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Billet de blog 13 juillet 2023

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LA PULSION POLITIQUE DE MORT

Jusqu’à ces temps derniers, je croyais qu’il existait une séparation entre ce qui est de l’ordre de la pulsion et du désir et ce qui est de l’ordre du politique. Je commence à avoir des doutes.

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Une pulsion politique de mort

Commençons par deux petits vers de Victor Hugo, dans « Les Châtiments » : « Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent, ce sont ceux dont un dessein ferme emplit l’âme et le front ».La pulsion politique de mort a, d’abord, dans l’histoire, pris la forme de la privation de liberté, qui revient à la mort politique de l’individu, de l’institution ou du pays qui en est victime. La colonisation a mis en œuvre plusieurs aspects à la fois de cette pulsion : la disparition d’un pays annexé par un autre, la réduction de ses habitantes et de ses habitants à une identité d’esclaves, la disparition de sa langue ou de sa culture. Mais, au-delà, cette pulsion s’est manifestée par la faiblesse ou l’insuffisance des soins médicaux apportés par les états à des malades victimes de pandémies comme les pestes, voire, aujourd’hui, comme le COVID-19, ou encore par l’insuffisance des politiques médicales et hospitalières de certains pays. Sans doute les insuffisances contemporaines des politiques de traitement des ordures et des déchets, compte tenu des moyens qui sont à la disposition des états, sont-elles d’autres illustrations de cette pulsion politique de mort et de destruction. Aujourd’hui, des idéologies comme le macronisme sont des manifestations institutionnelles d’une telle pulsion : E.Macron n’a pas d’autre projet que celui de tout détruire, d’affaiblir l’État, de détruire les politiques comme celle des retraites, de détruire des institutions comme l’E.N.A. C’est pourquoi il est important - mais aussi urgent - de penser cette pulsion politique de mort afin de s’en libérer.

La mort et la violence politique

Par la guerre et la répression, par la violence de certaines formes de radicalité et par l’assassinat d’acteurs de pouvoir, la mort est la forme ultime de la violence politique. À la différence d’autres formes de contestation ou de confrontation, elle n’est pas destinée seulement à manifester une supériorité sur l’adversaire ou à peser sur les décisions politiques, mais elle cherche à faire disparaître l’adversaire politique en le tuant. Mais la mort est une approche particulière du politique : tandis que le politique, l’exercice du pouvoir, la manifestation de l’opposition, consistent dans la mise en œuvre d’un projet social ou dans la contestation de ce projet, la mort politique consiste à rendre impossible l’expression d’un projet, à détruire l’adversaire en le tuant. Il s’agit d’empêcher par la mort de l’autre l’expression de son projet de société.  Il ne s’agit pas d’empêcher l’expression de celles et de ceux qui manifestent une opposition, mais il s’agit de tuer celle, celui, ceux qui ne sont pas conformes au modèle que l’on se fait de la citoyenneté ou de l’appartenance sociale. Les policiers qui ont tué Nahel ne l’ont pas fait parce qu’il s’opposait à une mesure décidée par le pouvoir, mais parce qu’il n’était pas conforme au modèle européen classique de la citoyenneté française et parce qu’il voulait, justement, échapper à la menace des policiers. La violence politique consistait, dans cet événement, à empêcher la parole et le dialogue avec quelqu’un, à empêcher une personne de parler, d’exercer son droit à la parole. La violence politique consiste toujours à empêcher la parole. À l’échelle d’un pays, la pulsion de mort politique est le désir d’en détruire un autre par la guerre, afin qu’il n’en reste rien, de détruire sa langue, son système politique, son indépendance : son identité. C’est ce que la Russie a déclenché en Ukraine, non en se fondant sur l’expression d’un idéal politique, mais en manifestant son intention de conquérir l’Ukraine, de l’asservir, même s’il faut, pour cela, la détruire et tuer ses habitantes et ses habitants.

La mort et les violences policières

On n’en finit plus, aujourd’hui, dans notre pays, de compter celles et ceux qui meurent sous les balles de la police. Cela signifie que la police a changé de rôle et de signification. Alors qu’il s’agissait d’une force destinée à assurer la sécurité de celles et de ceux qui habitent un pays, elle devient aujourd’hui une force destinée à leur faire peur en manifestant une supériorité sur eux. À moins que l’on ne considère, ce qui est tout à fait possible, finalement, que cette pulsion politique de mort dont nous parlons ne soit une conception particulière de la sécurité. La sécurité ne consisterait pas dans le fait de ne pas être soumis à des menaces ni d’être conduit à éprouver de la peur : la sécurité consisterait dans l’affirmation de la persistance d’un ordre établi, dans lequel la sécurité des biens, des capitaux, des pouvoirs, passerait avant la sécurité des personnes. La mort de Nahel comme toutes celles qui l’ont précédée, ne serait pas autre chose que la manifestation ce cette pulsion politique de mort. Les violences policières ne seraient alors que l’exercice par la force publique de la violence de l’État. Tandis que Max Weber parle bien de définir l’État par son monopole de la violence légitime, il s’agirait d’un petit supplément, considérable : la violence de l’État va jusque’à tuer des personnes, mais, de ce fait même, cette violence-là de l’État cesse d’être légitime. En effet, si la guerre manifeste une pulsion politique de mort de l’État, des policiers qui tuent des personnes ne font pas la guerre : dès lors qu’ils tuent des personnes singulières, la mort dont ils sont les agents bascule du côté du meurtre, c’est-à-dire du crime.

