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Billet de blog 14 décembre 2023

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L’AVEUGLEMENT DU POUVOIR

Cette fois, l’exécutif a trouvé un obstacle sur une route dont il se croyait le maître. En adoptant une motion de rejet préalable contre le projet de loi sur l’immigration porté par G. Darmanin, l’Assemblée a infligé un échec au pouvoir.

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Que signifie le refus du débat ?

En réalité, ce n’est même pas le projet de loi qui a été refusé par les députés : ils n’ont même pas voulu en débattre. En adoptant la motion de rejet préalable proposée par un député écologiste, la majorité de l’Assemblée nationale a considéré qu’il n’y avait même pas lieu de débattre d’un projet de loi dont elle ne voulait pas entendre parler. Ce « rejet préalable » a plusieurs significations. D’abord, il signifie que l’Assemblée entend marquer son indépendance à l’égard de l’exécutif : elle a retrouvé la force de L’Esprit des lois de Montesquieu en affirmant, une fois de plus, le principe de la séparation des pouvoirs, à l’origine de la démocratie. Le pouvoir législatif s’est bien, ainsi, montré comme un contre-pouvoir de nature à empêcher l’exécutif d’exercer une souveraineté absolue. Par ailleurs, ce rejet signifie que les députés entendent marquer une limite : ce n’est pas seulement par rapport au pouvoir législatif qu’ils entendent marquer une limite aux excès de l’exécutif, mais c’est, tout simplement, qu’ils entendent exprimer le rejet du fantasme de toute-puissance qui semble caractériser le pouvoir macronien, depuis le début, et plus encore au cours du second quinquennat. Enfin, ce refus de débattre, signifie que l’Assemblée entend ne discuter, échanger, qu’avec un pouvoir légitime : c’est une véritable illégitimité de l’exécutif que le pouvoir législatif a voulu manifester de cette manière. En refusant de discuter le projet de loi proposé par le gouvernement, l’Assemblée a fait savoir que, selon elle, le pouvoir exécutif est un pouvoir illégitime. Il est impossible d’engager un débat avec un pouvoir que l’on considère comme dépourvu de légitimité démocratique. C’est, somme toute, le retour de la démocratie dans notre pays, que signifie la décision de l’Assemblée. Celle-ci a refusé de débattre dans des conditions qui lui auraient imposées par son interlocuteur, l’exécutif. La séparation des pouvoirs signifie ainsi qu’il est nécessaire, dans une démocratie, qu’entre eux, il y ait assez de confiance, de paroles, d’écoute, pour qu’un dialogue soit possible, et c’est l’absence d’écoute de la part de l’exécutif qui est à l’origine de ce qu’il faut bien appeler un blocage et un échec.

La contestation personnelle du ministre de l’Intérieur

Si les députés ont crié « Darmanin, démission ! » après avoir constaté que le dialogue était devenu impossible, c'est qu’il s’agit aussi d’une mise en cause personnelle du ministre de l’Intérieur. Au-delà du rejet d’un projet de loi dont il était initiateur, sans doute est-ce l’ensemble de la politique qu’il mène depuis le début qui a été mise en question par les députés, une politique de violences policières, de xénophobie et de rejet de l’immigration, de censures de toutes sortes. En adoptant la motion de rejet préalable, les députés ont acté l’impossibilité de débattre avec le ministre de l’Intérieur. Mais sans doute faut-il aller plus loin. Si l’on réfléchit bien, le constat de cette impossibilité de débattre avec lui rejoint le constat des violences policières avalisées - voire encouragées - par le ministre de l’Intérieur. Il ne s’agit pas seulement de son incapacité de débattre avec les députés, mais aussi de son incapacité de mener une politique démocratique, d’une conception hégémonique de sa façon de gouverner. C’est toute une politique de violences policières qui a de cette façon été condamnée par les députés dans leur rejet du débat sur la loi concernant l’immigration. À ce refus de l’Assemblée, tout ce que le ministre de l’Intérieur a trouvé à dire, c’est : « On voit bien que les LR font la politique du pire. », au sujet de la position des Républicains. Mais ces mots font apparaître la véritable signification de son projet de loi : il s’agit de désigner l’immigration comme « le pire », de faire des immigrés qui viennent travailler dans notre pays en lui portant leurs forces et leur savoir-faire le « pire » qui puisse arriver à la France. Nous sommes bien là en pleine xénophobie. La signification du projet de loi sur l’immigration apparaît, ainsi, bien comme l’expression d’une volonté de refermer la France sur elle-même.

