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Billet de blog 11 juillet 2024

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L’ESPOIR CHANGEA DE CAMP, LE COMBAT CHANGEA D’ÂME

Relisons quelques vers de Victor Hugo (Les Châtiments), en les arrangeant un peu : Soudain, joyeux, il crie « Attal », c’était Ruffin. L’espoir changea de camp, le combat changea d’âme. Pour E. Macron, les élections législatives auront ainsi été un « châtiment ».

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Donc c’est fait. L’échec d’E. Macron est désormais inscrit dans les chiffres. « Ensemble », la réunion du parti du président et de ses deux alliés, le parti d’É. Philippe et le MODEM de F. Bayrou, a perdu les élections législatives provoquées par la dissolution de l’Assemblée nationale. Sans doute faudra-t-il attendre encore un peu pour mieux analyser ce résultat, pour analyser les logiques qui ont orienté le deuxième tour et les choix des électrices et des électeurs, mais on peut, d’ores et déjà, proposer quelques lignes permettant de comprendre ce qui s’est passé au cours de ces élections anticipées. Avant tout, sans doute faut-il donner à ce résultat le sens d’une réponse au bouleversement du calendrier électoral. En provoquant des élections anticipées, E. Macron a voulu manifester une illusoire toute-puissance en se voulant le maître du temps électoral. Mais c’est justement cette volonté de mainmise sur le temps qui aura contribué à son échec. Les citoyennes et les citoyens de ce pays ont voulu signifier, par leur choix, qu’ils ne voulaient pas se faire imposer un temps politique et, d’une façon générale, qu’ils rejetaient cette marque - une de plus - d’hégémonie du président.

La victoire inattendue de la gauche

Il est vrai que personne n’attendait vraiment ce résultat. La gauche, réunie autour du projet du Nouveau Front populaire a montré qu’elle représentait mieux que d’autres partis le peuple français qui s’identifie à cette nouvelle édition du Front populaire - la première étant le Front populaire de 1936. La victoire inattendue de la gauche peut se comprendre de trois manières. D’abord, les électrices et les électeurs ont voulu se tourner vers une autre direction que celle qui leur est proposée - imposée, plutôt - depuis sept ans par E. Macron. Ils ont choisi de se tourner vers une réponse plus solidaire et plus égalitaire à la crise économique et sociale que connaît notre pays. Par ailleurs, le choix de la gauche est celui d’un Front populaire : il s’agit de ne plus subir, mais de se dresser contre les pouvoirs et les hégémonies, front contre front. Comme son ancêtre de 1936, le Front populaire entend ne plus accepter sans réaction les volontés d’une classe dominante et ne plus obéir à des pouvoirs considérés comme des pouvoirs illégitimes parce qu’ils n’ont pas été choisis par celles et ceux sur qui ils s’exercent. Enfin, par le Nouveau Front populaire, la gauche, cette Belle aux urnes dormant, semble s’être enfin éveillée. Après des années au cours desquelles la gauche semblait saisie d’une sorte de torpeur politique, le peuple a entendu son réveil faire sonner les musiques, les chants et les paroles des acteurs politiques qu’il peut reconnaître et des choix auxquels il veut adhérer. La victoire inattendue de la gauche aux élections législatives suit un premier réveil lors des élections municipales de 2020 en refondant l’identité politique du peuple français.

L’échec d’E. Macron se confirme

Dans son échec aux élections législatives, le macronisme se voit confirmer la globalité de son échec politique. Ce résultat manifeste, d’abord, le rejet de ce que l’on peut appeler l’ingouvernance d’E. Macron. Les candidats du parti présidentiel ont été rejetés par les électeurs parce que l’exécutif a, d’abord, montré son inefficacité. Incapable de donner à notre pays les moyens de résister à la crise économique du monde, rejetant le principe même de la recherche d’une politique propre à mettre fin à des inégalités économiques et sociales de plus en plus profondes, l’exécutif a montré qu’il n’était pas capable de mener une politique susceptible d’avoir la confiance du peuple à qui elle est destinée. Mais l’échec d’E. Macron, de son gouvernement et de leurs candidats est aussi l’échec d’une politique de communication. Les mots du président et de ses ministres, les stratégies d’élaboration de leurs images et de leur présence dans l’espace public, la façon dont ils ont fait face au peuple (ou plutôt : dont ils ont été incapables de lui faire face), étaient des stratégies uniquement destinées à l’exercice du pouvoir, au lieu de s’inscrire dans les logiques d’une véritable communication politique. Nous en venons, ainsi, à la troisième cause de l’échec du président : il n’est pas un homme politique, il n’est qu’un homme de pouvoir. Ce qui intéresse E. Macron, ce n’est pas la politique, la vie de la cité, la citoyenneté, ce qui l’intéresse, c’est la domination, l’hégémonie, le pouvoir - y compris, d’ailleurs, sur celles et ceux de son propre parti qui aspirent à une refondation. L’échec d’E. Macron manifeste, une fois de plus, l’impossibilité, dans une démocratie, de penser le politique et d’agir sur lui en s’isolant dans le pouvoir. Par cette clôture sur son monde à lui, ignorant le monde réel, E. Macron montre qu’il est politiquement fou : en s’enfermant littéralement dans l’espace clos de son pouvoir, au sein de l’Elysée, il s’est de plus en plus profondément coupé du peuple et il s’est forclos : il s’est enfermé dans son pouvoir hors de la société politique dans laquelle il vit. S’enfermer ainsi hors de son identité est le signe de la psychose chez les personnes, et, de cette manière, E. Macron nous montre qu’il existe une dimension politique de la psychose, de la folie. La folie ne peut conduire qu’à l’échec, car aucune citoyenne, aucun citoyen, ne peut se reconnaître dans un fou.

