L’arrogance
L’oracle a parlé : c’est dans la semaine du 19 août, c’est-à-dire la semaine prochaine que le président va nommer un gouvernement. Si l’on peut parler d’arrogance, c’est qu’il faut attendre plus d’un mois pour que le président daigne annoncer qu’il va bientôt faire son travail, ce pour quoi il a été élu. Imaginez un plombier qui dirait qu’il va commencer à réfléchir à venir faire les travaux un mois après la fuite…Mais l’arrogance réside aussi dans le fait que le président, de cette manière, refuse de reconnaître qu’il n’est pas l’exécutif à lui tout seul, mais que, dans notre pays, comme, d’ailleurs, dans de nombreux pays, le pouvoir exécutif est partagé entre un chef de l’État et un chef du gouvernement. Ce qui est propre à notre pays, c’est que, comme les deux acteurs de l’exécutif sont désignés, l’un et l’autre, par le suffrage universel, ils ont autant de légitimité et de pouvoir l’un que l’autre. L’arrogance réside ainsi dans ce fait que le président semble décider seul le calendrier politique de la France et ne veut avoir de comptes à rendre à personne.
Le prétexte fallacieux des Jeux olympiques
Le président l’avait dit : il attendrait la fin des Jeux olympiques pour décider ce que sera le gouvernement. C’est un argument doublement fallacieux. D’abord, on est en droit de se demander quel est le rapport entre les Jeux olympiques et la vie des institutions de notre pays. En se dissimulant derrière les Jeux olympiques, le président dissimule, en réalité, sa propre incertitude. Il ne sait pas ce qu’il veut et il se dit que les Jeux sont un bon prétexte pour donner une justification à ce qui est à la fois une ignorance et une indécision. Par ailleurs, les Jeux olympiques ont été un succès, il est inutile de jouer les trouble-fêtes et ne pas le reconnaître. Ces Jeux ont été, justement, un succès parce qu’ils ont une fête. Ils ont été une fête parce que notre pays s’est, pour une fois, réuni autour d’un événement qui lui a permis de se retrouver. Mais une autre raison pour laquelle c’est un faux prétexte, c’est que, justement, les Jeux olympiques se sont déroulés sans Macron. Il n’est pour rien dans cette fête de l’éveil, qui n’a rien à voir avec une vie politique en sommeil. En donnant l’illusion que le temps présidentiel est ainsi soumis au temps du sport, le président nous dit surtout qu’il n’a pas de temps : conformément à l’orthodoxie libérale, ce n’est pas à l’État d’avoir du temps, d’être « maître des horloges », c’est aux acteurs de la politique et de l’économie. En donnant l’illusion qu’il soumet son calendrier à celui des Jeux olympiques, E. Macron donne à voir l’étendue de son indécision, de son inaptitude à choisir. Il est un monarque sans couronne, puisque ce n’est même pas lui qui a remporté les médailles.
Le vide du pouvoir
Depuis la démission du gouvernement Attal, le 16 juillet, le pouvoir est un lieu vide. Il n’y a plus de ministres : les ministres ont tous démissionné, ce qui veut dire qu’ils n’occupent leurs fonctions que de façon transitoire, mais on ne sait pas vers quel pouvoir est dirigée cette transition. Aucune décision un peu importante ne peut être prise par un gouvernement démissionnaire car tout le monde reconnaît que c’est comme s’il était parti et un gouvernement « à venir », dont on ignore tout, la personne qui le dirigera, sa composition, les choix qui seront les siens, ne peut engager « la politique de la nation » comme le dit l’article 20 de la Constitution. Le pouvoir est un lieu vide - mais, au fond, peut-être est-ce ce que souhaite le président : comme le lieu du pouvoir est vide, il peut prendre toute la place et occuper tout seul le lieu du pouvoir. Alors que notre régime repose sur une dyarchie, sur un pouvoir exécutif partagé entre deux institutions, il est réduit, en ce moment, à une monarchie, un régime dirigé par le pouvoir exécutif d’un seul. Cela correspond, sans doute, à la vision d’E. Macron de la politique. De cette manière, le démos est chassé du kratos, du pouvoir, et le pays cesse d’être une démocratie, puisqu’il est suspendu dans l’attente des choix du président. Réfléchissons une minute à cela : les dictatures sont toujours des pays dans lesquels le lieu du pouvoir est vide : le pouvoir n’a pas de parole, il ne dit rien, il ne rend de comptes à personne, il se contente de prendre des décisions. Le pouvoir n’a pas de mots pour parler car il n’a pas de gouvernement pour les dire.
