Le Conseil constitutionnel
Il n’y a pas que le Parlement qui valide un texte et le fait devenir une loi : le Conseil constitutionnel aussi contribue à cette validation. Le Conseil constitutionnel avait été imaginé par les auteurs de la Constitution de 1958 pour vérifier que les lois étaient conformes à la Constitution. Cette légitimation a deux significations. La première est juridique : il s’agit de vérifier qu’une loi nouvelle, mais aussi les résultats d’une élection, sont conformes aux prescriptions de la Constitution ou, pour les élections, qu’il n’y a pas d’erreur ni de tromperie dans les résultats proclamés. C’est, d’ailleurs, pourquoi l’entrée en fonctions d’un nouveau président s’ouvre par une proclamation définitive de son élection par le président du Conseil constitutionnel. En ce sens, le Conseil constitutionnel a considéré comme conforme à la Constitution la façon dont avait été introduite la réforme des retraites, ce qui est une affaire d’interprétation, car il demeure illégitime - sinon inconstitutionnel - de passer par des voies de traverse pour imposer le recul de l’âge de la retraite. Mais ce que le Conseil constitutionnel aurait pu vérifier, ce qu’il n’a pas fait, c’est que cette mesure du recul de l’âge de la retraite est politiquement acceptable dans la situation institutionnelle dans laquelle nous nous trouvons : comme beaucoup de commentateurs l’ont fait remarquer, le Conseil constitutionnel, présidé, rappelons-le, par un socialiste, L. Fabius, aurait pu être une voie pour l’exécutif de sortir dignement de l’impasse sociale et politique dans laquelle il s’est enfermé et d’éviter le risque de fragilité d’une réforme aussi précaire que la situation qu’elle impose aux retraités.
L’égalité et la légalité
Le Conseil constitutionnel a ainsi tranché : le projet de loi sur la réforme des traites est conforme à la Constitution. Mais cette légalité cache une véritable rupture de l’égalité. Imposer à toutes les travailleuses et à tous les travailleurs le même recul de l’âge de la retraite revient à ignorer que tous les métiers, tous les emplois, ne se caractérisent pas par la même manière de considérer la durée de la vie dite active. Certains emplois sont plus difficiles, plus éprouvants, que d’autres, et il est peut-être légal mais fondamentalement illégitime de leur imposer le même âge de la retraite qu’à des emplois moins porteurs de souffrances et de tensions que d’autres. À cela s’ajoute, tout de même, un autre facteur, essentiel mais méconnu, de l’âge de la retraite : la durée de la vie active. On ne devrait pas devoir prendre sa retraite au même âge, quel que soit l’âge auquel on a commencé à travailler. Certains commencent à travailler à seize ans, et seront, ainsi, bien plus épuisés à 64 ans que ceux qui ont commencé après leurs études, à vingt ou trente ans. Nous nous trouvons, une fois de plus, face à une rupture de l’égalité, à ce que l’on peut appeler un déni de l’égalité qui, pour le coup, est inconditionnelle, car l’égalité figure dans notre constitution comme l’un des principes essentiels de notre république. Pour toutes ces raisons, le Conseil constitutionnel a, pour le moins, manqué à ses devoirs.
La régression
Mais il importe de situer le recul de l’âge de la retraite de façon plus générale dans les caractéristiques politiques de la présidence d’E. Macron. Ce qui frappe, à cet égard, c’est que ses quinquennats auront été marqués par une régression considérable d’un pays qu’il était pourtant appelé à faire progresser. Rappelons, tout de même, une fois de plus, que, si E. Macron a été élu président de la République, ce n’est pas par adhésion à son projet, mais pour éviter la venue au pouvoir d’une candidate dont le projet était considéré par beaucoup comme pire. Il est donc important de mesurer cette régression que son pouvoir nous aura imposée.
Il s’agit, d’abord, d’une régression sociale. Les multiples ruptures de l’égalité, l’accroissement majeur des inégalités dans notre pays, témoignent de cette régression. La différence entre les classes s’est accrue, la situation des classes populaires s’est aggravée, notamment parce que l’exécutif conduit par E. Macron n’aura pas su nous protéger de la montée de l’inflation - à moins qu’il ne l’ait pas voulu. C’est de cette manière qu’il faut comprendre la décision de chercher à imposer à tout prix, sans négociation et sans dialogue réel, un recul de l’âge de la retraite.
