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Billet de blog 16 mars 2023

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LA FAILLITE DU SYSTÈME MACRONIEN

L’absence de débat véritable sur le projet de réforme des retraites marque l’échec d’un système politique

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La réforme des retraites

Peut-être la question de la réforme des retraites se pose-t-elle aujourd’hui pour des raisons qui peuvent tenir à la démographie, mais aussi aux transformations du travail. Peut-être se pose-t-elle aussi pour des raisons qui tiennent aux contraintes qui tiennent aux modifications de l’économie de la production et de la distribution liées à la mondialisation. Toutes ces approches de la question s’inscrivent dans ce que l’on peut appeler une économie politique des retraites. M Mais c’est justement cette approche en termes d’économie politique que rejette le président de la République en censurant le débat sur les retraites, en concevant (ou en feignant de concevoir) la réforme des retraites comme une nécessité, comme un impératif, comme si l’on ne pouvait pas échapper à une telle réforme. Mais, ce faisant, E. Macron empêche le débat de se tenir. C’est, d’ailleurs, pour cette raison même que toutes les propositions du projet de réforme, toutes les alternatives au projet présidentiel ont été rejetées, ont fait l’objet d’une véritable censure. La réforme des retraites ne saurait être le fait que du président, elle ne saurait être conçue autrement que comme un acte du chef de l’État, qui trouve là une occasion de plus d’affirmer son pouvoir régalien, en le mettant en scène dans l’espace public. Finalement, nous n’en sommes plus - si tant est que nous y soyons été - à élaborer un projet de réforme des retraites, mais nous en sommes à l’affirmation du pouvoir présidentiel.

Qu’est-ce que le président de la République ?

Dans notre pays, le président existe depuis 1848. C’est à ce moment que Louis-Napoléon Bonaparte propose d’instituer un président en France. Peut-être avait-il déjà, à ce moment, le projet de faire devenir la France, une fois de plus, un empire. Quoi qu’il en soit, c’est bien dans la continuité mythique d’un autre chef de l’État nommé Bonaparte que s’inscrit l’action politique du premier président, ce qui marque, dès le début, le risque d’une dérive monarchique inhérent à une telle fonction et à un tel régime. C’est aussi le sens de la fonction présidentielle dans d’autres pays comme les États-Unis. Le président de la République, au fond, n’est rien qu’un monarque sans hérédité, un monarque qui n’est pas sacré par l’onction de l’Église comme l’étaient les rois ou comme le fut Napoléon, mais sacré par une autre onction : celle du suffrage universel. C’est bien le problème de l’onction. En-dehors du fait qu’il s’agit de l’usage des saintes huiles (nous ne sommes pas sûrs qu’il s’agisse d’huile bio), l’onction introduit dans les  rituels de la République quelque chose de sacré qui, justement pour cette raison, échappe au débat. Enfin, le président de la République est un personnage dont le nom signifie qu’il est devant tout le monde, qu’il est le premier personnage de l’État. Au fond, c’est bien cela, le président : la personnification de l’État. C’est bien en ce sens qu’il y a bien quelque chose de dangereux dans l’existence même de cette fonction : il s’agit d’une mise entre parenthèses, le temps d’un mandat, de l’expression du pouvoir populaire. En le désignant, le peuple donne en mandat au président : il suspend, en quelque sorte, la volonté populaire. Ce n’est qu’après coup, au terme des cinq ans, que le président se soumet à la volonté populaire, puisqu’il est réélu - ou non. Et encore, E. Macron fait ce qu’il veut au cours de son deuxième mandat, puisque, sauf transformation de la Constitution, il ne peut être candidat une troisième fois, et, par conséquent, ne soumet pas son action au jugement de la volonté populaire.

Qu’est-ce que le pouvoir macronien ?

