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Billet de blog 17 février 2022

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LA POLITIQUE DE LA SANTÉ

En particulier aujourd’hui en raison de la pandémie du Covid-19, la santé publique fait depuis toujours partie des domaines de la politique de l’État. Réfléchissons sur elle à l’occasion de l’élection présidentielle.

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Les rôles de l’État dans la santé publique


D’abord, qu’est-ce que la santé publique ? La santé publique est le champ de lassante qui se distingue de la médecine libérale Disons-le autrement, tout crûment : la santé libérale est le domaine commercial de la santé, le domaine de la santé qui est celui du commerce et des prestations rémunérées par des clients, tandis que la santé publique est le domaine de la santé qui relève de l’État parce qu’elle n’est pas là pour faire du profit, mais pour assurer une bonne santé et une hygiène convenable à la population d’un pays – tut simplement parce que l’État a la responsabilité de veiller à la santé de ses habitants. La santé publique est la santé du peuple, du populus : de même qu’il y avait, à Rome, l’ager publicus, le champ dévolu à l’alimentation du populus, la santé publique est la santé du populus, du peuple d’un pays.
L’État a trois rôles majeurs à jouer dans le domaine de la santé publique. Le premier est de soigner celles et ceux qui ne veulent pas que leur santé soit le domaine du commerce. Pour cela, il existe des hôpitaux, qui sont là pour accueillir les patients ayant besoin d’un séjour et des dispensaires ou des lieux d’accueil qui sont là pour prodiguer des soins et des consultations médicales. En ce sens, la politique de santé est là pour organiser ces missions du santé et pour laisser le moins possible du domaine public du soin aux entreprises commerciales. Le deuxième rôle sanitaire de l’État est d’assurer la prévention contre les maladies susceptibles d’arriver, par l’information, mais aussi, bien sûr, par la vaccination et par l’ensemble des mesures permettant d’administrer le pays face à la maladie. L’éducation sanitaire fait aussi partie de cette politique de prévention qu’il importe d’organiser, ainsi que la formation des médecins et des personnels de santé. Enfin, l’État a le rôle, très important, d’organiser et de financer la recherche scientifique dans le domaine de la santé. À cet égard, il importe à la fois que le plus possible d’activités de recherche soient miss en œuvre dans un pays et qu’un pluralisme scientifique et méthodologique soit garanti par l’État, qui, en laissant la liberté de leurs choix aux acteurs de la médecine, permet la plus grande ouverture possible et évite les pratiques institutionnelles de censure et d’exclusion de telle ou telle approche de la médecine.

Les choix politiques en matière de santé


Les politiques de santé publique ont à faire des choix. Les choix politiques de l’État sont, d’abord, des choix géographiques : en principe, l’État a assurer l’égalité de tous les pays (villes, régions, territoires divers) devant le soin et la médecine. S’il y a un État, c’est, ainsi, d’abord, pour qu’il n’y ait pas d’exclusion. Mais les choix de l’État sont aussi des choix sociaux. Si l’on a imaginé la Sécurité sociale au sortir de la deuxième guerre mondiale, en particulier sous l’autorité d’un ministre communiste, Ambroise Croizat, avec le concours d’un juriste important, Pierre Laroque, c’est justement pour que l’État permette l’égalité entre tous les habitats du pays devant la santé et la médecine, mais pour que, si elle est financée par l’État en même temps que par les cotisations des salariés et des employeurs, elle ne soit pas placée sous sa tutelle et qu’elle demeure libre des orientations qu’elle donne à la santé publique. Par ailleurs, les choix de l’État en matière de santé publique doivent être guidés par la préoccupation de faire bénéficier les habitants d’un pays des acquits scientifiques dans le domaine médical. L’État fait en sorte que la recherche médicale profite à tous ceux qui l’ont financée, par leurs impôts, et qu’il n’y ait pas d’exclus de la médecine. Enfin, pour qu’il n’y ait pas d’exclus, il importe que la politique médicale de l’État soit une politique qui assure la santé publique tout au long de la vie : la politique de la santé publique s’occupe de la vie avant la naissance, au moment de la naissance, au moment de la jeunesse puis de l’âge adulte, et au moment de la vieillesse.

