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Billet de blog 15 septembre 2022

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LES RECOMPOSITIONS DE LA VIE POLITIQUE

C’est la fin de l’été. Il faut chaud. L’automne approche, et, avec lui, ce que les écoliers et les politiques appellent « la rentrée ». Peut-être est-ce le moment de réfléchir à nos nouvelles identités politiques

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La NUPES a bouleversé la gauche

Pour la gauche, mais aussi pour notre pays tout entier, sans doute aurait-il mieux valu qu’une NUPES naquît pour l’élection présidentielle. Mais nous n’en sommes plus là. Si ce n’est pas à l’occasion de l’élection du président de la République, c’est dans la perspective des élections législatives que la NUPES a, peut-être pour la première fois depuis ce qui s’était appelé le « programme commun » en 1972, il y a cinquante ans juste, donné une réalité à l’union de la gauche, mais, en même temps, à une gauche renouvelée. Actant l’affaiblissement des partis traditionnels comme le P.S. ou le P.C.F. et s’ouvrant à de nouveaux discours et à de nouveaux engagements, comme ceux des Insoumis ou ceux des écologistes, cette nouvelle gauche de la NUPES entend répondre mieux aux préoccupations de notre temps et, surtout, exprimer un poids différent de la gauche dans le débat politique. La NUPES va peut-être permettre à une véritable gauche de ne plus se poser en minorité agissante, mais de s’affirmer comme une gauche de gouvernement. Rappelons, tout de même, que si la gauche a pu gouverner, en 1981 comme en 1936, cela a été au prix d’un affaiblissement de ses idées et de ses engagements, au prix de compromis qui lui ont, certes, permis d’exercer le pouvoir, mais qui l’on, en même temps, forcée à perdre ce qui faisait sa force : la lutte contre le capital et l’éveil des solidarités. Deux parenthèses peut-être : l’expérience du gouvernement de Lionel Jospin, en 1997, était une impasse, car, dans le régime politique qui est le nôtre, on ne peut pleinement gouverner que si l’on détient la présidence de la République ; l’expérience de François Hollande, en 2012, a achevé de manifester que le parti « socialiste » était devenu un parti libéral, voire un parti de droite.

Une droite libérale en mutation

Finalement, en bon optimiste, peut-être peut-on se dire que l’apport inestimable d’E. Macron est de nous permettre d’en avoir fini avec la droite libérale classique. Son premier quinquennat, comme, sans doute, le fera le second, fait apparaître une mutation peut-être plus importante pour la droite que pour la gauche. D’abord, la droite est devenue moins autoritaire, ou, en tout cas, son autoritarisme s’exerce de façon plus douce. L’autorité s’exerce par des paroles, des discours et des gestes plus acceptables par des partenaires différents. Par ailleurs, la droite ne se soucie plus de l’ordre et de la morale. Ou, plutôt, ces notions ont changé de sens : c’est ainsi, en particulier, que, sur des thèmes comme celui de la sexualité ou la famille, la droite donne l’impression d’avoir fait le ménage, d’avoir fait évoluer ses projets et son idéologie – curieusement, d’ailleurs, peut-être plus que la gauche. Enfin, la droite, pour signifier son adhésion à un libéralisme plus fort, et plus ouvert aux préoccupations de notre temps, a sans doute tourné la page de la défiance à l’égard de l’Union européenne et de la mondialisation : elle a compris que c’était en donnant à son projet une dimension internationale qu’elle parviendrait à avoir une domination, une hégémonie, plus forte. Peut-être est-ce là ce qui caractérise le mieux la droite macroniste : il s’agit d’une droite hégémonique.

Une extrême droite qui se donne l’air d’une force puissante

Comme le R.N. a pu faire élire plus de députés qu’auparavant, il se donne l’air d’une puissance politique, mais, si l’on réfléchit bien, ce ne sont que des airs et des mots. On peut aussi dire que Madame Le Pen se présente sous une forme bien plus acceptable que celle qui était celle de son père, moins conflictuelle. Il n’en demeure pas moins que le Rassemblement national n’a rien changé de son discours et de ce qu’il suppose ses idées : il demeure une force qui exclut autant qu’il ne rassemble. La force du R.N., aujourd’hui, tient peut-être à ce qui a renforcé la droite et a affaibli la gauche : la perte de visibilité et de signification de ses engagements et de ses positions dans la vie politique. D’ailleurs, l’échec d’E. Zemmour est une illustration majeure de cette permanence des idées de l’extrême droite et de son incapacité à changer, tout en demeurant une force rigide ne supportant pas les déviations – voire les déviances – comme celle du mouvement lancé par E. Zemmour.

