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Billet de blog 14 août 2025

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COLONISATION ISRAÉLIENNE ET « CONQUÊTE DE L’OUEST » PAR LES ÉTATS-UNIS

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Deux récits différents, mais une histoire comparable

Même si l’on peut comparer les histoires des deux colonisations, celle de la Palestine par Israël et celle de l’Ouest des États-Unis, d’importantes différences les distinguent l’une de l’autre. La colonisation des États-Unis par des immigrés venus d’Europe s’est faite en plusieurs étapes. À l’origine de cette colonisation qui eut lieu à partir du XVIIIème siècle, il y eut, d’abord, les premières étapes de l’installation des Européens en Amérique. Des peuples nordiques ont habité les premiers des régions d’Amérique du Nord, puis les Français sont venus avec Jacques Cartier, instituer le Canada, suivis, pour cela, par des Britanniques. Ce sont aussi des Britanniques qui fonderont les États-Unis à la fin du XVIIIème siècle. Quant aux populations espagnoles et portugaises, elles coloniseront, elles, l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud, après la découverte de l’Amérique latine par Christophe Colomb. Mais sans doute est-ce parce que leur histoire commence avec une colonisation que les États-Unis expriment, depuis toujours, pour le moins une certaine compréhension à l’égard d’Israël et de son histoire. La colonisation de la Palestine par Israël est différente. D’abord, elle s’inscrit dans une histoire, une mémoire et un inconscient institués dans la distance d’un temps long : alors que la colonisation des États-Unis par un peuple européen ne date que d’un peu plus de deux siècles, l’histoire de la Palestine et de la confrontation entre les Juifs et les Palestiniens commence dans l’Antiquité, et, de plus, elle fait l’objet d’une histoire en quelque sorte inaugurale de la culture judéo-chrétienne dans laquelle se reconnaissent les peuples européens. Par ailleurs, la confrontation entre la culture juive et la culture palestinienne représente une expression de plus de ce qui deviendra la confrontation entre les pays colonisateurs européens et nord-américains et les pays arabes et musulmans, soumis pour un certain nombre d’entre eux à une colonisation d’origine européenne. Des inégalités économiques font partie des questions soulevées par la colonisation israélienne contemporaine de la Palestine et par la colonisation et la domination européennes d’un certain nombre de pays du Proche-Orient. Surtout ce qu’ont en commun la colonisation israélienne de la Palestine et la colonisation des États-Unis par les colons d’origine européenne, c’est qu’il s’agit, pour reprendre les termes de Y. Kezzouf (Mediapart, 13 08 25) au sujet de la colonisation française en Kanaky, d’une « colonisation de peuplement ».

L’exclusion des Palestiniens et celle des Indiens

La colonisation de l’Amérique du Nord par les États-Unis et celle de la Palestine consistent, plus que d’autres, dans une forclusion des peuples colonisés et dans leur enfermement dans des réserves. On pourrait parler de confinement, ce qui pourrait, d’ailleurs, aider à comprendre l’obsession de certains pouvoirs sur ce terme lors de crises de santé. D’autres colonisations avaient consisté dans des dominations économiques et politiques, dans des exploitations et des asservissements des populations locales, mais pas dans des éliminations et dans des refus de leur reconnaître des droits. Les Palestiniens ne sont pas différents pour Israël aujourd’hui des peuples que l’on appelait les Indiens d’Amérique du Nord pour les États-Unis. En Palestine et aux États-Unis, il ne s’agit pas seulement de coloniser et d’exploiter, mais, en réalité, finalement, d’éliminer ou d’enfermer dans des territoires. Les Palestiniens et les Indiens ne peuvent être tolérés qu’à condition d’être prisonniers dans leurs propres pays, dans lesquels ils se voient refuser leur histoire et leur culture et où ils ne sont pas soumis à leurs propres lois, mais se voient imposer celles des colons qui les ont envahis. Si l’on peut parler d’exclusion, c’est que les Indiens se faisaient tuer par les européens en train de s’installer pendant tout le cours du dix-neuvième siècle et le début du vingtième, comme les Palestiniens se font tuer par les colons israéliens au cours des guerres qui se sont succédé depuis 1948, en particulier au cours de celle que nous connaissons de nos jours. L’exclusion n’est certes pas toujours celle de la mort, mais il s’agit de l’exclusion politique et du refus de se voir reconnaître des droits comme c’est le cas des Indiens d’Amérique du Nord et des Palestiniens de notre temps.