L’aveuglement du pouvoir

Allons plus loin. Cette volonté d’ignorer la parole de l’autre a une autre dimension. C’est ici que l’on peut parler d’une sorte de psychose politique, d’une dimension politique de la psychose. C’est qu’il ne s’agit pas de penser le politique dans les logiques du psychisme, mais de faire appel à des concepts issus du discours de la psychanalyse pour repenser le politique. En effet, nous ne devons pas oublier que la psychanalyse est, avant tout, une science politique, puisqu’il s’agit d’une science appelée à penser la loi et notre rapport à la loi. Dans son discours, la psychose désigne une situation dans laquelle le sujet est dans l’impossibilité de s’identifier symboliquement à l’autre, et donc, de parler, d’échanger avec lui. Le sujet psychotique est forclos, il est enfermé « hors de lui-même » et, ainsi, il n’a pas accès aux mots, au langage, à la relation symbolique à l’autre qui lui permettraient de penser son identité en n’étant plus en mesure d’avoir accès à l’expérience du miroir. Ce qui s’est produit à l’Assemblée présente, ainsi, trois caractéristiques de la psychose. D’abord, il s’agit d’un enfermement du gouvernement dans sa détermination à imposer son projet de loi, sa version du projet de loi, sans entendre les critiques, les propositions, même issues de son propre camp, ce qui a entraîné un député Renaissance, Sacha Houlié, à avertir qu’il ne voterait pas un autre texte que celui qui avait été élaboré, notamment à ne pas voter une version durcie du texte résultant d’un marchandage avec les Républicains ou avec le R.N. Par ailleurs, au-delà, il s’agit de l’impossibilité dans laquelle s’enferme le pouvoir d’un dialogue avec l’Assemblée, qui se manifeste dans ses recours continuels au devenu fameux article 49-3 de la Constitution, qui permet d’éviter le débat en réduisant le dialogue avec le Parlement, en disant aux députés : « C’est ça ou rien ». L’article 49-3 de la Constitution a été imaginé pour neutraliser la séparation des pouvoirs en réduisant le rôle de l’Assemblée nationale à celui d’une chambre d’enregistrement Tout le monde proteste depuis le début devant ces excès de recours à cet article 49-3 de la Constitution qui revient, finalement, à une sorte de chantage imposé par l’exécutif au législatif. Enfin, il s’agit de l’aveuglement du pouvoir. Tout se passe comme si l’exécutif ne débattait pas avec le législatif, car, pour lui, les autres pouvoirs n’existent pas. Il serait le seul à être porteur d’une identité politique, alors qu’en réalité, par une telle politique, il s’enferme hors d’une conception rationnelle, démocratique, de l’identité. C’est cela, la forclusion, la Verwerfung dont parle Freud : c’est l’enfermement du sujet dans la dénégation de l’existence de l’autre. Mais, dans le même temps, il s’empêche lui-même d’être un sujet, puisque le propre du sujet, du subjectif, c’est d’être sub, sous le regard de l’autre, à l’écoute de ses paroles. Le pouvoir macronien s’enferme dans des initiatives qui ne sont destinées qu’à mettre le « chef » en valeur, il s’enferme même dans des initiatives de politique étrangère qui ne sont écoutées par personne dans les autres pays. Il nous amène à penser une dimension politique de la psychose. Dans l’impossibilité ou le refus d’un rapport à l'État et aux institutions dans lequel il s’est lui-même forclos, le pouvoir macronien est en train de devenir un pouvoir psychotique. Dans son obstination, l’exécutif aura véritablement empêché le débat parlementaire il l’aura censuré, sans être même capable de dominer son propre pouvoir qui l’aura, ainsi, dépassé. Ce que nous aura appris cette séquence du débat interdit, censuré, sur le projet de loi sur l’immigration, c’est que, finalement, dans notre pays, le pouvoir est devenu fou.

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