Une vie politique recomposée

Au-delà même des partis, c’est toute la vie politique de notre pays qui est recomposée, c’est tout le débat public qui est à la recherche de mots nouveaux pour se dire, pour s’exprimer, pour achever la mutation en cours. Mais de quoi est faite cette mutation ?

D’abord, ce n’est apparemment plus dans les partis que s’élaborent les projets et que s’expriment les engagements et les identités. Les partis classiques comme le P.C.F., le P.S. ou les Républicains sont considérablement affaiblis, et c’est dans de nouvelles formations, comme les Insoumis à gauche ou le macronisme à droite, que se construisent les projets politiques. Ces formations ne sont pas des partis au sens classique du terme, mais ceux qui se reconnaissent en elles (faut-il encore parler de militants ?) ont d’autres façons d’habiter l’espace public. Les partis ne sont plus des formes politiques correspondant à nos vies d’aujourd’hui, leur discours a fini par se réduire à des programmes sans idéal et sans autre horizon que le pouvoir. Quant à l’écologie, c’est depuis des années que s’est construite une écologie politique : de la même manière que Marx avait pensé l’économie politique pour mettre le politique au cœur de la réflexion sur l’économie, l’écologie politique nous rappelle que la préoccupation environnementale fonde des projets politiques et des logiques de critique des pouvoirs, au-delà des partis et des mouvements se réclamant de l’écologie : de la même manière que tous les partis donnent une place à l’économie, c’est l’ensemble des acteurs de la vie politique qui expriment un projet écologique.

Par ailleurs, les thèmes du débat public ne sont plus les mêmes qu’avant : de même que la préoccupation environnementale est venue mettre l’écologie au cœur des confrontations, les menaces qui pèsent sur nos usages des différentes sources d’énergie font d’elle un objet majeur de la vie politique. Au-delà de ces deux exemples, la vie politique ne situe plus ses projets dans les mêmes domaines qu’avant. La préoccupation pour l’emploi ne se pense plus de la même façon, et elle est davantage articulée aux questions des conditions de travail et des formes nouvelles d’entreprises. L’égalité entre les femmes et les hommes, l’ouverture à une migrance mieux acceptée et plus sécurisée, le rejet des usages excessifs de la force, sont, désormais, de nouveaux repères pour une vie politique pour qui la violence d’État n’a plus de sens ? À cela il convient d’ajouter que les logiques de la santé publique ne sont plus celles que nous connaissions avant l’apparition de pandémies nouvelles comme le SIDA ou le Covid-19, que nous connaissons tellement peu que nous n’avons même pas de nom à leur donner et que nous les désignons par des sigles.

On peut aussi dire que l’imaginaire politique n’est plus le même, que les idéologies se sont transformées. L’imaginaire politique n’est plus celui des utopies et des rêves de sociétés plus justes et de démocraties mieux affirmées. L’invasion du débat politique par des préoccupations, voire des impératifs, issus du monde de la gestion finit presque par nous faire prendre la société et l’État pour des entreprises. Sans doute faut-il retrouver le sens de l’imaginaire pour faire retrouver au politique sa dignité. Sans doute faut-il aussi rendre toute sa place à l’imaginaire politique et ne plus laisser l’imaginaire monopolisé par la fiction des séries.

Enfin, le théâtre politique n’a plus les mêmes acteurs ni les mêmes scènes. D’abord, l’agora s’est invisibilisée : on ne voit plus l’espace public, car il s’inscrit désormais dans les réseaux et dans les technologies de communication. Par ailleurs, le théâtre du politique ne met plus en scène des partis, mais des mouvements qui ont eux-mêmes pris la forme de réseaux. Enfin, à force de changer sans arrêt de lieux de vie privée, de vie sociale et de travail, à force de nous arranger avec la précarisation de nos emplois pour nous protéger de ce qui pourrait être une précarisation de notre existence, nous finissons par ne plus trop savoir qui nous sommes. C’est de cette nouvelle fragilisation de nos engagements et de nos identités que les décideurs et les acteurs politiques doivent se préoccuper davantage qu’ils ne le font pour retrouver une audience qu’ils ont sans doute fini par perdre.

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