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Billet de blog 12 octobre 2023

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SUR UN CRIME DU HAMAS

Samedi dernier, le 7 octobre, le Hamas, mouvement islamiste radical palestinien, a tué de nombreuses personnes, en Israël, à la suite d’une attaque particulièrement violente. La violence et l’injustice de ce meurtre ne doivent pas nous empêcher de réfléchir.

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L’antisionisme et l’antisémitisme

Une fois de plus, cette fois par la voix de notre première ministre, les pouvoirs, les acteurs politiques, les idéologues de toute sorte, ont confondu l’antisionisme et l’antisémitisme. Il ne s’agit pourtant pas de la même chose. L’antisémitisme désigne la discrimination dont sont victimes les juifs dans beaucoup de pays, pas seulement en France, qui s’est manifestée à de nombreuses époques de l’histoire. Le nazisme, à cet égard, n’a fait que poursuivre, en l’aggravant, une discrimination qui existait avant lui, et qui se poursuivra après lui. En revanche, l’antisionisme n’est pas une discrimination, mais une opinion. Tandis que l’antisémitisme discrimine les juifs, l’antisionisme se fonde sur la contestation de toutes les discriminations, y compris celle dont se rend coupable l’état d’Israël qui cherche à s’étendre en colonisant des terres qu’il vole aux Palestiniens. L’antisionisme s’oppose à l’expansion territoriale et culturelle de l’état d’Israël, car le sionisme n’est que l’expression de la volonté d’hégémonie de certains acteurs politiques décidés à étendre et renforcer l’identité juive.

Combattre toutes les des discriminations et toutes les formes d’apartheid

Ne nous trompons pas : la politique menée en Israël aujourd’hui à l’égard des Palestiniennes et des Palestiniens n’est rien d’autre qu’une forme d’apartheid. Quand Israël a été institué, on aurait pu croire qu’il s’agirait d’un état démocratique, et, en particulier, on aurait pu croire que, dans cet état, tous les habitantes et tous les habitants seraient des citoyennes et des citoyens se voyant reconnaître les mêmes droits. Or, cela n’a pas été le cas. Les discriminations se sont aggravées au fur et à mesure des colonisations israéliennes en Palestine au cours de l’histoire de cet état. En effet, il ne s’est pas agi d’une simple colonisation comme celles qu’ont connues beaucoup de pays, mais elle s’est fondée, dès le commencement, sur la figure historique d’une sorte de rançon de l’antisémitisme - comme si c’était aux peuples colonisés par Israël de payer les conséquences politiques, sociales et culturelles infinies de l’antisémitisme dont les juifs avaient été les victimes pendant tant de siècles.

Les conséquences de la colonisation israélienne en Palestine

Sous les gouvernements de droite comme celui de B. Nétanyahou, la colonisation des territoires palestiniens s’est aggravée - à la fois en venant légitimer l’expansion de l’état d’Israël et en instaurant une politique de discrimination et d’inégalité à l’égard des habitantes et des habitants de ce pays. Parmi les conséquences de la colonisation, il faut bien sûr noter, en premier lieu, la radicalisation des arabes victimes qui en furent victimes, et qui a conduit à la naissance de partis comme le Hamas. Fondé en 1987, ce mouvement recherche l’instauration d’un état islamique dans l’ensemble de la Palestine avec Jérusalem pour capitale. Il ne s’agit, ainsi, de rien d’autre que d’une réponse à la politique d’expansion territoriale menée par Israël en Palestine, avec, sinon le soutien des puissances occidentales, au moins leur complicité dans le silence. Ne nous trompons pas : le Hamas est une organisation terroriste et criminelle destinée à répondre à la violence de la colonisation israélienne. Les propos de J.-L. Mélenchon ne disaient rien d’autre que de constater qu’à la violence ne peut succéder que la violence, et ainsi de suite. La violence, la destruction et la mort sont les conséquences évidentes de la colonisation israélienne en Palestine, ce n’est pas faire preuve d’antisémitisme que de dénoncer la discrimination dont les Palestiniennes et les Palestiniens sont les victimes dans leur propre pays. Si le Hamas a pris, auprès des Palestiniens, le poids qu’il a aujourd’hui, sans doute est-ce dû en grande partie à l’affaiblissement de M. Abbas et de l’Organisation de libération de la Palestine, qui fut, elle, un mouvement indépendantiste résolument laïc. C’est en raison de sa politique de compromis avec Israël que M. Abbas a perdu la confiance de ses compatriotes, car celle-ci n’a pas empêché l’extension de la colonisation, elle l’a même encouragée. Le Hamas est une organisation qui fait du terrorisme car les indépendantistes palestiniens n’ont plus d’autre moyen pour se faire entendre - comme le F.L.N. pendant la guerre d’Algérie de 1954 à 1962. Mais, si, en Algérie, la guerre d’indépendance a duré huit ans, les Palestiniens sont colonisés depuis 75 ans. L’implantation de colons radicalisés et l’extension de la colonisation sont des obstacles à la fin de la guerre de décolonisation en Palestine.