Nous commençons à mieux savoir ce qu’est la conception macronienne du pouvoir, nous pouvons comprendre en quoi consiste la conception que se fait E. Macron de la fonction présidentielle. Plusieurs traits caractérisent cette approche du pouvoir du président. D’abord, et peut-être est-ce le plus important, E. Macron n’appartient à aucun parti. C’est lui et sa candidature puis l’exercice de son mandat, qui a suscité autour de lui la création d’une formation politique. Cela a deux significations. La première, c’est qu’en ne s’inscrivant dans aucun parti, E. Macron se croit au-dessus des partis, il se figure qu’il échappe aux conditions habituelles de la vie politiques. Cela n’est pas sans rappeler d’autres présidents de notre pays qui se situaient eux aussi en-dehors des partis. Mais, tout de même, il y a une différence considérable : ces présidents qui revendiquaient une identité politique « transpartisane » se situaient à une époque où les partis avaient échoué, à une époque où la faillite n’était pas celle du président, mais celle des partis eux-mêmes. L’autre signification d’un pouvoir qui croit échapper aux partis, c’est qu’il est soumis à un homme. En ne se situant dans aucun parti, E. Macron accentue la dérive monarchique qui caractérise l’engagement macronien. Seul dans sa conquête du pouvoir, E. Macron est seul à l’exercer, il est seul dans son palais, à faire les choix, à imprimer des orientations à la politique de notre pays, qu’il croit être devenu le sien. 

Le second trait majeur du pouvoir macronien est l’absence de dialogue. Le pouvoir macronien ne s’inscrit dans une logique de communication et d’échange que pour dire qu’il est seul à choisir et à régner. Enfermé dans son Elysée, E. Macron ne parle avec personne, il se croit seul à incarner l’État. C’est aussi cela, un monarque : c’est quelqu’un qui ne sait pas ce que c’est que la parole, que l’échange, que le dialogue avec les autres. Mais ne nous trompons pas : si le monarque est seul, cela implique que son autorité n’a pas de sens. En effet, pour qu’une signification soit reconnue à un mot, à une expression, à une pratique sociale, il importe qu’elle soit reconnue par celles et ceux qui assistent à sa mise en œuvre. L’enfermement, dans un palais comme dans un asile, conduit à la perte du sens. Cela peut être très grave dans le champ politique, ne serait-ce que parce que personne ne peut adhérer à un engagement qui n’a pas de sens, parce que personne ne peut s’y retrouver.

Enfin, le pouvoir macronien ne s’inscrit dans aucune culture politique. En se figurant être ainsi le fondateur d’une nouvelle identité politique, d’une identité qui n’existait pas avant lui, E. Macron montre qu’il n’est porteur d’aucune culture : même si, autrefois, il travailla avec P. Ricœur qui lui a appris ce qu’est la philosophie - oui qui a cru le lui apprendre, E. Macron n’a pas de culture, il n’a pas d’histoire, il n’a qu’une mémoire : celle de la banque et de la finance qui fut son identité professionnelle, qui était celle de son métier. Mais c’est grave pour un président, car personne ne peut se retrouver en lui, ne peut se reconnaître dans ses paroles, dans ses discours, dans ses engagements. C’est bien pourquoi les partisans d’E. Macron ne peuvent que redire ce qu’il dit, ne peuvent que répéter ce qu’il annonce, ce qu’il propose.

Que faire ?

On en vient toujours, en politique, à l’éternelle question de Lénine. Car c’est bien la question majeure en politique : il faut savoir ce que l’on doit décider et ce qu’on doit mettre en œuvre pour conduire le pays où nous souhaitons qu’il aille. Faute de culture et de véritable identité politique, E.Macron ne peut pas répondre à cette question et il ne peut, au fond, nous emmener que nulle part. La conduite du pays se fait à l’aveuglette, en tâtonnant, en se soumettant aux impératifs du moment, il s’agit d’une présidence sans innovation, sans critique, au jour le jour, au gré des circonstances. Mais, dans ces conditions, le pays ne peut savoir que faire. Il ne peut savoir où aller. Notre pays est embarqué dans une navigation sans autre boussole que celle du président, dans un engagement qui ne peut s’exprimer que dans le court terme de l’attente du lendemain. La faillite du macronisme est là : dans la soumission aux impératifs du temps court et dans l’ignorance du temps long.

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