Une décision qui relève plus de l’entêtement que du choix politique
Le choix de nommer de nouveau premier ministre S. Lecornu, alors que personne, y compris le principal intéressé, n’adhérait à ce choix n’est pas seulement la marque d’un « pouvoir personnel » : il est la marque d’une fermeture sur soi, signe, elle-même, d’une sorte de folie. La décision d’E. Macron a été prise par un homme seul, qui s’enferme ainsi hors de l’espace politique. Un tel entêtement, cette façon de s’enfermer hors de l’espace de la rencontre des autres porte un nom : la forclusion. Mais on sait bien que la forclusion, cet « enfermement dehors » (c’est ce que signifie, étymologiquement, le mot forclos - clos signifie enfermé et fors signifie dehors), est la marque de la psychose. On peut même se demander, d’ailleurs, si un tel choix est encore une décision, une forme d’exercice du pouvoir, ou s’il ne s’agit pas, plutôt, d’une forme de folie. En décidant de nommer de nouveau S. Lecornu premier ministre après une crise politique qui dure déjà depuis bientôt une semaine depuis la démission de S. Lecornu, mais, en réalité, depuis le 8 septembre, plus d’un mois, depuis la démission de F. Bayrou, E. Macron ne manifeste pas tant un mépris des institutions démocratiques qu’un déni de ce qu’elles essaient de lui faire comprendre. En ignorant ainsi les pouvoirs démocratiques des autres institutions, en ignorant les contre-pouvoirs, E.Macron se prend pour un monarque, un décideur seul, dans une sorte de tour d’ivoire, celle de l’Elysée peut-être, mais surtout, celle de sa folie.
L’absence de parole, de communication, d’échanges
J’avais déjà noté qu’E. Macron n’avait pas prononcé de discours depuis le début de la « crise » gouvernementale. Mais ce que je prenais alors pour une conception du pouvoir, discutable certes, mais encore de l’ordre du politique, était, en fait, une marque de refuge dans le silence, c’est-à-dire d’un signe de folie. I. Ramdani, dans Mediapart de ce matin du 11 octobre, cite des collaborateurs du président, des acteurs politiques, notamment proches de lui, qui évoquent cet enfermement, cette impossibilité de discuter, cette volonté de ne pas se soumettre au débat et au partage des décisions. À propos de la nouvelle nomination de S. Lecornu, on peut aussi parler de choix et de décision imprévisibles. Ils sont imprévisibles justement parce que personne ne s’attendait à un tel choix qui relève de la folie. C’est parce que nous sommes dans la folie que nous ne sommes plus dans la prévision ni dans le débat politique. E. Macron se mure dans le silence de l’absence de communication et dans le déni de l’autre, en s’enfermant hors de l’espace public.
Un enfermement dans une politique sans projet
De la même manière, en dénonçant l’enfermement de la politique macronienne dans des choix sans projet, on désigne une sorte de folie politique. Un tel enfermement fait du politique un fantasme de pouvoir. Il ne s’agit pas de la réalité d’un exercice du pouvoir contestable mais assumé par une personne qui exprime son identité politique, mais d’un fantasme de pouvoir caractéristique de la folie d’une politique sans projet, sans choix, sans orientation véritable. Au fond, peut-être ce qui motivait E. Macron quand il s’est présenté pour la première fois à l’élection présidentielle de 2017, n’était-ce pas tant la politique que la seule recherche du pouvoir. C’est pourquoi il s’est présenté sans avoir jamais milité auparavant. S’il avait été réellement impliqué dans la politique, s’il s’était engagé politiquement, il aurait appartenu à un parti comme les autres présidents de la 5ème République et des républiques précédentes. Ainsi, de Gaulle s’était engagé dans la lutte pour la Libération, même s’il n’avait jamais été élu, G. Pompidou avait été un soutien de de Gaulle et un de ses ministres, V. Giscard d’Estaing s’était engagé, au sein des Républicains indépendants, dans la droite libérale, F. Mitterrand avait transformé l’ancienne S.F.I.O. en un parti socialiste portant ce nom, J. Chirac s’était engagé auprès de G. Pompidou et avait été maire de Paris, N. Sarkozy avait été engagé à droite, notamment avec J. Chirac, et F. Hollande avait milité au P.S. E. Macron n’avait rien connu de tout cela. C’est ainsi que l’on peut dire que, pour lui, l’engagement politique relève plus du fantasme du pouvoir que de la démarche politique.
