Bernard Lamizet (avatar)

Bernard Lamizet

Ancien professeur à l'Institut d'Études Politiques de Lyon

Abonné·e de Mediapart

370 Billets

1 Éditions

Billet de blog 11 décembre 2025

Bernard Lamizet (avatar)

Bernard Lamizet

Ancien professeur à l'Institut d'Études Politiques de Lyon

Abonné·e de Mediapart

LA FOLIE DU ROI DONALD

Bernard Lamizet (avatar)

Bernard Lamizet

Ancien professeur à l'Institut d'Études Politiques de Lyon

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les faits et l’annonce

C’est donc dans Le Monde du 5 décembre que nous apprenons les faits. S’estimant avoir été diffamé, il demande « entre un et cinq milliards de dollars » à la chaîne britannique, comme on fait des courses au marché. Dans le « entre un et cinq milliards de dollars », il y a une sorte de marchandage, d’usage d’une espèce de pifomètre politique utilisé par le président des États-Unis, qui, ne l’oublions pas, fut agent immobilier avant d’être président, et cela explique cette tendance à l’approximation de l’évaluation. Pour D. Trump, la diffamation s’évalue à la louche et, sinon au mètre carré (car le discours des médias n’est pas une surface), en tout cas à une mesure de marché. Rappelons tout de même, car il ne faudrait pas l’oublier, l’événement, bien réel, lui, qui est au point de départ : le 6 janvier 2021, D. Trump avait tenté de prendre d’assaut le Capitole avec une bande de partisans pour empêcher la validation du résultat de l’élection présidentielle qui avait vu la victoire de D. Biden. Les faits concernés par la réclamation judiciaire annoncée du président des États-Unis sont donc un événement qui s’est réellement produit et une illustration humoristique de cet événement, une sorte de caricature audio-visuelle comme il s’en trouve dans l’espace public à propos de tous les événements et de tous les propos que l’on attribue aux détenteurs des pouvoirs. Il s’agit, somme toute, de la mise en œuvre de la fonction politique classique des médias : annoncer, interpréter, dénoncer les abus de pouvoir ou les actions contrevenant aux normes et aux usages légitimes de la vie politique.

Qu’est-ce que la « diffamation » ?

La diffamation désigne une représentation par laquelle un discours ou une image porte atteinte à la « fama », à la réputation du personnage qu’elle vise. En diffamant quelqu’un, un discours donne de lui une mauvaise image, et, en estimant qu’il est victime d’une diffamation, ce personnage se considère comme discrédité, il estime qu’il ne se voit plus reconnaître, dans l’espace public, la valeur qu’il pense être la sienne. La diffamation consiste donc dans une confrontation entre deux jugements, entre deux opinions, d’une personne. Rappelons-nous les mots de Beaumarchais sur la calomnie dans « Le Barbier de Séville », mis en musique par Rossini dans l’opéra qui porte ce nom et qu’il avait composé, justement, à partir de la pièce de théâtre. L’importance ou la gravité de la calomnie ou la diffamation est à la mesure de l’étendue de l’espace public dans lequel elle est diffusée. Mais la gravité de la diffamation est aussi à la mesure de l’importance du personnage qui en fait l’objet et de la puissance de sa légitimité. Plus un acteur public est important - ou se croit important - plus est grave la diffamation dont il s’estime victime. C’est pourquoi, comme, Donald Trump fait de son conflit avec la B.B.C. une histoire de boutiquier, il va falloir donner une sorte de prix à la diffamation : il inaugure une nouvelle figure de la communication politique, celle du marché de la diffamation. Mais ce qui est important dans la question de la diffamation, c’est qu’elle introduit une figure de la limite de la relation à l’autre dans l’information et la communication. Au-delà, c’est bien pour cela qu’il s’agit d’une limite, la diffamation peut être considérée comme une sorte de violence, non pas physique, certes, mais d’ordre symbolique.

