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Billet de blog 17 mars 2022

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LA POLITIQUE DE L’ÉDUCATION

Comme dans l’ensemble des articles de cette série, il ne s’agit pas de comparer les projets des candidats, mais de réfléchir à ce que peut signifier un projet politique présidentiel - dans le domaine de l’éducation

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La politique de l’éducation, la sécurité et la liberté

Le rôle d’une politique de l’éducation, comme celle que devra mettre en œuvre l’exécutif que nous désignerons en avril, est de donner à toutes les habitantes et à tous les habitants la culture qui leur permet de trouver dans leurs activités sociales la sécurité qui leur permettra de les exercer librement. En ce sens, l’éducation désigne à la fois l’ensemble des savoirs qui fondent notre culture en exprimant notre identité et l’ensemble des approches de notre travail et de notre emploi, techniques, culturelles, politiques, qui nous donnent la possibilité de les exercer en toute souveraineté et en toute indépendance. C’est pourquoi l’éducation peut nous permettre de concevoir une nouvelle dimension de la sécurité. C’est ce qu’avait imaginé l’économiste F. Boccara en parlant d’une « sécurité sociale de l’emploi et de la formation ». Cette sécurité nous met à même de ne plus concevoir les confrontations à la vie sociale comme des menaces mais comme des expériences que nous pouvons maîtriser.

La politique de l’éducation et la lutte contre les inégalités

C’est le rôle essentiel de l’éducation : éduquer, c’est amener à la possession des moyens culturels d’assumer son rôle de citoyen. Il s’agit, en ce sens, d’abord, de construire une identité culturelle partagée, de faire en sorte que tous les habitants d’un pays soient égaux les uns aux autres et disposent d’un ensemble de savoirs communs leur permettant de se reconnaître les uns les autres comme porteurs de cette identité culturelle commune. Pour construire un régime politique démocratique et pour faire devenir plus démocratiques les régimes qui ne le sont pas, le rôle de l’éducation est essentiel, puisqu’elle comble les inégalités culturelles entre les milieux sociaux en transmettant des savoirs permettant aux élèves d’aujourd’hui, qui sont les citoyens de demain, de disposer des mêmes savoirs. Cette identité culturelle commune, construite par l’éducation, est élaborée par l’État et transmise par ses acteurs que sont les enseignants au cours des années de la formation dans les établissements qui en ont la charge.

Les institutions de la formation et de l’éducation

L’éducation est mise en œuvre par des institutions qui lui donnent son caractère politique en l’inscrivant dans les projets de l’État. Sans doute peut-on même dire que l’éducation constitue, et cela, sans doute, depuis toujours et dans tous les pays, un rôle essentiel des états : c’est en élaborant une politique de l’éducation et en en fixant les lois et les orientations que l’État assure ce que l’on peut appeler une projection de la société dans le temps long et dans le futur : l’éducation mise en œuvre aujourd’hui définit les acteurs sociaux de demain. C’est dire l’importance de la politique de l’éducation dans les projets électoraux des pouvoirs que nous désignerons ou demain. C’est aussi la raison pour laquelle le discours sur l’éducation occupe une grande place dans les discours électoraux, mais aussi dans les traits qui permettent de distinguer les appartenances sociales et politiques. Sans doute, cette année, dans le domaine de l’éducation devront-elles avoir le rôle essentiel de protéger l’égalité devant les dangers qui menacent d’y mettre fin. Sans doute aussi, d’une manière générale, les institutions de l’éducation doivent-elles avoir le rôle de permettre à tous d’élaborer des idées et des engagements en toute liberté. Qu’il s’agisse de la liberté économique, celle de disposer des moyens matériels d’étudier ou de la liberté idéologique, celle de choisir son imaginaire politique, c’est la liberté qui définit un projet politique susceptible de recueillir l’adhésion du plus grand nombre.

La politique de l’éducation et les enseignants

Mais, bien sûr, une politique de l’éducation est aussi une politique qui s’occupe de ses acteurs, les enseignants. Trois questions se posent à la veille de l’échéance électorale. La première est celle de leur recrutement. Sans doute importe-t-il de prévoir une révision des modes de recrutement des enseignants. Si les recrutements sur concours trouvaient leur justification quand ils ont été imaginés, sous la troisième république, car les concours constituaient une façon d’assurer l’égalité de tous les milieux devant le recrutement, ils sont, peu à peu, devenus des carcans d’inégalités et il est nécessaire que l’exécutif qui sera élu entreprenne une réforme du recrutement des enseignants. La seconde question qui se pose est celle de leur statut et de leur rémunération. Des progrès importants ont été accomplis en ce domaine, mais il convient d’aller plus loin, et, en particulier, de mettre réellement fin à la différence de statut entre les degrés d’enseignement, car elle n’est fondée que sur l’accumulation de savoir et ne tient pas compte des difficultés des enseignants à exercer, tout simplement, leur métier. Enfin, les enseignants doivent se voir proposer à la fois une véritable formation pédagogique initiale qui ne repose pas seulement sur ce que l’on appelle « les sciences de l’éducation », mais qui comporte une véritable sensibilisation aux problèmes psychiques liés à l’éducation et la possibilité de bénéficier d’une formation continue renouvelant leurs méthodes et leurs savoirs.

L’éducation et les formations professionnelles

Il est important d’imaginer une autorité articulant une dimension générale et culturelle des formations professionnelles et les activités de formation spécialisées selon les métiers auxquels elles conduisent. C’est pourquoi les formations professionnelles doivent faire partie intégralement des missions des institutions de l’éducation, même si celles-ci doivent assurer un véritable dialogue entre les enseignants et les secteurs professionnels. Les formations professionnelles ont été trop longtemps réduites à la transmission des savoirs pratiques autorisés par les dirigeants des secteurs professionnels, alors qu’aujourd’hui, une véritable mobilité entre les métiers s’est imposée dans l’activité professionnelle. Seule une formation générale et culturelle véritable associée aux transmissions de savoirs spécialisés peut permettre aux travailleurs d’assumer cette mobilité. La politique de l’éducation dont imaginer de nouvelles institutions et de nouveaux cadres des formations professionnelles pour les rapprocher de la formation générale et pour enrichir réellement la culture de celles et ceux qui les suivent.

La formation continue

La formation continue a été réduite, au cours de l’histoire des politiques de l’éducation, à la formation professionnelle. C’est aux institutions de l’éducation, et non aux institutions professionnelles, qu’il revient d’élaborer et de conduire les politiques de formation continue. D’abord, il importe de se rappeler que, pour être véritablement continue, la formation doit être entreprise et mise en œuvre tout au long de la vie professionnelle – et même tout au long de la vie tout court. Il importe de ne pas la réduire à la mise à jour des savoirs et des informations techniques ou pratiques. Par ailleurs, ainsi organisée par les services publics de l’éducation, la formation continue doit échapper aux logiques du marché. Il importe d’en finir avec la mainmise des entreprises du secteur privé sur les activités de la formation continue qui doit, elle-même, cesser d’être une activité liée à la gestion et au management des entreprises et des emplois.

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