Bernard Lamizet (avatar)

Bernard Lamizet

Ancien professeur à l'Institut d'Études Politiques de Lyon

Abonné·e de Mediapart

368 Billets

1 Éditions

Billet de blog 18 avril 2024

Bernard Lamizet (avatar)

Bernard Lamizet

Ancien professeur à l'Institut d'Études Politiques de Lyon

Abonné·e de Mediapart

L’EMPRISE POLITIQUE DE L'ÉLECTION

L’approche des élections européennes devrait nous faire réfléchir au rôle de l’élection dans la vie politique et, en particulier, à l’importance exagérée qu’elle a pu prendre.

Bernard Lamizet (avatar)

Bernard Lamizet

Ancien professeur à l'Institut d'Études Politiques de Lyon

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le fait électoral impose un temps à la vie politique

D’abord, les élections imposent à la vie politique un calendrier dont elle ne peut se libérer. Le temps ainsi imposé à la vie politique finit par être lui-même complètement étranger à la réalité de la vie sociale et aux contraintes réelles de l’économie, du travail, de la culture. Seules comptent les échéances électorales pour les acteurs de la vie politique. C’est ainsi que le mandat est devenu la norme de mesure et d’appréciation du temps politique. Ce ne sont plus tant les réalisations, les actes, les paroles du politique qui font l’objet d’une véritable appréciation que leur conformité aux élections. Le nombre d’institutions qu’il convient de renouveler par l’élection fait que nous sommes, finalement, toujours entre deux élections. À peine passée une élection que, déjà, nous sommes plongés dans le temps de la suivante. Les élections européennes n’ont pas encore eu lieu, mais l’élection présidentielle de 2027 est déjà là, ainsi que les élections municipales de 2026.

Il n’y a pas de vie politique hors de l’élection

Partis et acteurs politiques sont toujours en train de préparer une élection. Cela oriente à la fois leur expression et leur action. Les partis ne conçoivent leur projet et les acteurs politiques leurs discours qu’en vue de leur usage dans la vie électorale. Dans les partis, les adhérents et les militants n’ont pas de voix s’ils ne sont pas candidats ou s’ils ne sont pas susceptibles de l’être. C’est ainsi que l’élection joue un rôle de décision et de pouvoir jusque dans les partis politiques et dans les organisations qui s’inscrivent dans la vie politique reconnue et légitime. C’est l’élection qui fonde la légitimité du fait politique : un acteur politique n’est pleinement reconnu que s’il est électoralement visible. L’élection a entraîné un accroissement considérable de la place de la personne dans le jeu politique, en renforçant l’importance de ce que Max Weber désignait comme le charisme.

Projets et programmes électoraux

Un projet politique est un projet de société. C’est une analyse et une interprétation de la vie sociale qui fonde des propositions de refonte de l’organisation de la société ou qui en imagine une nouvelle. Les partis en ont eu, c’est même ce qui a fondé leur naissance, mais ils n’ont plus que des programmes et des discours électoraux. Les programmes électoraux sont devenus des sortes de catalogues de vente par correspondance, ce ne sont pas de véritables projets. C’est que l’importance de l’élection a soumis la vie politique aux formes commerciales de la société imposées par le libéralisme et par ses organes. Cette importance des programmes électoraux pour les partis a mis fin à la réflexion et à la distance critique. On peut se rendre aujourd’hui de cette déconnexion des partis et de la vie réelle en observant l’emprise des élections européennes dans leur discours au détriment d’une réflexion critique véritable sur les événements de la guerre de Gaza ou de la guerre de l’Ukraine.

Les partis sont réduits à des candidats et à des écuries de candidats

Mais, au-delà, comme il n’y a plus de discours électoral hors des partis et que les partis n’ont plus de culture et d’identité hors de leurs programmes électoraux, c’est l’élection qui impose leurs formes et leurs engagements aux acteurs de la vie politique, enfermée dans cette emprise du fait électoral. Finalement, les seuls porte-parole des partis sont leurs candidats : cette personnalisation de la vie politique, qui s’est, donc, accrue en raison de l’importance de l’élection, s’est elle-même trouvée influencée par l’importance de l’élection.

