Les cow-boys, les trumpistes, les bolsonaristes et les anciennes Amériques
Finalement, le projet de D. Trump et de ses partisans ne consistait pas en autre chose qu’en un déni de l’État et de la loi. En vouant prendre d’assaut le siège du Congrès, ces fanatiques de la droite et de l’extrême droite ne cherchaient qu’à ressusciter le mythe des cow-boys et du Far West. Les cow-boys, ces sortes d’ouvriers de l’élevage entendaient éliminer ceux que l’on appelait « les Indiens » qui étaient là avant eux et qu’ils voulaient exterminer afin d’achever la « conquête de l’Ouest » entreprise par les premiers occupants d’origine européenne de l’Amérique du Nord, des Etats-Unis qui venaient de naître. Ce que Trump et ses partisans n’ont jamais admis, c’est que les « cow-boys » et les activistes de l’extrême droite des Etats-Unis, c’est que la conquête de l’Ouest soit contexte, sous la forme de la limitation de leurs droits et de leurs pouvoirs. Au fond, c’est, tout simplement, la loi, qu’ils ne supportent pas.
Au Brésil, il s’est passé à peu près la même chose. Ce que les bolsonaristes n’ont pas accepté, c’est la victoire d’un partisan de la gauche, d’un fils d’ouvriers. Avec cette victoire, ce que les partisans de Bolsonaro n’ont pas accepté, c’est la remise en question de la conquête du Brésil par les colonisateurs d’origine portugaise et l’extermination des peuples qui habitaient ce pays avant leur arrivée. Lula a toujours pris position clairement pour que soient instituées des procédures et des lois destinées à rembourser la dette des brésiliens d’origine européenne envers les habitants qui vivaient dans ce pays avant leur arrivée.
Les trumpistes et les bolsonaristes n’ont jamais accepté la dénonciation des méfaits de la colonisation, ni, d’ailleurs, la contestation du principe même de la colonisation, cette sorte de vol à l’échelle de pays tout entiers. C’est bien pourquoi on a pu lier les deux événements comme les manifestations de cette violence qui, faute de langage et de culture, est tout ce qui reste à ces activistes et à ces voleurs de pays pour se manifester et exercer un pouvoir qu’ils croient détenir, en-dehors du politique.
La fausse légitimation de la violence par la religion
Mais on peut rapprocher cette violence d’une autre : l’assassinat de militants et de personnes engagées politiquement par les autorités au pouvoir en Iran. Dans ce pays, ce n’est pas la conquête qui est supposée servir de légitimité aux acteurs qui disposent des pouvoirs, mais c’est la religion. C’est ainsi que les islamistes tueront les moines de Tibéhirine en 1996. En Algérie comme aujourd’hui en Iran, ce que l’on appelle « l’islamisme radical » se pare des prétextes de la défense de la religion pour perpétrer ses crimes. Aujourd’hui, en Iran, des femmes et des hommes ont été mis à mort parce qu’ils n’obéissaient pas totalement aux préceptes édictés par les islamistes au pouvoir au nom de la religion, alors qu’en réalité, ils légitiment par la religion la violence qu’ils mettent en œuvre, là encore faute de culture, de langage, de débat - et de politique. Jamais dans l’histoire, la religion n’a pu légitimer la violence, alors qu’elle a poussé des fanatiques à la guerre, à la destruction, à la mort. Peut-être, finalement, la violence de l’islamisme radical n’est-elle que le prix que nous payons pour avoir colonisé ces pays, pour avoir censuré leur culture musulmane, pour les avoir maintenus en esclavage, notamment par les migrations de travail qui n’étaient rien d’autre qu’une poursuite de la colonisation par d’autres moyens. Les radicalités religieuses sont aussi à l’œuvre dans la conquête de la Palestine par Israël au nom d’une suprématie du monde juif et de la culture juive, alors que, cette fois encore, la culture est là, au contraire, pour qu’il soit mis fin à la violence et à la guerre.
