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Billet de blog 10 juin 2024

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LA FRANCE A VOTÉ ET VOTERA

Dans tous les pays de l’Union, ont eu lieu les élections au Parlement européen. Quelle signification pouvons-nous donner à ces élections ?

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Des élections européennes et françaises

Depuis le début de la campagne, nous savons que, cette année en particulier, les élections européennes ont deux significations : dans la politique européenne, bien sûr, mais aussi dans la politique française. Ce qui marque les élections européennes de cette année, c’est la poussée de la droite et de l’extrême droite, dans tous les pays de l’Union. Le Parlement européen sera dominé par la droite, mais, compte tenu du nombre d’élus de droite dure et d’extrême droite, si elle ne dispose pas de la majorité, la droite radicale sera en mesure de peser fortement sur la politique menée dans l’Union européenne. Cela signifie que l’Union va poursuivre l’évolution de son orientation. D’une gauche et d’une droite s’inscrivant dans une politique à dominante social-démocrate, comme c’était le cas depuis le début de l’Union, en 1951, et à partir de l’existence d’un « parlement » désigné au suffrage universel direct, l’Union européenne va pleinement s’inscrire dans une politique de droite radicale, comme elle le fait depuis l’adhésion des pays de droite issus de l’ancienne Europe de l’Est. Mais il s’agit aussi d’élections françaises, s’inscrivant dans le calendrier électoral de notre pays. À cet égard, l’irruption d’une extrême droite pour la première fois aussi puissante dans le paysage politique français manifeste l’évolution la plus lisible de la politique de notre pays, en même temps que l’affaiblissement de la gauche, même si la liste du P.S. conserve une certaine force.

Un recensement des forces politiques

C’est le premier sens de ces élections : un « état des lieux » de la vie politique de notre pays. Sur ce plan, on peut tirer quatre leçons de ces élections. La première est, en effet, la montée de l’extrême droite, mais celle-ci ne fait que poursuivre un mouvement amorcé depuis longtemps. En réalité, il s’agit d’une légitimation d’une tendance observée depuis les premières élections municipales lors desquelles le Feront national avait conquis des mairies, en 1983. Cela peut s’expliquer, notamment, à la fois par l’évolution de notre pays vers la droite, mais aussi par la disparition progressive d’une sorte de censure qui empêchait l’extrême droite d’accéder au pourvoir depuis la Libération de 1945 et la découverte des crimes du nazisme. L’échec de l’union de la gauche est, bien sûr, une autre leçon à tirer de cette élection. Mais nous pouvons, tout de même, avoir un regard sur ce qu’est la gauche aujourd’hui. Rassemblant, en tout, 32 % des exprimés, représentant donc le tiers des suffrages, elle reste en bonne position, d’autant plus qu’il s’agit d’un scrutin où la participation, certes forte pour des élections européennes, n’a atteint que 52 %, ce qui laisse dans l’inconnu la réalité des rapports de force. Au sein de cette gauche, le PS n’est en tête qu’avec 14 % des vois, les Insoumis obtiennent 10 %,  les écologistes 5, 5 % et le P.C.F. 2, 4 %. La gauche paie le refus d’une liste commune d’union de la gauche, même si elle paie aussi la droitisation de notre corps électoral. Toutefois, une union aurait donné à la gauche un élan qui aurait pu lui permettre de résister à cette droitisation. Que sont les partis de droite ? Il convient de distinguer la droite libérale et la droite étatique et autoritaire. Dans la droite libérale, Renaissance obtient 14, 6 % des suffrages, à peine plus que la liste du P.S., et les Républicains arrivent derrière les Insoumis, à 7, 2 %. À l’extrême droite, le R.N. obtient 31, 5 % des suffrages, presque autant, à lui tout seul, que l’ensemble des voix de gauche, et Reconquête 5, 5 %. Ce recensement des forces politiques montre une sorte de nouveau rééquilibrage des forces politiques, à la fois dans l’ensemble et à l’intérieur de la gauche et de la droite. On peut noter, en particulier, qu’à droite, le radicalisme est en tête, mais aussi que le macronisme devient le mouvement dominant. Cela signifie un changement dans l’orientation des partis de droite : la droite radicale est dominante, mais c’est le macronisme qui devient le parti dominant la droite libérale. On peut comprendre cela comme une recomposition de la droite qui situe la France dans une évolution comparable à celle de l’ensemble des pays de l’Union européenne : la légitimation de l’extrême droite, reconnue comme un parti de gouvernement, et la domination du libéralisme. Cela signifie, enfin, en ce qui concerne la France que c’est la droite radicale qui a exprimé le plus le rejet de la politique menée par E. Macron : si la gauche avait été unie, la dynamique engagée par l’union lui aurait permis d’exprimer ce rejet.

