sans être soumis aux exigences du libéralisme, et à pouvoir l’aménager comme on le souhaite et d’une façon conforme aux conceptions qui sont celles de notre culture. L’égalité du logement consiste à en finir avec la ségrégation immobilière et avec les inégalités entre les quartiers, entre les immeubles, entre les villes. Dans le domaine du logement, la fraternité n’est pas un vain mot : elle consiste à pouvoir avoir de bonnes relations avec ses voisins et à ne pas être soumis au risque de la violence. Nos choix en matière de logement exigent que les politiques publiques consacrées à ces domaines par l’exécutif que nous allons élire répondent à ces exigences et nous permettent de nous reconnaître en elles.