La dimension économique de la pulsion politique de mort

Les suppressions d’emplois, les fermetures d’entreprises, la disparition de certaines productions et de certains métiers, la disparition d’une agriculture et d’une alimentation saines, figurent des pulsions politiques de mort dans une logique économique. Même si elle se pare du déguisement de la logique économique et de la logique financière, cette pulsion-là n’est pas autre chose, car il ne s’agit pas tant de permettre à une activité de s’exercer dans un pays que de faire disparaître des institutions économiques. La recherche du profit devient une pulsion de mort si elle passe par des licenciements ou par des suppressions d’activités. Au-delà, c’est le capitalisme tout entier qui constitue une expression de la pulsion politique de mort économique. Le capitalisme a, d’abord, été imaginé pour figurer une logique économique de pouvoir sur les entreprises : il passait, à ce moment initial de son histoire, par des métiers et des entreprises qui rapportaient du profit et qui, ainsi, étaient utiles à la vie des acteurs financiers. Tout semble indiquer aujourd’hui que, désormais, le capitalisme a connu une mutation considérable, sans doute avec la mondialisation. Le capitalisme se sert de la mort de certaines entreprises et du déclin de la qualité de vie des travailleuses et des travailleurs pour accroître les profits. En ce sens, c’est le capitalisme tout entier qui est devenu une logique économique et financière de mort. C’est, d’ailleurs, ce qui permet de comprendre la multiplication des accidents, voire de suicides, au travail, alors que le capitalisme, compte tenu de son développement, a tous les leviers en main pour empêcher ces morts au travail. Il s’agit donc bien d’événements figurant une forme de pulsion politique de mort.

Les politiques de l’environnement et du climat

Les politiques de l’environnement et du climat font porter la pulsion politique de mort sur l’espace dans lequel nous vivons. Cela explique que ce soit le capitalisme qui ait imaginé les politiques économiques délirantes qui nous sont imposées. Bien sûr, il faut, d’abord, parler des politiques industrielles qui menacent notre environnement depuis longtemps en détruisant la qualité de l’espace dans lequel nous vivons. Mais il faut ajouter les mutations de l’agriculture vers une agriculture industrielle qui, elle aussi, tend à détruire l’environnement en se livrant à des activités qui n’ont plus rien d’agricole, mais qui ne sont que des exploitations de la terre dans la perspective du profit est du moindre coût. Enfin, c’est le climat qui est en cause dans cette pulsion politique de mort. Nous n’en sommes plus à de la simple négligence du facteur climatique et à l’ignorance des mutations prévisibles du climat dans le réchauffement. Le fait que rien ne change malgré les appels à la raison des climatologues et des géographes n’a qu’une signification : les pouvoirs cherchent à détruire la planète, et se servent du climat pour cela. Il s’agit bien d’une forme de plus de la pulsion politique de mort dont le capitalisme est porteur. Cela tend, d’ailleurs, à inscrire la politique du climat dans cette sorte d’hégémonie du capitalisme dans laquelle nous vivons, quel que soit notre pays et quel que soit notre régime.

Comment sublimer cette pulsion politique de mort ?

On sait bien que la sublimation consiste à exprimer une pulsion sous la forme d’un idéal. Que serait, ainsi, l’idéal politique qui permettrait d’en finir avec cette pulsion politique de mort ? C’est bien la question qui se pose aujourd’hui à la raison politique. La seule façon de se libérer de cette pulsion serait d’imaginer un système politique débarrassé des contraintes dans lesquelles vivent tous les pays, de retrouver le sens de la figure de la liberté et de mettre en ouvre une politique fondée sur de la médiation, c’est-à-dire sur une dialectique entre les impératifs singuliers du désir et les impératifs collectifs de pouvoirs pleinement démocratiques. Il s’agirait aussi de libérer pleinement les personnes des contraintes de l’hégémonie du capitalisme pour retrouver des pays dans lesquels vivre hors de la violence politique et de la violence économique. Finalement, c’est le sens de la démocratie, que cette relation entre le dèmos, le peuple, et le kratos, le pouvoir dont le peuple ne doit pas être dépossédé pour que puisse vivre son pays et pour que son peuple soit libéré de la mort. Est-ce seulement possible ? Quoi qu’il en soit, cette sublimation est la seule manière de continuer à vivre pour l’humanité et pour la planète dans laquelle nous vivons.

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