Les « cow-boys » et les colons : une même violence

Popularisée par le cinéma et les « westerns », la vie des « cow-boys » était une vie de violence et de revolvers, de  la même manière que celle des colons israéliens. Dans ces deux situations, il s’agit de tuer pour coloniser - ou de coloniser pour tuer : la question est entière. D’autres colonisations se sont faites dans l’histoire sans qu’il ait été nécessaire de recourir à une telle violence. Sans vouloir légitimer les colonisations, qui sont toujours le vol d’un pays par un peuple au détriment d’un autre, certaines colonisations ont su se faire en suivant des logiques politiques et en maintenant un dialogue entre les pays concernés. Cependant, ce qui est commun à toutes les colonisations, c’est qu’il s’agit toujours de vols de pays, et qu’elles ont, le plus souvent, commencé par des guerres. Le fait inaugural de la colonisation est toujours la guerre, celle du refus de se voir imposer le pouvoir d’un autre pays et de se voir chasser du pays de sa naissance. Mais ce qui est commun, en plus, à la colonisation par les États-Unis et à la colonisation par Israël, c’est le déni, le refoulement, de l’existence même du peuple colonisé qui ne se voit reconnaître aucune existence, aucune légitimité et qui se voit privé de territoire. Les colonies israéliennes en Palestine ont fragmenté le territoire de ce pays, l’ont morcelé, elles se sont imposées dans tout le pays en l’empêchant d’avoir une véritable continuité territoriale, de la même manière que les « cow-boys » des États-Unis envahissaient les territoires des peuples indiens en les empêchant d’y mener l’existence de nations. Seule la violence a donné aux États-Unis la fausse légitimité d’un rapport de forces, de la même manière que, de nos jours, Israël tente de faire croire qu’il est légitime en faisant reposer l’illusion de cette légitimité sur la violence de la guerre.

Le fait religieux dans la violence colonisatrice

Les « cow-boys », comme D. Trump aujourd’hui, se légitimaient par la prédication de la Bible faite par des religieux d’un nouveau genre. De nombreuses versions du christianisme, de nombreuses soi-disant « églises » sont nées aux États-unis, au fur et à mesure de l’histoire de leur invasion. C’est par la même référence que le gouvernement Netanyahou se croit légitimé, en cherchant le soutien des partis extrémistes religieux, ceux qui se font donner le nom de « suprémacistes ». Ces deux histoires situent leur imaginaire dans les références à la religion faute de le situer dans un imaginaire de projets et d’utopies. Au fond, pour Israël en Palestine et pour les États-Unis en Amérique du Nord, le fait religieux ne joue pas de rôle véritable dans l’histoire, mais il a sa place dans l’idéologie qui fonde l’engagement politique des colonisateurs et qu’ils essaient de se faire croire légitimés par lui. Cela permet de comprendre la place de la religion, d’une manière plus générale, dans la culture politique des États-Unis, de même que dans celle d’Israël. Mais, si la religion a aussi une telle importance dans la violence colonisatrice dans ces deux histoires, c’est que l’engagement religieux occupe, dans ces deux pays, une place de guerre et de violence. La religion n’y a pas la place d’une référence idéologique et culturelle, mais celle d’une arme de violence et de guerre. Soi-disant au nom d’un engagement religieux, le gouvernement Netanyahou veut qu’il n’y ait plus un seul Palestinien en « Judée-Samarie » (puisqu’Israël refuse même de désigner la Palestine par son véritable nom), de la même manière que les colons d’origine européenne voulaient qu’il n’y ait plus un Indien en Amérique du Nord et ont imposé aux peuples du pays l’usage de leur langue. Imaginaire politique imposé, la religion prend la place de l’idéologie dans les partis de la droite extrême de Benjamin Netanyahou et de Donald Trump. On peut mieux comprendre, ainsi, la violence de l’engagement du président américain dans son soutien à Israël et celle de la politique de B. Netanyahou en Palestine : il ne s’agit plus de politique et de l’expression d’un débat mais de croyance et de l’aveuglement de la censure.

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