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Billet de blog 18 novembre 2021

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REPENSER L’ESPACE SOCIAL

Nous poursuivons aujourd’hui l’expression de notre projet de repenser l’espace social, en abordant d’autres approches

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Le réseau : approche de l’espace social en termes de mobilité et de diffusion de l’information


La logique du réseau a toujours constitué une dimension majeure de l’espace politique. Même si, aujourd’hui, la figure du réseau est dominée par les réseaux de distribution de l’information, notamment dans le développement considérable des usages des ordinateurs, le réseau a toujours constitué une dimension essentielle de l’espace politique, en réalité depuis qu’il existe des routes et des modes de transport des hommes et des marchandises. La construction et l’aménagement des routes ont toujours été un mode majeur de l’exercice du pouvoir sur un espace. C’est par leur réseau de routes (les viae) que les Romains ont pérennisé leur empire.
C’est le réseau qui permet aux informations de circuler, ce qui constitue une dimension essentielle de la culture et de la langue, elles-mêmes fondements de la dimension symbolique du pouvoir et de la citoyenneté, c’est le réseau qui permet aux marchandises d’être diffusées et échangées, ce qui constitue une part majeure de l’économie, c’est le réseau qui permet l’unification politique et culturelle des territoires. Mais, dans le même temps, comme le réseau permet la mobilité, il fonde la liberté : c’est par l’exclusion du réseau et de la mobilité (parc qu’on est en prison ou parce qu’on n’a pas accès à l’information) que l’on est exclu de l’espace politique. À cet égard, sans doute convient-il d’être attentif, aujourd’hui, à cette forme de neutralisation des contraintes de l’espace et de perte de sa signification que représentent les usages des formes mobiles de l’information – qu’il s’agisse des téléphones portables ou des réseaux numériques de diffusion de l’information. On en vient même à une dimension contrainte de la mobilité téléphonique, puisque certaines entreprises ne reconnaissent plus à leurs usagers et à leurs consommateurs que des numéros de téléphone portable.

Approche esthétique de l’espace social : l’architecture et le design

C’est toute une médiation esthétique de l’espace qui s’est eu à peu élaborée dans le domaine des usages de l’espace social. C’est ainsi que l’aménagement de l’espace ne s’est jamais réduit à des normes fonctionnelles, mais que les paysages ont toujours fait partie des logiques de l’aménagement des territoires politiquement institués. On peut, en particulier, citer ici deux exemples de cette esthétique politique du paysage. Le premier est l’élaboration de normes de l’architecture, elle-même liée au développement des écoles d’architectes. Il existe, dans tous les pays, toute une dimension culturelle de la construction et des figures de l’architecture, que l’on peut comparer à une langue architecturale. Les constructions, les maisons, es édifices publics ne parlent pas la même « langue », n’expriment pas les mêmes logiques dans tous les pays. Le second exemple que l’on peut citer de cette esthétique du paysage est ce que l’on appelle le design. Ce ne sont pas seulement les formes architecturales, c’est aussi toute la construction des objets du quotidien qui peuple notre espace de figures suivant les mêmes prescriptions. Par ailleurs, comme dans le cas des vêtements, il existe des normes, ce que l’on peut appeler des modes, qui expriment des contraintes dans la conception et la fabrication de ces objets qui peuplent notre espace social en le rendant lisible, comme les nomes de conception des véhicules, comme les normes des objets fonctionnels comme les instruments d’écriture ou de vie quotidienne, ou encore comme les normes des aménagements intérieurs des logements.

