L’élection de José Antonio Kast au Chili : un symptôme ?
Issu d’une famille allemande installée au Chili et fils d’un ancien officier de la Wehrmacht, le nouveau président chilien est bien un successeur de Pinochet, dont il revendique l’héritage. On aurait pu croire qu’en particulier au Chili qui avait subi, en son temps, le pouvoir de Pinochet, la population ne voulait plus subir les abus et la violence de l’extrême droite. Le général Pinochet, au pouvoir de 1973 à 1990, avait mené dans son pays une politique de violence et de totalitarisme qui a protégé le pays d’un retour de l’extrême droite jusqu’à cette année, où J. A. Kast, un officier d’extrême droite, admirateur de Pinochet, a pu être élu en remplacement d’un président de gauche. Cette élection est le dernier symptôme de cette montée en puissance de la violence de l’extrême droite. En se référant au personnage de Pinochet et en empêchant soigneusement toute référence à des dirigeants populaires comme Allende ou Boric, le nouveau président chilien ne fait que mettre en scène, dans son pays, la même grandeur illusoire que celle des autres dirigeants d’extrême droite de notre époque comme Trump, Poutine, Xi Jinping, Netanyahou ou Khamenei. Mais c’est le symptôme de la faiblesse réelle d’une extrême droite qui tente de la cacher par l’illusion d’une force dont le caractère fantasmatique est dissimulé par de la violence.
Trump, Poutine, Xi Jinping, Khamenei, Kast : des dirigeants qui reposent sur une fausse puissance
Au-delà de la situation particulière du Chili, on peut considérer cette élection comme un symptôme de l’acceptation populaire d’un pouvoir d’extrême droite dans d’autres pays que le Chili, car c’est bien une politique totalitaire et autoritaire d’extrême droite qui est menée par D. Trump aux États-Unis, par Xi Jinping en Chine par Khamenei en Iran et par V. Poutine en Russie, même s’ils peuvent se parer d’ornements démocratiques pour tenter de faire croire qu’ils mènent une politique légitimée par une adhésion populaire. Jamais peut-être autant qu’aujourd’hui, à l’époque moderne, des dirigeants autoritaires n’ont été aussi puissants dans les pays qu’ils dirigent. Il s’agit de véritables dictatures, reposant sur un véritable déni du politique. Mais ce déni du politique ne peut précisément être mis en œuvre que parce que les peuples sur lesquels ils règnent ne sont plus engagés comme ils le furent dans des mouvements politiques dans lesquels ils pouvaient se reconnaître comme des peuples actifs et engagés. Leur puissance pouvait constituer des contre-pouvoirs face au pouvoir des dirigeants qui ne pouvaient pas exercer leurs pouvoirs comme ils l’entendaient car ils pouvaient rencontrer des oppositions unies qui contredisaient efficacement leurs discours et leurs représentations. Ce sont ces discours et ces engagements qui, de nos jours, donnent l’impression d’être éteints, d’avoir perdu leurs forces et leurs exigences. Mais la puissance de ces dirigeants est fausse, et c’est pourquoi ils ne peuvent régner qu’en s’appuyant sur des politiques de force, voire des politiques militaristes, pouvant empêcher le débat de s’instaurer et la parole de s’exprimer. Il s’agit d’une fausse puissance car ces dictatures ne reposent pas sur de la rationalité, mais sur la censure des oppositions. Aux États-Unis, si D. Trump a pu conquérir le pouvoir et s’y maintenir alors que son discours a la faiblesse politique de l’absence de projet véritable d’un agent immobilier, c’est parce qu’il a pu faire croire, grâce à ce discours, qu’il allait rendre l’Amérique grande de nouveau (« Make America great again »). Mais, en réalité, il n’est même pas sûr que l’Amérique ait été grande auparavant, sinon en exterminant les populations qui étaient là avant les colonisateurs qui ont fondé les États-Unis, et, surtout, il est encore moins sûr que la politique de D. Trump lui rendra sa grandeur. Il en va de même s’agissant de V. Poutine qui illustre sa politique de références à un passé russe soi-disant glorieux (celui de films comme Alexandre Nevski d’Eisenstein), de Xi Jinping qui a oublié le sens de la révolution maoïste en se référant au passé culturel de la Chine, de Khamenei, qui se réfère à l’Iran de la grandeur de la Perse d’antan ou de Kast qui tente de faire croire que Pinochet menait un politique chilienne de puissance nationale alors que cette fausse puissance ne reposait que sur la répression, la violence et la mort.
