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Billet de blog 11 janvier 2024

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LE POUVOIR ABSOLU

Le président de la République a donc congédié la première ministre. Rarement le président de la Vème République aura donné une telle impression de dictature, alors, disons-le une fois de plus, car il ne faut jamais l’oublier, qu’il a été élu avant tout pour empêcher une candidate d’être élue, E. Macron se donne l’image d’un monarque sans contestation possible.

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Le pouvoir absolu du président

En mettant fin au gouvernement dirigé par E. Borne, le chef de l’État entend surtout rappeler qu’il demeure le souverain absolu de notre pays. Peu importent les orientations et les projets du gouvernement, c’est lui qui décide. Pourtant, dans son article 20, que bien peu de présidents semblent connaître, notre constitution stipule que « le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation ». Dans le nouveau régime de la Vème République, devenu une sorte de monarchie, le choix du premier ministre manifeste ainsi le pouvoir absolu du président, à quelques (rares) exceptions près, comme, en 1986, la nomination de J. Chirac ou, en 1993, celle d’E. Balladur, par F. Mitterrand, ou encore, en 1997, la nomination de L. Jospin, par J. Chirac. Il s’agissait de périodes de cohabitation du gouvernement avec des présidents dont les partis d’appartenance venaient de perdre les élections. La nomination de G. Attal marque ce pouvoir absolu d’E. Macron qui règne sans partage, car même E. Borne, avec ses recours multiples au devenu fameux art. 49-3 de la Constitution, ne lui était pas assez soumise à ses yeux. Jeune, avec une expérience somme toute limitée de l’action politique, G. Attal a été choisi parce qu’il sera sans doute, lui, assez soumis au pouvoir d’E. Macron.

Le fantasme du pouvoir

Mais nous vivons dans un régime politique supposé être une république, une démocratie. Qu’est-ce qu’une république ? C’est un régime politique dans lequel le pays est l’affaire du peuple (c’est ce que signifient ces mots : res publica). Or, nous sommes en train de nous rendre compte que c’est devenu faux, en tout cas irréel : le pays n’est plus l’affaire du peuple, mais celle du président. Nous ne sommes plus dans une république, mais dans une sorte de « réprésidence ». Pour E. Macron, le quinquennat du président n’est plus un mandat qui lui est donné par le peuple, mais un règne, ce qui manifeste une sorte de fantasme du pouvoir. En effet, le pouvoir n’est plus une affaire politique, il ne constitue plus un réel du politique, mais un fantasme de règne. Dans ces conditions, devenu un fantasme, le pouvoir relève de l’imaginaire, et E. Macron pense qu’il peut manifester cet imaginaire dans le réel de l’action politique. C’est, d’ailleurs, ce fantasme qui explique comment E. Macron intervient sur tout, donne son avis sur tout, tente de peser dans tous les domaines sur l’action du gouvernement et sur ses choix. Dans le réel d’une démocratie, le président négocie, il exerce son pouvoir dans une sorte d’échange ou de dialogue avec les autres acteurs de la vie politique qui devraient être ses partenaires, mais ce n’est plus le cas, car le chef exerce son pouvoir seul.

Le suspens de la nomination du premier ministre

Depuis longtemps, dans notre pays, le choix par le président du premier ministre est devenu une sorte de roman à suspens. Durant tout le temps de l’attente de la nomination du premier ministre, on pouvait lire dans les médias, après l’annonce du remaniement à venir, des informations ou des commentaires à propos de la pression de cette attente sur la première ministre, des hypothèses sur le nom du futur premier ministre, des informations sur les modalités de cette nomination et sur les épisodes qui marquaient le choix du président. C’est ainsi que la désignation du premier ministre n’est plus de l’ordre du politique, mais a fini par devenir une sorte de feuilleton. C’est de cette manière que les institutions et les pouvoirs, dans notre pays comme dans bien d’autres, n’ont plus une signification pleinement politique, mais relèvent de récits, de romans-feuilletons, dont nous ne suivons plus les épisodes comme des citoyens, mais comme des spectateurs ou des lecteurs. Un peu comme si la politique se réduisait à une sorte de spectacle. C’est bien le cas, d’ailleurs, puisque les chefs d’État détiennent tous les pouvoirs et ne font plus l’objet d’un contrôle ou d’une évaluation par les citoyennes et les citoyens qui n’ont plus leur mot à dire jusqu’à la fin du mandat, du règne. 