S’agit-il d’une des répétitions de l’élection présidentielle de 2027 ?

Sans doute faut-il cesser de s’obséder par l’élection présidentielle, qui finit par devenir la seule élection importante de notre pays, ne serait-ce que parce que le président sortant ne peut être candidat. De plus, qu’il n’y ait eu que la moitié des électrices et des électeurs à venir voter signifie que les partis disposent d’un vivier de voix assez élevé. Ce qui est important, c’est que les partis de gauche en finissent avec leurs jeux minables de cours de récréation (encore que les jeux de cours d’école sont plus instructifs que les jeux électoraux) et se présentent unis aux élections législatives et à l’élection présidentielle. C’est en cela qu’il convient de ne pas lire ces élections européennes comme une répétition de l’élection présidentielle ni même des élections législatives à venir. D’abord, trois ans, c’est long, et, ensuite, les questionnements ne sont pas les mêmes dans les différentes élections. Surtout, on peut penser que ces résultats de ces élections européennes vont servir de base à une réflexion de l’ensemble des partis en vue de cette élection présidentielle à venir.

La dissolution

E. Macron a donc décidé de dissoudre l’Assemblée. Il a obéi à J. Bardella après l’allocution de ce dernier, se soumettant sans débat aux injonctions de l’extrême droite. C’est la première remarque que l’on peut faire : tout se passe comme si l’extrême droite dominait la vie politique et donnait ses instructions au chef de l’État qui vient se conformer à ses choix et à ses décisions. En décidant la dissolution, E. Macron entend, sans doute, montrer qu’il dispose encore d’un reste de pouvoir. La dissolution est, en réalité, un signe de faiblesse, comme l’avait été la dissolution décidée par Jacques Chirac en 1997. « Après avoir procédé aux consultations prévues à l’article 12 de notre Constitution, j’ai décidé de vous redonner le choix de notre avenir parlementaire par le vote. Je dissous donc ce soir l’Assemblée nationale », a dit le président après l’annonce des résultats. « Je signerai dans quelques instants le décret de convocation des élections législatives qui se tiendront le 30 juin pour le premier tour et le 7 juillet pour le second ». Les mots d’E. Macron (« j’ai décidé », « je signerai le décret de convocation des électeurs ») mettent en scène ce semblant de pouvoir qu’il croit détenir encore - ou dont il cherche à nous faire croire qu’il le détient. C’est aussi ce qui frappe, dans la façon dont ont été organisées les élections européennes en France par le parti présidentiel et dans les mots annonçant la dissolution : E. Macron décide tout seul. Il a choisi une tête de liste ne pouvant lui faire de l’ombre et il est seul à décider la dissolution, puisque même la présidente de l’Assemblée sortante, Y. Braun-Pivet, appartenant à Renaissance, a exprimé ses réserves sur cette décision. La dissolution montre, finalement, la grande faiblesse d’un pouvoir personnel. Certes le monarque est seul à décider, mais, de ce fait même, il laisse même ses partisans à l’écart de ces décisions. Être seul est ce qui fait sa grande faiblesse, au lieu de faire, comme il peut le croire, ou tenter de nous le faire croire, sa puissance. Par la dissolution, le président est nu. Mais, au-delà, c’est la vie politique elle-même que le président plonge dans l’incertitude, pour se donner l’illusion de son pouvoir. Désormais, c’est au peuple de parler.

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