Faire du neuf avec du vieux
Au cœur de la crise politique formée par le rejet du projet de budget pour 2026 et par la motion de censure ayant mené à la démission de F. Bayrou, E. Macron a choisi la provocation : au lieu d’entendre la voix de la protestation, il a choisi de nommer à la tête du gouvernement et de charger de le composer le ministre de la défense du gouvernement de F. Bayrou, S. Lecornu. C’est une insulte à toutes celles et à tous ceux, parlementaires et simples citoyens, qui, pour les uns, avaient rejeté le projet de F. Bayrou et appelé à la démission de son gouvernement, et, pour les autres, ont choisi de dire, le lendemain de cette nomination, leur protestation, en-dehors des partis, mais bien décidés à « tout bloquer ». En tentant ainsi de donner l’illusion qu’il fait du neuf avec du vieux, E. Macron ignore la voix des élus et celle du peuple, il fait comme s’ils n’existaient pas, il ordonne la politique de notre pays à sa seule convenance, enfermé dans une sorte de « psychose politique » dans laquelle il se montre forclos depuis des mois et des années. À cette forclusion d’E. Macron dans ses affirmations idéologiques et dans son incapacité à écouter la voix du débat, et même à l’entendre, sans doute faut-il ajouter, dans le choix de S. Lecornu pour diriger le gouvernement, le poids de l’éducation privée catholique dans l’identité idéologique et culturelle d’E. Macron, de F. Bayrou et de S. Lecornu, qui manifeste une orientation de l’exécutif.
Qui est Sébastien Lecornu ?
Ce nouveau premier ministre est un jeune. Il fut l’un des plus jeunes dans toutes les fonctions qu’il a occupées, au conseil général de l’Eure ou au gouvernement, dans les diverses attributions qui ont été les siennes depuis qu’il est entré au gouvernement d’E.Borne. Surtout, il est ce que l’on peut considérer un proche du président de la République. Sans doute y a-t-il, dans le choix d’E. Macron, l’intention de laisser le moins possible de liberté et de pouvoir de décision au chef du gouvernement. Moins d’un partage du pouvoir avec le premier ministre, il s’agit là, pour E. Macron, de continuer à régner sur le pays en conservant une forme d’autorité sur le premier ministre, et, au-delà, sur son gouvernement. On sait, d’ailleurs, que S. Lecornu avait été le premier choix d’E. Macron en 2024, et que F. Bayrou s’était imposé. « Il parle avec tout le monde, de La France insoumise au RN », dit de S. Lecornu le député (Renaissance) du Cher François Cormier-Bouligeon, cité par Alexandre Pedro, Nathalie Segaunes et Elise Vincent, dans Le Monde, du 10 septembre. « Il est l’antithèse du sectarisme ». Mais cette recherche affichée du consensus, désignant l’absence de confrontation et la réduction du rôle des partis et des identités politiques, pourrait bien s’avérer un piège, car ce goût du compromis peut aussi révéler une absence de décision. Par ailleurs, cette recherche du compromis, cette sorte d’indécision, qui semble caractériser le nouveau premier ministre fait partie des éléments qui peuvent renforcer le rôle du président de la République dans la conduite de la politique de notre pays, et, donc, de diminuer celui du premier ministre. À la question « Qui est Sébastien Lecornu », on pourrait bien répondre, ainsi que c’est quelqu’un qu’Emmanuel Macron a choisi parce qu’il pense qu’il ne le gênera pas, qu’il ne l’empêchera pas de régner. Un tel premier ministre peut renforcer le caractère monarchique qu’E. Macron est décidé à donner au président. Un dernier trait qui permet de situer le nouveau premier ministre est qu’il n’a jamais eu de véritable métier : sa seule activité dans la société a été d’être collaborateur d’élus ou de ministres, et, en-dehors de cela, il n’a encore été, dans sa vie, que collaborateur d’élu, d’élu lui-même, ou ministre. En ce sens, il s’agit d’un « homme du sérail », d’un « homme d’appareil », d’un « apparatchik » comme on le disait au temps du stalinisme. Cela contribue à une posture détachée de la réalité, un peu « hors sol » comme on dit aujourd’hui, qui ne pourra pas ne pas avoir d’incidence sur sa façon d’exercer les fonctions de premier ministre.