L’articulation de l’écologie et du politique


L’articulation de l’écologie et du politique s’exprime, d’abord, dans la relation au pouvoir. Si l’écologie a fini, peu à peu, par être liée à une critique de l’économie politique, c’est qu’elle s’est construite dans la perspective d’une critique du pouvoir, de la même manier que Marx avait fondé son engagement sur une dimension économique de la critique des pouvoirs. L’écologie est liée, en particulier, à une critique du pouvoir en dénonçant les excès du libéralisme et de la logique du marché dans les conceptions des espaces sociaux. Par ailleurs, la politique de l’espace consiste dans une dénonciation des exclusions et des ségrégations. Il a toujours existé des ghettos (le mot désigne à l’origine une île de Venise) et des espaces de confinement et de ségrégation de certaines populations. Le mot vient d’être lu : les politiques de confinement liées aux politiques de prévention du Covid-19 ne sont pas autre chose que des politiques de ségrégation et de discrimination qui s’inscrivent dans l’espace. Enfon, c’est toute une citoyenneté écologique qu’il importe de construire aujourd’hui. Une telle citoyenneté consiste dans un ensemble de droits et de devoirs qui s’imposent, sur le plan des usages de l’espace, à tous les citoyens d’un pays. Il s’agit, finalement, de comprendre que l’espace fait partie, comme les autres dimensions de la vie sociale, des domaines de la loi et de l’égalité.

Une logique de la médiation écologique


Rappelons-nous ce qu’est la médiation : une dialectique, essentielle au politique, entre le singulier et le collectif, ces deux dimensions de l’identité politique. Peut-être justement est-ce parce qu’elle est tellement essentielle que cette dimension de l’identité politique a mis tant de temps à s’imposer dans le discours et dans les normes de la citoyenneté. Il s’agit, donc d’abord, de penser une approche de l’espace qui articule pleinement une dimension singulière – celle de l’habitation – et une dimension collective, celle de la rencontre de l’autre et du partage de l’espace avec lui. Pour vivre pleinement dans un espace réellement social, nous devons lier ces dimensions de notre spatialité dans notre vie quotidienne et dans notre vie politique. nous inscrivons, en particulier, cette logique politique de la médiation écologique dans notre engagement dans des causes et des projets destinés à rendre l’espace social plus vivable, plus agréable à habiter, plus propre à nous permettre de rencontrer l’autre. Mais la médiation écologique désigne aussi ce que l’on peut appeler notre culture de l’espace. Il s’agit, d’abord, de nos mots de l’espace : c’est par les mots que nous énonçons pour le désigner ou pou l’apprécier, pour l’étudier ou pour le faire connaître, que nous élaborons cette culture de l’espace et que nous la partageons avec les autres. Le lexique de l’espace est un des lexiques les plus révélateurs de la culture politique d’un pays et de l’identité politique qui le fonde. Par ailleurs, il s’agit de notre esthétique des représentations de l’espace : l’art a toujours constitué un des langages fondamentaux de l’espace en nous donnant une culture des images de l’espace dans lequel nous vivons ou de l’espace idéal dans lequel nous aimerions vivre. Enfin, la médiation écologique désigne l’articulation de notre psychisme de l’espace, c’est-à-dire de la façon dont nous inscrivons dans l’espace notre mémoire, nos souvenirs et nos désirs, et de notre engagement politique de l’espace, c’est-à-dire de la façon dont nous peuplons l’espace de nos idées politiques, de nos conceptions de la vie avec les autres, de la façon, finalement, dont nous partageons l’espace avec les autres. Pour toutes raisons, on comprendra aisément que la médiation écologique ne saurait se réduire à l’engagement d’un parti, mais que tous les partis, toutes les identités politiques, devraient consacrer une part de leur discours et de leurs approches du fait social à l’écologie, c’est-à-dire à la régulation des usages de l’espace, à l’élaboration et à la reconnaissance de ce que l’on peut appeler une identité politique de l’espace. N’oublions jamais que c’est dans l’espace que nous rencontrons l’autre pour la première fois de notre vie, et qu’ainsi, c’est dans l’espace qu’a lieu l’événement, fondateur de notre identité, du miroir, c’est-à-dire de la reconnaissance de l’autre comme symboliquement et, donc, politiquement, semblable à nous.

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