Des signes anciens que l’on peut comprendre mieux à présent
De nombreux signes que l’on percevait depuis longtemps peuvent se lire à présent comme des signes de folie. Le premier signe public avait été le choix de nommer son soi-disant mouvement « En marche », dont le sigle se confondant avec ses initiales. Aucun dirigeant politique n’avait imaginé, en France, de fonder un parti portant ses initiales. D’autres traits personnels permettent d’évoquer une telle forme de folie, même si je ne les citerai pas ici pour ne pas finir en prison, mais surtout parce que les traits caractéristiques de la folie ne sont pas pleinement reconnus ni admis dans le débat public. On pense ici au conte d’Andersen, « Les habits du grand-duc », qui raconte un souverain que des escrocs se faisant passer pour des tailleurs font semblant de lui préparer un costume original : ils le mettent nu. C’est ainsi nu que le grand-duc participe à une cérémonie publique sans que ni la cour ni le peuple assemblé ne reconnaissent sa nudité. C’est un petit enfant qui se permet, lui, de dire « Mais il est tout nu », parce qu’étant enfant, il n’est pas soumis aux codes et aux normes de la vie institutionnelle. Peut-être en sommes-nous là à présent : notre « sur-moi », pour employer, justement, un terme inauguré par Freud, exerce sur nous l’emprise d’une censure politique qui nous empêche de dire des choses pareilles.
La « folie du roi George » et les Mémoires du président Schreber
« La folie du roi George » est un film de N. Hytner, consistant essentiellement dans une adaptation, en 1995, d’une pièce de théâtre d’A. Bennett, portant ce titre. Le souverain britannique George III était atteint d’une sorte particulière de folie, non considérée comme telle mais comme une maladie organique, qui a fini par être reconnue et par conduire à l’internement du roi. D. Schreber, haut magistrat allemand publie, en 1903, les Mémoires d’un névropathe, qui sont la base d’une étude de Freud sur la psychose dans les Cinq psychanalyses (1911). Dans cet ouvrage, Freud parle du « mécanisme paranoïaque » à l’œuvre dans la vie de Schreber qui lui a permis de mener une existence institutionnelle reconnue et d’exercer des pouvoirs considérables de magistrat. Si j’évoque ces deux cas historiques, c’est pour rappeler que, dans de nombreuses situations, des formes de folie n’empêchent pas les personnes qui en sont atteintes d’exercer des fonctions politiques importantes et de disposer de pouvoirs qui leur sont reconnus. Dans des situations comme celles-là, on peut dire que les équilibres institutionnels prévus dans les régimes, dans les constitutions, dans les systèmes politiques, permettent à la vie politique de se dérouler presque normalement sans que soit reconnue la folie des personnages au pouvoir et sans que leurs décisions soient réellement contestées - ne serait-ce que parce que, pour l’opinion et les acteurs politiques, reconnaître de telles folies serait une manière de reconnaître leur soumission à un souverain fou.
La même folie que celle de D. Trump ?
On est frappé par la similitude de nombreux traits de la politique menée par E. Macron avec la politique de Donald Trump aux États-Unis. Dans le cas de D. Trump, il s’agit de cette manière de tout dominer, de tout régenter en régnant de façon absolue sur les États-Unis et, en plus, en racontant toutes ses aventures et toutes ses décisions dans un blog qu’il ne consacre qu’à lui. Les contre-pouvoirs américains ont du mal à le contrôler, à le freiner dans les excès de ses ambitions et de ses décisions. On peut, ainsi, se demander, en fin de compte, si, dans ces deux cas, c’est le pouvoir qui rend fou ou si l’on ne peut rechercher, de cette manière, un pouvoir absolu que si l’on est fou. Il y a des moments où l’on a le sentiment d’une porosité entre la folie et le pouvoir. En effet, la recherche et l’exercice du pouvoir présente un caractère essentiel commun avec ce que l’on appelle la folie : l’impossibilité de se reconnaître en l’autre, de s’inscrire dans la logique du miroir, fondatrice de la personnalité. On ne peut s’identifier à l’autre parce que, justement, le propre du pouvoir est de conférer à celui ou à celle qui le détient une identité différente de celle des autres, car elle est considérée comme supérieure à elle. Peut-être en sommes-nous là avec E. Macron ; c’est en tout cas la question que je voudrais poser ici.
Note : Si, malgré mes précautions, je vais quand même en prison, je remercie celles et ceux qui me feront l’amitié de m’apporter des oranges de choisir des Navel, ce sont celles que j’aime le mieux, de préférence bio.