La médecine et l’État


C’est dans un dialogue constant avec les acteurs de la médecine que l’État assure ses missions. Ce dialogue, qui s’instaure, notamment dans le cadre de la recherche et dans le cadre des institutions sanitaires comme les hôpitaux, est ce qui permet à l’État d’être toujours informé et d’avoir une connaissance à jour des situations sanitaires, pour éviter que des difficultés ou des crises ne surviennent ou qu’en tout cas, elles soient maîtrisées. Peut-être tout de même la force de la pandémie du Covid-19 tient-elle à ce que le pays est trop faiblement pourvu en ressources médicales. Mais peut-être tient-elle aussi  ce que l’État a trop faiblement cherché à diminuer la tension qui, en régnant sur la population entière, a sans doute accru la propagation de la maladie. L’État a trop eu une politique trop strictement fondée sur la figure de la peur et de la menace – à commencer par l’organisation d’institutions de « défense sanitaire » (comme si un virus était un ennemi et comme si le pays était en guerre, comme cela fut dit) et, ainsi, sa politique n’a pas cherché à alléger la tension et à réduire la peut, mais, au contraire, à les amplifier. Redisons-le ici : les politiques publiques en matière de santé ne sont pas là pour attiser la peur, mais, au contraire, pour rassurer et pour faire comprendre aux populations que l’État est là pour leur permettre de bénéficier du soutien de la puissance publique, et non pour leur imposer la violence de ce qui risque de devenir une dictature sanitaire.
L’urgence est l’autre situation dans laquelle la santé publique a un rôle important à jouer. En matière de santé, l’urgence, c’est l’imprévisible. Et l’État doit être prêt à répondre à l’imprévisible quand il survient. S’il y a un État, c’est pour que celles et ceux qui vivent dans un pays sachent qu’ils peuvent être protégés par lui en cas d’urgence, quand survient un événement qu’ils n’ont pas pu prévoir parce qu’il échappe aux savoirs dont la société dispose au moment de son apparition. En ce sens, l’urgence fait toujours partie du domaine de l’État, elle est un domaine d’exercice de la « puissance régalienne », parce qu’elle échappe à l’ordinaire de la vie sociale, de la relation et de l’échange. Une santé publique d’urgence est un ensemble d’institutions et d’acteurs pouvant répondre aux appels quand ceux-ci surviennent. L’urgence désigne aussi l’ensemble des accidents de la vie. Un accident (rappelons encore une fois le sens des mots), c’est ce qui, en latin, accidit, autrement dit : qui arrive, auquel nous devons faire face en courant le moins de risque possible. C’est le rôle des institutions de sécurité, comme la police et les pompiers. À cet égard, on peut observer, depuis longtemps maintenant, un changement (pouvons-nous seulement dater ce changement ?). En effet, la sécurité fut longtemps une vie sans risque de maladie ni de pauvreté, et elle est devenue un impératif de lutte contre des personnes infréquentables : bandits ou auteurs de violence. À partir du moment où la sécurité n’était pas destinée à rassurer et à protéger, n’était plus conçue pour une population, mais devenait une politique mise en œuvre contre une autre, la figure de la sécurité changeait de sens, et la médecine ou la santé publique ne pouvaient plus jouer le rôle qui était le leur. Le prochain exécutif devra se soucier de faire retrouver à la santé publique son rôle de protection et de lui faire perdre son rôle de violence. En ce sens, l’urgence fait partie des domaines qui fondent l’adhésion d’une population à une politique et qui obligent les pouvoirs à rendre compte de leur activité, de leurs choix et de leurs orientations.

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