Une mondialisation de la violence
Ces figures de la violence ne sont que la manifestation de ce que l’on peut appeler la mondialisation de la violence. À la mondialisation de l’hégémonie du capitalisme et de la colonisation, semble répondre la mondialisation de la violence : j’écris « semble répondre », car il n’y a pas de réponse dans ces événements parce qu’il n’y a pas de langage. La violence est, précisément, l’abandon du langage et de la relation à l’autre. La violence de D. Trump n’est que le retour de la violence des cow-boys décidés à exterminer les Indiens pou s’emparer de leur pays, la violence des partisans de Bolsonaro n’est que le retour de la violence mise en œuvre par les Européens (portugais au Brésil, espagnols dans d’autres pays, anglais aux Etats-Unis) pour qu’il ne reste rien de la culture qui était dans ces pays avant leur arrivée. Mais c’est ce que l’on constate : la mondialisation de cette violence, devenue mondiale parce qu’elle s’exerce aussi au nom de l’islam dans les pays de l’Afrique du Nord et du Proche-Orient. Mais, au fond, cette mondialisation n’est que la reprise, par une mondialisation de la violence sur les corps, les vies et les personnes d’une autre violence, la violence économique et la violence de l’exploitation du pétrole. La mondialisation de l’économie, qui n’est, en réalité, que la mondialisation du libéralisme et de l’hégémonie des pays d’origine européenne et nord-américaine. C’est bien pourquoi la violence des trumpistes, des bolsonaristes et des fondamentalistes iraniens n’est que le retour de flamme de la violence que nous avons imposée aux pays que nous avons conquis ou tenté de conquérir.
Et le libéralisme ?
Dans ces conditions, pourquoi parler du libéralisme, de cette culture économique de gens bien habillés, parlant des langues sans fautes, porteurs de cultures anciennes et de savoirs immenses. Les dirigeants des pays européens ou nord-américains peuvent bien assurer Lula de leur soutien et condamner les initiatives de D. Trump et ses conceptions du pouvoir, de même qu’ile peuvent bien condamner la violence des dirigeants iraniens. Il n’en demeure pas moins que, quand ils étaient au pouvoir, ils n’avaient, finalement, rien contre la fréquentation de D. Trump ou de J. Bolsonaro. Les pays dans lesquels nous vivons peuvent bien s’insurger contre la violence du radicalisme islamiste, mais cela ne les empêche pas de fréquenter l’Iran ni même de négocier avec lui sur son usage de l’énergie nucléaire. Mais, au fond, ne nous trompons pas : ce qui a permis aux pays d’Europe ou d’Amérique du Nord d’accepter ces manifestations de violence et les excès de pouvoir de ces dirigeants illégitimes au nom de la religion, c’est que le libéralisme repose sur la liberté des échanges, sur la liberté du commerce, sur la liberté des profits. C’est cette contradiction que manifestent les dirigeants comme J. Biden ou E. Macron : ils ne supportent pas les régimes autoritaires tant qu’il s’agit de politique, d’institutions, de libertés d’informer ou de s’instruire. Mais, dès qu’il commence à s’agir d’entreprises, d’énergie, de commerce ou d’échanges, les exigences cessent de se manifester. Ce que nous font bien comprendre ces événements et leur place dans le monde et dans les discours des dirigeants, c’est la coupure entre la politique et l’économie. Jamais cette coupure n’a été aussi profonde que dans notre temps parce que jamais l’accumulation du capital n’a été aussi grande et, donc, que jamais les inégalités n’ont été aussi insupportables. Il n’y a qu’une manière de mettre fin aux despotismes religieux, aux excès des cow-boys ou aux abus des colons, c’est d’en finir avec le refoulement du politique par l’économie réduite au marché, c’est de soumettre l’économie au politique. C’est la seule manière pour les habitantes et les habitants d’un pays de retrouver la liberté, l’égalité et la fraternité qui leur ont été volées au nom de la recherche du profit.