Le Conseil d’État
La justice administrative porte sur les litiges entre l’État et les citoyens, ce qui la distingue de la justice pénale et de la justice civile, qui, elles, porte sur les litiges entre les particuliers ou sur les crimes et les délits. Cela donne au Conseil d’État une dimension politique encore plus affirmée. Plus haute instance de la justice administrative, il arbitre les conflits politiques entre l’exécutif et les citoyens ou les associations de citoyens, et, de cette manière, il constitue un contre-pouvoir. Or, comme chacun le sait, les contre-pouvoirs sont nécessaires dans une démocratie, car ils mettent des limites aux pouvoirs et, en particulier, ils protègent les citoyens contre les abus des pouvoirs qui gouvernent le pays. Plus précisément, le Conseil d’État est une juridiction très ancienne, car il y a toujours eu des litiges qui opposent l’exécutif aux citoyens. Mais le Conseil d’État - d’où son nom - n’est pas seulement un tribunal : il donne des « conseils » au gouvernement qui le consulte au moment de proposer des projets de loi ou de prendre des initiatives qui peuvent être trop complexes pour qu’il soit seul à les prendre. Institué, sous sa forme contemporaine, en 1799, le Conseil d’État exerce sa fonction de contre-pouvoir car, comme l’ensemble des institutions exerçant le pouvoir de juger, il est indépendant des autres pouvoirs de l’État.
La suspension du décret fait apparaître l’incompétence du gouvernement
Ne statuant pas encore sur le fond, en se contentant, pour l’instant, de suspendre l’exécution du décret dissolvant les Soulèvements de la Terre, le Conseil d’État constate l’incompétence de l’exécutif, qui s’est trop pressé pour s’en prendre à un mouvement écologiste pour s’assurer de la légalité des mesures qu’il a prises. En particulier, dans son ordonnance, le Conseil d’État constate une « atteinte qui est nécessairement portée à la liberté d’association ». C’est en se fondant sur ce constat qu’il a reconnu la situation d’urgence dans laquelle se trouvaient les Soulèvements de la Terre et les autres associations qui se sont jointes à eux pour dénoncer l’abus de pouvoir que constitue la dissolution du mouvement. Mais, en-dehors de la dimension proprement politique de cet excès de pouvoir, il s’agit d’une incompétence, puisque l’exécutif n’a pas su comment s’y prendre pour mener à bien son projet. Au-delà, comme toujours en politique, la violence des actes et des décisions n’est que le masque (encore lui) qui dissimule une faiblesse - en l’occurence une incompétence - de fait. La violence de la dissolution et sa prétendue urgence était le seul moyen, pour le pouvoir, d’en finir avec l’opposition des écologistes des Soulèvements de la Terre à la politique qu’il mène depuis qu’il dirige le pays. Une manifestation comparable d’incompétence a été récemment relevée par Mediapart dans des « interdictions administratives de quitter le territoire » prises contre des opposants à la ligne ferroviaire à grande vitesse Lyon-Turin. En effet, certaines des personnes visées par cette « interdiction » étaient françaises, et, de plus, le texte de ces interdictions consistait en partie dans des « copier-coller » de décisions concernant des militants du mouvement des Soulèvements de la Terre. Mais il s’agit de la même incompétence que celle qui se manifeste, d’une manière générale, dans tous les domaines de l’action de l’État et qui suscite une opposition généralisée de tous les corps de métiers, de toutes les organisations professionnelles, de bientôt tous les partis et mouvements politiques qui refusent de reconnaître le bien-fondé des mesures prises par ce pouvoir. Même dans le parti Renaissance, le parti fondé pour soutenir le président et ses choix politiques, il commence à y avoir des doutes.