La figure d’Elisabeth Borne

C’est là-dessus que nous devons nous interroger. Qui est E. Borne ? Qu’est-ce qu’une ancienne collaboratrice d’un premier ministre socialiste, L. Jospin, est venue faire dans un gouvernement nommé par un président de droite ? Ancienne haute fonctionnaire (elle occupa des fonctions de préfet), E. Borne venait incarner l’État dans l’exécutif dirigé par E. Macron. Elle fut, en quelque sorte, la garante de la démocratie et de la république au sein du pouvoir exécutif détenu par le monarque. Sans doute la multiplication de ses dialogues de sourds avec le Parlement et, en particulier, avec l’opposition venait-elle manifester l’impasse dans laquelle le président avait plongé la démocratie. Il n’y a même pas eu de partage des pouvoirs entre elle et le président, qui, depuis le début, les a tous confisqués. E. Borne, finalement, a déplacé sur le président la figure de l’État qu’elle avait servi pendant toute sa vie institutionnelle. Tout s’est passé, au cours des gouvernements qu’elle était censée diriger, comme si le président lui avait volé les fonctions de chef du gouvernement, comme si E. Macron entendait bien être le seul à gouverner, sans tolérer aucune contestation, et, au bout du compte, sans accepter d’être, comme la première ministre, au service de l’État, mais en cherchant à mettre, au contraire, l’État à son service à lui.

Le nouveau premier ministre

Questionnons-nous donc sur le premier ministre qui vient d’être nommé par E. Macron, le plus jeune premier ministre de la Vème République, paraît-il. Il est bien tôt pour se faire une véritable idée de ce que sera l’action du gouvernement qu’il va diriger. On peut toutefois se faire quelques idées. D’abord, il était, jusqu’à ce qu’il devienne premier ministre, ministre de l’Éducation nationale. Son action à la tête de cette puissante administration, a été fondamentalement réactionnaire, avec l’uniforme ou le renforcement des logiques d’évaluation. Une de ses dernières idées fut de transformer le brevet des collèges en un examen véritable, alors qu’il était devenu, au fil du temps, une évaluation de la scolarité des élèves au cours d’un véritable contrôle continu. De plus, l’obtention du brevet est désormais une obligation pour entrer au lycée, ce qui fait du brevet un véritable barrage, une frontière. Cette séparation du collège et du lycée par la barrière du brevet contribue, comme les autres initiatives du pouvoir macronien, à accroître le poids de la sélection dans l’éducation, alors que l’impératif de la justice sociale devrait être, au contraire, de la réduire, car il ne s’agit pas d’une sélection réellement fondée sur des savoirs, mais sur la conformité à des modèles comme l’est, par exemple, le retour prôné à l’uniforme dans les établissements scolaires. Par ailleurs, alors que notre pays a connu des ministres de l’Éducation nationale qui étaient de véritables acteurs politiques (je pense, par exemple, à Edgar Faure, quoi que l’on puisse penser de lui, à L. Jospin, justement, qui occupa cette fonction, ou à J.-P. Chevènement, à J. Lang ou encore à A. Savary), G. Attal, lui, n’existait pas en politique avant la venue au pouvoir d’E. Macron : en ce sens, il lui doit tout. Et c’est lui qui va diriger le gouvernement, ce qui implique qu’il ne sera sans doute pas indépendant vis-à-vis du souverain et qu’il lui sera soumis. Enfin, G. Attal est désigné alors que le président ne dispose pas d’un crédit extraordinaire auprès de l’opinion. Cela veut dire que ce premier ministre sera sans doute davantage un chargé de relations publiques qu’un chef de gouvernement. Nous nous trouvons ainsi devant une sorte de dépolitisation de la fonction du premier ministre - et, au-delà, sans doute, du gouvernement, désormais à la disposition du chef de l’État. Ce nouveau premier ministre semble indiquer un nouveau recul de la démocratie dans notre pays. Encore un.

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