Il s’agit, par ailleurs, d’une régression institutionnelle : alors que les pouvoirs auraient dû être mieux répartis entre les acteurs politiques et entre les institutions, si E. Macron avait consacré plus de force à rechercher un rééquilibrage des pouvoirs, l’exécutif s’est emparé de plus de pouvoir qu’il ne l’avait fait jusqu’à présent, au cours de la Cinquième République. Cette régression institutionnelle s’est marquée aussi par un exécutif largement déséquilibré entre le président, ses premiers ministres, et même ses ministres. Enfin, cette régression institutionnelle se manifeste par la quantité de membres du gouvernements en proie à des procédures judiciaires. Les ministres ne respectent pas la loi, ils sont mis en examen, mais, semble-t-il, peu importe : ce serait à la justice de se soumettre à l’exécutif, alors que la raison de la séparation des pouvoirs est là : dans leur équilibre.
Enfin, ce régression se manifeste sur le plan de la place de la France dans le monde. Il y eut des temps, dans notre histoire, où la parole de notre pays était entendue et même écoutée. Il y eut des temps, dans notre histoire, où la France avait un rôle reconnu dans la vie politique et institutionnelle internationale. Avec les quinquennats d’E. Macron, cela semble terminé. Les camouflets qu’il a connus de la part de la Russie au sujet de la guerre en Ukraine et de la part de la Chine au même propos, mais aussi à propos d’autres sujets, sont des illustrations de cette régression que l’on peut appeler une régression diplomatique. Quel est le rôle réel de notre ministre des affaires étrangères, qui connaît même son nom, alors que, même celles et ceux qui n’étaient pas du même parti que lui, se rappellent encore le discours de D. de Villepin au Conseil de sécurité de l’O.N.U. à propos de la guerre en Irak ?
Régression et répression
Un aspect particulièrement important de la régression politique liée à la conception macédonienne de l’État est celui de la répression. Le pouvoir macronien prend la forme de la sanction et non celui du projet ou celui du dialogue. C’est ainsi que, sous la pression des organisations de médecine libérale, E. Macron annonce, le 23 avril dernier, dans un entretien au Parisien, cité par Le Monde : « Ceux qui ne viennent pas aux rendez-vous, on va un peu les sanctionner ». C’est, une fois de plus, la sanction qui caractérise le discours présidentiel. Il n’est pas question d’évaluer avec précision le nombre de rendez-vous médicaux non honorés, il est seulement question des heures perdues (et, donc, des honoraires non payés), mais il n’est nullement question de réfléchir réellement au volume de ces rendez-vous manqués, encore moins aux raisons pour lesquelles ces rendez-vous le sont. La sanction est la seule chose qui importe, alors même que le ministre de la santé, F. Braun, a fait part au Sénat de « doutes sur le nombre de consultations non honorées ».
La porte ouverte à toutes les régressions
Mais il faut aller plus loin dans ce regard que nous portons que l’étape que nous venons de connaître dans la vie politique « macronienne » de notre pays. Cette protection de la loi sur les retraites ayant été levée, désormais, la voie est libre pour toutes les régressions. Sans doute ne savons-nous pas encore ce que ce second quinquennat nous prépare, après la réforme des retraites. Mais il faut bien se rendre compte que le président risque de se sentir pousser des ailes après le piteux succès de sa non moins lamentable réforme. Tout va lui sembler permis après cette expérience, à commencer la la répression imposée aux agriculteurs qui ne veulent plus entendre parler des formes industrielles de l’agriculture que sont les « mégabassines » à propos de l’eau. C’est ainsi que, surtout, la régression majeure qu’aura imposée la présidence d’E. Macron est celle du débat public. L’espace public semble s’être anesthésié, semble s’être endormi, semble ne plus savoir ce qu’est la critique et ce qui exprime la dénonciation des pouvoirs. Peut-être est-ce une façon de comprendre l’erreur monumentale de l’absence d’union de la gauche lors de la dernière élection présidentielle. Peut-être faut-il ne pas la lire seulement comme une absence de jugement et de considération, mais la concevoir comme une sorte d’effet secondaire de la présidence Macron. En effet, si la gauche a oublié ce qu’elle devait à ses électrices et à ses électeurs, c’est que, sous le quinquennat d’E. Macron, elle a peut-être fini par oublier ce qu’est la gauche. Il est grand temps de mettre fin, au moins, à cette régression-là.