La guerre et l’extrême droite
Poutine en Russie avec la guerre contre l’Ukraine, Netanyahou en Israël avec la guerre contre la Palestine, Xi Jinping en Chine avec la guerre contre les Ouïgours sont trois versions du même personnage : celui du dirigeant d’extrême droite qui se sert de la guerre pour pérenniser son pouvoir et asseoir sa domination. On se rend compte avec ces trois dirigeants que la guerre est bien destinée à renforcer leur puissance en ruinant leurs pays. Les guerres de colonisation ont toujours servi, dans l’histoire, dans tous les pays, à renforcer la puissance de ceux qui les mènent, tout en dégradant la vie économique des pays qu’ils dirigent. L’extrême droite croit, et tente de faire croire qu’elle peut retrouver sa puissance disparue en raison de l’évolution des sociétés politiques. Les colonisations et les guerres qui les accompagnent ont toujours été des politiques destinées à faire croire aux peuples que les extrêmes droites sont plus puisantes que les autres choix politiques et qu’elles sont plus capables de diriger que les autres partis. Mais, en réalité, il s’agit de guerres destinées à dissimuler la faiblesse de ceux qui les mènent en allant à l’extérieur de leurs pays tenter de dominer et de coloniser les voisins pour faire croire que les colons sont puissants. En réalité, les colonies israéliennes de Palestine, l’autoritarisme chinois du Xinjiang et la tentative russe de coloniser l’Ukraine s’emparent des pays qu’ils conquièrent et, en les volant de cette manière, croient passer pour des pays puissants, alors que cette puissance ne s’impose que dans les fantasmes qu’elle croit susciter sur leur population et sur les populations des pays qu’ils s’imaginent conquérir. C’est pourquoi la guerre a toujours été la grande figure politique de l’extrême droite : elle est la mise en scène de l’image illusoire de la puissance dans des pays étrangers. Par la guerre, l’extrême droite diffuse dans son pays l’image d’un grand pays qu’elle fait croire que fut le sien et elle croit susciter l’adhésion de son pays en berçant le peuple des belles chansons et des belles légendes qui endorment son esprit critique et son engagement politique.
L’échec de la gauche à susciter l’adhésion populaire
La première pensée qui vient devant cette montée de l’extrême droite est qu’elle est liée à un échec de la gauche qui n’a pas su parler aux classes populaires. Faute de ce soutien populaire à la gauche, c’est l’extrême droite qui a pu prendre sa place dans les opinions publiques. On peut comprendre ce déclin de la place de la gauche de deux manières. D’abord, le public de la gauche s’est peu à peu retrouvé dans les classes bourgeoises : la gauche s’est socialement éloignée des classes populaires qui étaient, jusqu’alors, les publics qui la soutenaient et qui, déçus par la gauche, croyaient trouver dans l’extrême droite des partis et des dirigeants susceptibles de donner de la richesse et de la puissance. Par ailleurs, peut-être les pouvoirs de gauche ont-ils peu à peu perdu le soutien des classes populaires car, quand ils se sont trouvés au pouvoir, ils n’ont pas mené la politique que les peuples attendaient d’eux. C’est ainsi qu’un fossé s’est peu à peu creusé entre les partis et les mouvements de gauche et les peuples et que l’extrême droite a peu pris la place de la gauche dans les classes populaires.