L’affirmation de l’engagement à droite de la politique d’E. Macron

Deux faits, toutefois, manifestent une orientation « à droite toute » de la politique menée par E. Macron. Le premier de ces faits est l’expression obsessionnelle du refus d’un gouvernement de gauche dans lequel figureraient des Insoumis. En réalité, derrière ce refus, c’est une politique réellement de gauche auquel s’oppose le président. Il ne cherche l’association de la gauche à un futur gouvernement qu’à condition qu’elle se soumette à sa recherche de compromis, à l’élaboration d’une politique de compromission, le nom que l’on peut donner, dans d’autres lexiques, à une politique de « ni-ni ». Mais, en réalité, ce refus des Insoumis ne fait que masquer la recherche d’une politique de droite à laquelle ne seraient associées des personnalités issues de partis de gauche qu’à condition de se soumettre aux orientations de droite imposées par le président : qu’à condition d’accepter de perdre leur identité politique de gauche. L’autre fait est plus simple : il s’agit de la recherche d’une association avec les Républicains. Une telle association aurait le mérite de la clarté et c’en serait fini de la fausse identité « ni-ni » d’un macronisme ni de droite ni de gauche. Mais il este un obstacle à une telle orientation : elle risquerait de faire fuir de Renaissance les quelques personnalités croyant encore à la possibilité d’infléchir la politique du président vers un peu plus de gauche et de solidarité et un peu moins de soumission aux exigences des patrons. Cela pourrait affaiblir encore davantage un part déjà bien faible.

L’autre échec d’E. Macron : une politique sans issue

Un autre échec majeur d’E. Macron est là : ce n’est pas seulement lui-même qu’il a, par sa politique, enfermé dans une folie sans issue, mais c’est la politique toute entière de notre pays qu’il a privée d’issue, de liberté, de moyen d’agir. En effet, à présent, nul ne sait comment se libérer de la crise suscitée par les choix du président. À l’issue du deuxième tour des élections législatives, trois forces politiques sont à peu près équivalentes. La gauche arrive en tête, les macronistes en deuxième position et le R.N. en troisième, et aucune de ces forces ne dispose d’assez de sièges de députées et de députés pour être en mesure de gouverner. Le blocage dans lequel E. Macron a enfermé le pays est total. Pour gouverner, un acteur politique doit, par conséquent, se livrer aux petits jeux classiques des négociations, des échanges, des compromissions que notre pays avait bien connus sous le régime qui, de 1946 à 1958, avait gouverné la France en la rendant prisonnière des petits jeux entre partis. « Tu me donnes tes voix pour faire passer ce projet de loi et je te donne des arrangements avec le projet pour qu’il te convienne ». Voilà ce que pourrait bien devenir la politique sous le règne sans avenir d’E. Macron. Finalement, là se trouve, sans doute, l’échec le plus grave d’E. Macron : il aura pratiquement détruit la vie politique de la France après en avoir clivé la société et en avoir détruit l’économie et les capacités d’échanger et de produire. Par sa décision politique sans avenir de dissoudre l’Assemblée, le président a choisi de mettre fin à l’existence d’une véritable démocratie dans notre pays, en jouant à celui qui pouvait exercer son fantasme politique du pouvoir sur le temps et sur les institutions. Mais faisons attention aux mots que nous employons tellement que nous finissons par en perdre le sens : « dissoudre », ce n’est pas seulement un acte institutionnel de pouvoir, cela consiste à faire disparaître, comme on dissout un comprimé dans de l’eau. Au fond, ce ne sont même pas seulement les institutions qu’E. Macron cherche à dissoudre, c’est le peuple lui-même. En 1953, Brecht explique que la seule solution, pour les régimes totalitaires contre lesquels il a résisté toute sa vie et dans son théâtre, est de « dissoudre le peuple ». Peut-être est-ce à cela que Macron rêvait en dissolvant l’Assemblée : il s’est simplement trompé de dissolution. À moins qu’il ne se soit dissous lui-même, avec sa politique sourde, muette et aveugle, sans paroles, sans mots et sans regard.

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