L’incertitude
La vie politique de notre pays est plongée dans une sorte d’incertitude, dans l’incapacité de prévoir les lendemains (chanteront-ils ? Ne chanteront-ils pas ?) et de comprendre les orientations de notre politique. Il ne peut même pas y avoir de dialogue ou de confrontation entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif car le Parlement est, au sens propre, en vacances, ce qui signifie (c’est le sens du mot « vacance ») qu’il est, lui aussi, un lieu vide. La politique de notre pays est incertaine, on ne peut ni la comprendre ni la prévoir, on ne peut ni lui donner de sens, ni l’apprécier ou la juger, car elle est vide. Pourtant, si le pouvoir est devenu un lieu vide, le pays, lui, n’est pas un espace vide : des gens l’habitent, y vivent, des lieux sont à aménager, des activités professionnelles sont à réguler, des conflits sont à arbitrer, des orientations sont à choisir pour le budget de l’année prochaine. Cette incertitude plonge notre pays dans une sorte d’hébétude, dans le sommeil de la raison, qui, comme nous le savons tous, ne peut engendrer que des monstres. La raison politique de notre pays est endormie, sans que l’on puisse prévoir qui sera le joueur de flûte qui viendra l’éveiller ni avec quelles notes et quel morceau.
L’État navigue à vue
En ce moment, l’État navigue à vue. Dirigé par un gouvernement démissionnaire, par une sorte d’exécutif fantôme, l’État ne prend pas de décisions, ne fait pas de choix. Alors que, dans notre pays, l’État a une toute-puissance qu’il n’a pas dans d’autres pays, il est aux abonnés absents. Or, pour toutes sortes de raisons, l’État est plus puissant qu’ailleurs. D’abord, c’est une vieille histoire, dans notre pays : au seizième siècle, l’État impose l’unification de notre pays en lui imposant une langue, le français, qui remplace le latin et les langues devenues des langues régionales ; au dix-septième siècle, sous Louis XIV, Colbert va donner à l’État un pouvoir de décision considérable dans le domaine de l’économie ; ensuite, l’État va être un puissant acteur de régulation du marché. Mais, de nos jours, le banquier E. Macron, qui trouvait, sans doute, excessive cette présence de l’État, le force au silence, l’empêche de s’exprimer en ne lui permettant pas d’avoir une voix. La voix de son maître, pour l’État, ce n’est plus le gouvernement, ce n’est que le président. Or nous savons tous, car nous l’avons appris notamment au sujet du Maroc et du Sahara occidental, que le président n’a, au fond, pas de politique. C’est pour cette raison que l’État navigue à vue, à la petite semaine. Les oracles du chef de l’État ne sont que de petites « oraculations », qui, sans véritables décisions, sont associées aux gesticulations qu’il met en scène. Cela signifie aussi que l’État ne peut pas s’engager, mais, finalement, n’est-ce pas le sens de toute politique libérale, de laisser les acteurs de la vie sociale d’un pays faire ce qu’ils veulent, sans que l’État soit là pour arbitrer les choix importants et, surtout, pour empêcher la violence de détruire notre pays, la pauvreté de s’installer et les inégalités de croître et d’embellir. L’État navigue à vue car sa boussole ne sera disponible que la semaine du 19 août, ce qui est, en plus, un bon moyen d’éviter les contestations et d’empêcher le débat public de s’instaurer dans l’espace politique.