D. Trump ne connaît pas l’idée de limite

Le problème soulevé par l’aventure trumpienne de la « diffamation » est justement celui de la limite. On peut concevoir que le droit de l’information fixe des limites, comme, par exemple, ce qui interdit les discriminations et, ainsi, menace la cohésion de l’espace public On peut aussi reconnaître l’importance de la la limite interdisant la diffamation quand elle s’appuie sur des informations fausses. Mais, dans le cas de la confrontation entre la B.B.C. et D. Trump, ce dernier semble ne pas connaître la notion même de limite, en réclamant, comme il le fait, des sommes d’argent comme au hasard, sans se soucier de la crédibilité ni de la légitimité de sa revendication. Ce déni de la limite ne se manifeste, d’ailleurs, pas seulement dans cet épisode de la diffamation imaginée : il se mêle de tout, intervient dans tous les domaines, s’estime fondé à donner son avis sur tout, qu’il s’agisse de la guerre de Gaza, de la guerre d’Ukraine, du rachat de Warner par Netflix. D. Trump se considère comme un monarque absolu régnant sur tout. C’était un peu un personnage comme lui qu’Alfred Jarry avait mis en scène sous les traits du Père Ubu dans Ubu Roi, en 1896. Mais, en ignorant la notion de limite, D. Trump ignore aussi l’idée même de loi : il ne sait pas ce qu’est le droit international et ignore les limites assignée à nos actes par la loi. C’est que la loi consiste dans des mots porté sur la réalité, et D. Trump n’est pas dans les mots, mais seulement dans la violence du rapport de forces. En ignorant ce que sont la loi et la mesure, le président américain est comme un enfant qui ne sait pas encore ce qu’est la loi et qui est, justement, à l’époque de son apprentissage. Le problème, c’est que, quand le pouvoir ne connaît pas de limite, ce sont les peuples qui sont menacés par ses excès. Si D. Trump ne connaît pas la figure de la limite, il pourrait, par exemple, appuyer sur un petit bouton dont l’usage aurait de conséquences incalculables pour le monde. 

Ni limite ni loi ni culture

L’absence de limites et de loi, c’est, finalement, l’absence de culture. Les mots, les médias, la culture, gênent D. Trump, ils sont des limites à sa folie. Peut-être, d’ailleurs, justement, est-ce l’affaiblissement des acteurs de la culture qui, aux États-Unis, a permis à D. Trump d’en venir à cette folie de la puissance sans limite. Cette perte de limite qui caractérise la conception du pouvoir et du politique de D. Trump revient au déni de l’existence même de l’autre. En ignorant ce qu’est la limite et en croyant qu’il lui est possible d’étendre son pouvoir sans limite, D. Trump ignore l’existence même de la personne de l’autre. Se croyant sans limites, il se croit seul au monde, et c’est justement cela que manifeste l’ignorance des mots, de la parole, de la loi. Mais ne nous trompons pas : si le président américain pousse le déni de l’autre à un point particulièrement aigu, c’est le devenir contemporain du système capitaliste tout entier qui est parvenu à perdre l’idée de limite. Le capitalisme contemporain s’est développé sans se heurter aux limites des contre-pouvoirs, sans se trouver confronté à des formes de résistance. L’urgence est là. Dans l’espace public mondialisé (sans se limiter aux États-Unis de D. Trump), nous devons tous nous ressaisir et prendre conscience de l’impératif de faire face en mettant en œuvre des stratégies et des actions de résistance.

Le fétichisme de la casquette

Illustration de l’absence de loi pour D. Trump et de sa folie, l’image qu’il donne souvent de lui arborant sa magnifique casquette rouge dotée des mots de sa devise, « Make America great again » représente, en réalité une forme de fétichisme. Un tel fétichisme consiste, d’abord, dans la fixation d’une image du personnage en quelque sorte systématiquement doté de cette casquette devenue un objet fétiche qui lui permet de représenter son personnage par un objet au lieu de l’être par une véritable image comme un portrait : cette casquette est un objet prenant la place d’une véritable image symbolique, ce qui est le propre du fétichisme. Mais il y a plus loin : en arborant cette casquette, le président américain se donne l’apparence d’un héros doté, comme tous les héros de contes ou de BD, d’une image de soi associée en permanence à son personnage, comme la casquette du capitaine Haddock ou le menhir d’Obélix. Sauf que nous ne sommes pas dans une bande dessinée mais dans la réalité politique d’une mise en scène d’un acteur de pouvoir. Enfin, le fétichisme de la casquette, une fois encore comme dans tous les cas de fétichisme, remplace les mots par des objets. Il s’agit donc d’une manière de plus de mettre fin au débat et à l’échange symbolique - au-delà de mettre fin au politique. Le fétichisme est une régression à un état religieux antérieur aux exigences et aux représentations du politique. 

Le risque : celui de la soumission à la folie

Le danger n’est pas seulement celui de l’aveuglement de D. Trump. En menant ce genre de pratiques et de paroles, l’inventeur du mouvement MAGA (« Make America great again »), perd le sens des limites et bascule dans la folie. La B.B.C. refuse de se soumettre au diktat de D. Trump, mais si elle n’y parvient pas ? En refusant de se soumettre à aucune limite, et en ne rencontrant contre lui aucune résistance, D. Trump pourrait abolir toute loi et toute rationalité. Le politique et la vie sociale se verraient tout entière soumises à une forme de folie. Le véritable danger est là : que le monde tombe tout entier dans la folie du roi Trump, qu’il cesse d’être un espace de parole, de mots, de loi et de débats. Le danger est que nous ne nous retrouvions dans un monde qui, devenu fou, ne serait plus un monde de femmes et d’hommes conscients.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.