L’urgence : élaborer un budget pour 2026 et le faire adopter par le Parlement
C’est sur la question du budget que le gouvernement de F. Bayrou est tombé. C’est toujours la véritable urgence de ce gouvernement nouveau. Pour que le budget puisse être adopté par le gouvernement, puis par le Parlement, mais pour qu’il puisse être adopté par le peuple français, c’est-à-dire pour qu’il ne fasse pas l’objet d’un rejet populaire avec les protestations et les manifestations que cela implique, le gouvernement de S. Lecornu a du travail à faire. Il ne s’agit pas d’une simple opération institutionnelle : c’est tout un projet économique et politique qui est à repenser, de nature à garantir la fiabilité économique de notre pays, mais surtout à imaginer une nouvelle politique fiscale. C’est que la fiscalité a deux rôles dans la politique d’un pays, du nôtre comme celui des autres : elle donne à l’État les ressources dont il a besoin, et elle tente de contribuer à réduire les inégalités. Sur ce point, le projet de F. Bayrou et des ministres en charge de la politique économique de la France et de sa politique fiscale, Eric Lombard et Amélie de Montchalin, avait échoué. Sur ces différents aspects, le nouveau projet de budget élaboré par le gouvernement de S. Lecornu a encore tout à refaire. Mais, au-delà, il lui faudra aussi repenser les orientations de l’exécutif dans tous les domaines de l’action de l’État. Le budget permet toujours de lire les choix de l’exécutif d’un pays, de les comprendre, de leur donner une signification politique, et c’est pourquoi il s’agit toujours d’une tâche importante sur laquelle le gouvernement est attendu par le pays et par ses partenaires internationaux - surtout quand il s’agit, comme aujourd’hui, d’un gouvernement qui vient de prendre ses fonctions.
Repenser le rôle du président de la République
Sans doute E. Macron a-t-il une grande responsabilité dans l’échec de F. Bayrou - mais aussi dans cette valse aberrante des gouvernements pendant ses deux mandats. En ne choisissant pas des premiers ministres qui durent, il manifeste sa propre absence de décision, une sorte d’incapacité à choisir, ne serait-ce que clairement entre la gauche et la droite, ce qui montre, qu’en fin de compte, il se situe clairement à droite. On a déjà pu remarquer à de nombreuses reprises le choix du retard, du délai, du report de la décision. Cela pousse à réfléchir sur la personnalité d’E. Macron, mais aussi, au-delà, sur le rôle du président de la République. En choisissant, au moment de son élaboration, en 1958, de donner de grands pouvoirs au président mais en chargeant le gouvernement de « déterminer et de conduire la politique de la Nation » (art. 20), la Constitution a, en quelque sorte, fait le choix d’un Janus exécutif, d’un exécutif à deux têtes. Certes, la gouvernement décide la politique du pays, mais il est nommé par le président, qui entend conserver un pouvoir sur lui. La crise ouverte par la censure du gouvernement de F. Bayrou, puis une autre crise qui pourrait être engagée, elle, par le choix de Sébastien Lecornu, manifestent des indécisions qui, elles, ne sont pas propres à E. Macron, mais caractérisent notre régime. Peut-être ces crises seraient-elles l’occasion de repenser le rôle du président de la République, de diminuer ses pouvoirs, de mieux définir le partage, finalement, qui ne se situe pas entre deux chefs de l’exécutif, mais bien entre un exécutif qui représente et un exécutif qui décide. Ce n’est pas au président de choisir la politique de notre pays et de la mettre en œuvre, c’est le rôle du premier ministre. Le rôle du président est de représenter le pays, ce qui permet de comprendre son rôle dans la politique étrangère. Nous allons en avoir une illustration lors du choix de reconnaître effectivement l’état palestinien lors de l’Assemblée générale de l’O.N.U. prochainement. Il s’agira d’une épreuve de la capacité du président de décider et de porter la voix de notre pays devant les autres. Ce monarque républicain qu’E. Macron a choisi de devenir, dès son élection, et de plus en plus, transforme notre pays, qui était encore une démocratie, en une sorte de monarchie élective. Même s’il est élu, et, surtout, même si son nombre de mandats est limité, n’en déplaise à certains comme R. Ferrand, le rôle du président, quand il est incarné par l’acteur E. Macron, est bien de tenter d’en finir avec la démocratie et de faire redevenir notre pays ce qu’il fut à d’autres moments de son histoire : une monarchie. Nous n’en sommes pas encore à la dictature. Le choix de S. Lecornu dans les fonctions de premier ministre va accroître cette tendance de notre république à cesser d’être une démocratie quand on fait croire à son peuple qu’il est menacé ou qu’il est en crise. Une telle dérive rend de plus en plus important le recours à des contre-pouvoirs qui en soient vraiment, sans se limiter à des manifestations de colère comme le « Bloquons tout ».