Une incompétence plus profonde de l’exécutif
Finalement, c’est cela que critique le Conseil d’État : en décidant des mesures par un décret illégal, l’exécutif n’a pas su comment s’y prendre pour parvenir à ses fins. C’est cette incompétence qu’a relevée la justice administrative, puisque, sans encore statuer sur le fond, le Conseil d’État a relevé l’impossibilité d’appliquer le décret portant dissolution des Soulèvements de la Terre, tout simplement parce qu’il était mal conçu. Mais cette incompétence ne se manifeste pas seulement dans le litige qui oppose le pouvoir aux Soulèvements de la Terre. Comme nous venons de le voir, c’est dans tous les domaines de la vie publique et des institutions que se manifeste cette incompétence de l’exécutif. Il ne s’agit même plus de savoir si l’on est ou non d’accord avec les mesures qu’il prend, mais, tout simplement, de constater qu’elles sont irrationnelles ou inapplicables. C’est ainsi que d’autres ministres que celui de l’Intérieur font preuve de cette incompétence, à commencer par le ministre de la Justice. En effet, s’il se trouve dans des situations qui l’exposent à des sanctions de la part des juges, c’est bien qu’il est trop incompétent pour se mettre à l’abri d’un pouvoir qu’il est amené, en principe, à administrer. Dans le domaine de l’agriculture ou dans celui de l’environnement, c’est une incompétence comparable qui est mise en évidence par les politiques de l’exécutif. Quant à la politique économique, en-dehors des écrits soi-disant littéraires qu’il se targue de publier, le ministre de l’Économie et des finances n’a pas mis en œuvre une politique de nature à faire face aux menaces économiques auxquelles notre pays est exposé et sa crédibilité est mise en doute par nos interlocuteurs des autres pays.
Que signifie cette incompétence du pouvoir ?
Mais il faut aller plus loin, et s’interroger sur cette incompétence de l’exécutif. On ne peut pas ne pas rapprocher cette incompétence de celle qui avait été montrée aux États-Unis par la politique de D. Trump qui, lui aussi, s’était réfugié derrière la violence pour échapper à la critique et sauver ce qui lui restait d’autorité. C’est pourquoi nous devons questionner le sens de cette incompétence. Il ne s’agit pas d’une incompétence technique ou professionnelle, car il ne s’agit pas de l’incompétence de l’État. En France en tous les cas, l’État va très bien, merci, et il continue à nous protéger par sa compétence propre des errements et des maladresses de l’exécutif. Car c’est bien là la première signification de cette incompétence du pouvoir : il s’agit d’une sorte de symptôme du mépris de l’exécutif pour l’État. Comme le libéralisme ne sait pas ce que c’est que l’État et entreprend tout pour se confronter à lui et pour chercher à réduire son pouvoir et son action, il se trouve complètement démuni quand il se retrouve au pouvoir. Le pouvoir macronien ne peut pas être compétent, puisque, pour lui, l’État n’existe pas, n’a pas de place dans sa culture politique - ce qui le rapproche de la politique de D. Trump. L’autre signification de l’incompétence de notre exécutif est qu’il n’a pas de politique, qu’il ne sait pas où il va, qu’il n’a pas de projet. Comme il n’a pas de projet, il prend des mesures et fait des choix au coup par coup sans être capable de les inscrire dans une vision d’ensemble qu’il est trop incompétent pour avoir. Le président et son gouvernement sont incapables, en raison de leur incompétence, de formuler un projet, et cette incompétence tient à leur ignorance de qu’est l’État. C’est même, sans doute en raison de cette incompétence qu’ils se sont crus en mesure d’exercer le pouvoir exécutif. C’est en raison de cette incompétence qu’ils se sont imaginé être en mesure de diriger un pays sans avoir les moyens de proposer un projet. Au fond, ils n’ont été élus que parce que le peuple français s’était imaginé que, comme tout valait mieux que M. Le Pen et le Rassemblement national, il valait encore mieux élire E. Macron. Mais il n’a pas élu E. Macron par choix ni par adhésion à un projet que celui-ci était incapable de formuler et de proposer. Dans ces conditions, c’est là le sens de l’incompétence du pouvoir : elle manifeste, au fond, l’affaiblissement du politique que fait apparaître, par ailleurs, la croissance de partis comme le R.N. C’est là que réside la véritable urgence : dans le retour du politique et dans l’élaboration d’un véritable projet pour notre pays, dans la résistance aux excès de pouvoir et à la censure du politique. Nous devons en finir avec l’incompétence des partis et des dirigeants qui nous gouvernent. Nous devons retrouver les mots du politique pour retrouver la démocratie qui s’est perdue dans notre pays.