Petit retour en arrière sur la naissance d’Israël

En 1949, un nouvel état naît en Palestine : l’état d’Israël. Cette institution fut le prix payé par les grandes puissances, en particulier les puissances occidentales, pour tenter de compenser les intolérables initiatives du nazisme. Mais il s’est agi, ainsi, dès le débat, d’un coup de force. À l’injustice dont les juifs furent les victimes sous le nazisme, a répondu une autre injustice : celle qui fut commise contre les palestiniens à qui l’on a ainsi confisqué des terres sur lesquelles ils vivaient. Il faut, d’ailleurs, remonter plus loin. Sans doute tout a-t-il commencé en 1917. Balfour, ministre britannique des affaires étrangères, publie une « déclaration » devenue fameuse, dans laquelle il explique qu’il pourrait exister un pays juif en Palestine, sur le territoire d’un empire ottoman qui sera démantelé dans les années vingt, à l’issue de la guerre de 1914-1918. La Turquie avait choisi de soutenir les Allemands et les Autrichiens qui avaient perdu la guerre et l’empire fut divisé, les Français et les Anglais se voyant proposer de contrôler des états au Proche-Orient (le Liban et la Syrie pour la France, la Palestine pour la Grande-Bretagne). Ce dépeçage de l’empire par les puissances alliées s’était fait sur le dos des habitantes et des habitants de la région. À aucun moment, à l’époque, il ne fut question d’imaginer un état en Palestine, sinon par les mots de Balfour, qui ne seront suivis d’effet qu’à l’issue de la deuxième guerre mondiale, en 1949. Mais, en 1949, à l’issue de la première guerre de Palestine qui avait eu lieu en 1948, c’est de nouveau sur le dos des Palestiniennes et des Palestiniens que sera institué l’état d’Israël.

Le discours politique français

Mais nous sommes en France. Si, d’ailleurs, ce pays a fait partie des puissances alliées déterminées à en finir avec le nazisme, d’abord, rappelons-nous tout de même que ce ne fut pas le cas tout de suite, et, ensuite, rappelons-nous aussi que l’antisémitisme a toujours fait partie des taches de la société française (relisons La rumeur d’Orléans, d’Edgar Morin). La dernière confrontation sur cette question vient d’opposer le fondateur des Insoumis, J.-L. Mélenchon, et la première ministre, E. Borne. « L’offensive armée de forces palestiniennes menée par le Hamas intervient dans un contexte d’intensification de la politique d’occupation israélienne à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est », a ainsi affirmé dans un communiqué le groupe parlementaire des Insoumis, à la suite de l’attentat du Hamas. J.-L. Mélenchon a ajouté : « toute la violence déchaînée contre Israël et à Gaza ne prouve qu’une chose : la violence ne produit et ne reproduit qu’elle-même » et « Horrifiés, nos pensées et notre compassion vont à toutes les populations désemparées victimes de tout cela. Le cessez-le-feu doit s’imposer ».  Madame la première ministre Elizabeth Borne a interprété ces propos comme une forme d’antisémitisme, avec ces mots, au cours d’un entretien avec BFM-TV cité par Le Monde : « Les positions de La France insoumise sont bien connues, avec beaucoup d’ambiguïté, avec de l’antisionisme, donc en effet, c’est parfois une façon aussi de masquer une sorte d’antisémitisme ». C’est ainsi que la première ministre mélange tout, oubliant de parler de la discrimination dont les Palestiniens sont les victimes de la part d’Israël. Comme souvent en France, il y a deux poids et deux mesures. Probablement cette inégalité à l’égard des arabes de Palestine n’est-elle que l’héritage de la colonisation française dans des pays arabes qui a accentué dans notre pays la discrimination vis-à-vis de celles et de ceux qui sont venus vivre et travailler dans notre pays. Il est temps que le discours politique français change de mots et de logiques. 

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