L’émergence de nouveaux mouvements liés à des élections

Le parti d’E. Macron existerait-il sans l’élection ? Il n’a conçu ce parti que pour se faire élire. Il ne s’agit pas ici de savoir ce que nous pensons de ce parti, mais d’observer que sa naissance n’est due qu’à la volonté de son fondateur de se faire élire et qu’il y a de fortes chances pour qu’elle cesse d’exister après lui. Ce que l’on appelle le « macronisme » n’existe pas, ce n’est pas un projet, mais il a puisé des éléments de son programme ici et là sans en faire réellement un tout cohérent, ce qui peut expliquer la fragilité de l’engagement de celles et deux qui y ont adhéré. De son côté, la NUPES aurait pu être un laboratoire d’idées pour la gauche et renforcer son union, elle aurait pu fonder une refondation des partis de gauche et servir de base à un renouvellement, mais elle semble s’être réduite à une machine électorale, en train elle-même de laisser la place à d’autres identités de gauche. Si l;’on réfléchit bien à l’histoire, on peut se rendre compte qu’il a toujours existé des mouvements éphémères conçus autour de candidats à l’occasion d’une élection, ne serait-ce que les mouvements qui ont joué un rôle, à droite, autour du gaullisme, ou, à gauche, autour de F. Mitterrand, mais il ont eu peu d’avenir après leur importance dans la vie électorale que leurs fondateurs avaient dominée.

Partis, élections et menaces

Le fait électoral suscite des discours de menaces. L’élection est, ainsi, la mère de nouveaux monstres. Depuis l’élection présidentielle de 2002, la grande menace est : « si tu n’es pas sage, Le Pen (père oui fille) sera élu ». Mais cette menace du R.N. n’est pas un projet politique : il s’agit seulement d’être en mesure de faire face à ce risque. Les partis ont cessé d’imaginer un projet, c’est justement pour cela qu’ils se sont tellement affaiblis qu’ils en sont réduits à ne plus vivre que comme des protections contre cette menace. Les partis ne jouent plus leur rôle, qui devrait être de fonder un imaginaire politique, mais ils sont réduits à n’être plus que des machines se pré »sentant comme de simples protections contre la menace du monstre. L’emprise de l’élection a, ainsi, contribué à faire dominer la vie électorale par la figure du risque et du danger, comme l’ensemble notre vie sociale. Mais la chasse aux électeurs n’est pas une recherche d’adhésions : il ne s’agit plus de motiver l’engagement, mais de séduire électoralement.

L’élection et la représentation des partis

Ce sont les élections qui sont à l’origine de ce que l’on a fini appeler la « politique-spectacle ». L’idée de représentation a changé de sens. Il s’agissait, à l’origine, d’instituer des modes de représentation du peuple dans la vie politique, mais ce terme a retrouvé son autre sens, qui est celui de proposer un spectacle. Nous nous trouvons ainsi devant une sorte de confrontation entre les deux sens du mot « représentation » : le spectacle et le mandat. Mais le temps court du spectacle n’est pas le temps long du politique : il y a une sorte d’opposition entre deux conceptions de la vie politique, entre l’idée selon laquelle la vie politique est une vie de débats et de projets, et celle selon laquelle elle se réduit à une concurrence, encore sous l’emprise du libéralisme, entre des partis et des candidats qui proposent leurs catalogues à des citoyens devenus, en réalité, des consommateurs du politique.

Les voix et les paroles

Les partis finissent par réduire leur discours à la chasse aux voix. En ce sens, les acteurs de la vie politique n’ont plus de parole, ils n’ont plus de discours, mais ils se contentent d’aller à la recherche de celles et de ceux qui peuvent les élire. Mais, ainsi dominées par le temps électoral, les paroles s’énoncent dans le temps court celles se diffusent dans l’espace de la confrontation électorale, au lieu d’être de véritables voix porteuses d’identités. Le temps long, celui qui ferait retrouver leur véritable voix aux partis, au lieu de se réduire aux voix qui se comptent dans les urnes, consisterait dans la construction d’un véritable projet politique. C’est ainsi que le fait électoral prive les partis et les acteurs politiques de ce qui serait leur véritable voix. Nous nous trouvons devant une véritable aliénation électorale de la vie politique. Les partis et les acteurs politiques ne peuvent plus concevoir librement leur projet, car ils sont dans la dépendance, dans une sorte d’addiction à l’élection, et, ainsi, dans l’aliénation.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.