Le mépris de l’élection
En choisissant son premier ministre au sein du parti qui a obtenu le plus faible résultat aux élections législatives, E. Macron montre son mépris pour l’élection et pour le peuple français. Il ignore les résultats des élections, il ne veut pas les connaître, car il ignore les voix du dèmos, du peuple. Le peuple et la démocratie ne l’intéressent pas. Nous nous trouvons une fois de plus devant les questions soulevées par la conception que se fait E. Macron du pouvoir politique et de la démocratie : le vote et l’élection, finalement, ne sont que des mises en scène destinées à donner une sorte de vernis démocratique aux choix et aux décisions de celui qui se prend de plus en plus nettement pour un monarque. Peut-être même peut-on raisonner autrement : il ne s’agit pas de la part d’E. Macron d’ignorer l’élection en nommant M. Barnier premier ministre, mais il s’agit, au contraire, de tenir compte de l’élection, mais comme à l’envers, en en prenant délibérément le contrepied pour rappeler au peuple qu’il n’a aucun pouvoir dans la conception macronienne de la politique et aucune voix dans les discours politiques qui se tiennent sous ce qu’il faut bien appeler, désormais, son règne. Le mépris macronien de l’élection change peu à peu notre régime politique : il devient réellement une monarchie. Ce mépris de l’élection se trouve aussi dans la seule référence, portée par le personnage de M. Barnier, à des temps de la politique française étrangers au temps des citoyennes et des citoyens de l’espace politique d’aujourd’hui. Le mépris de l’élection est aussi un mépris du temps des électrices et des électeurs, une ignorance revendiquée de l’espace politique de notre temps.
La soumission d’E. Macron au chantage du Rassemblement national
Le R.N. a imposé à E. Macron le choix d’un premier ministre qu’il ne censurerait pas nécessairement - qu’il jugerait selon ses actes et sa politique. C’est ainsi que, désormais, le R.N. fait la loi à droite - et, au-delà, oblige l’exécutif à prendre les décisions qui lui conviennent. C’est un mensonge de plus d’E. Macron auquel nous assistons puisque, si mes souvenirs sont bons, il avait été élu président pour nous permettre d’échapper au R.N. Mais, au-delà, cela montre que la droite est prête à tout pour conserver un pouvoir qu’elle n’a plus, puisque, pour rester à la tête de l’exécutif, elle se soumet aux volontés du R.N. : en réalité, elle a perdu la réalité du pouvoir puisque c’est le R.N. qui détient le pouvoir sur la politique menée dans notre pays. La droite se commet avec l’extrême droite, ce qui signifie qu’il n’y a plus de distinction entre l’une et l’autre.
Une dimension européenne de cette nomination
L’Union européenne a sans doute été le principal domaine d’action politique de M. Barnier, puisqu’il a été ministre délégué aux affaires européennes dans le gouvernement d’A. Juppé comme on le verra plus loin, mais, surtout, car il a été commissaire européen (chargé de la politique régionale) de 1999 à 2004. Le choix d’E. Macron de le désigner comme premier ministre manifeste une fois de plus sa soumission aux impératifs européens. Il y a, en ce sens, une contradiction, d’ailleurs, entre des orientations européennes ainsi affichées et une forte réticence à satisfaire les obligations imposées aux pays membres par les institutions de l’Union européenne. Il s’agit, de la part d’E. Macron, une fois de plus, d’une revendication d’ignorer les lois, les règlements, les devoirs, qui lui sont imposées et, au contraire, d’une mise en scène : celle d’une figure européenne dont le choix de M. Barnier pourrait apparaître comme un des éléments de sa politique. On ne peut pas comprendre la nomination de M. Barnier sans l’inscrire dans la culture politique européenne de la France et, en particulier, dans la conception macronienne de l’Europe : celle d’un élément de plus d’une politique dominée par la dimension financière de l’économie. D’ailleurs, on doit mettre en relation cette sorte de revendication de soumission aux institutions européennes avec le mépris macronien de l’élection française : c’est, finalement, la culture politique française qu’il ignore - voire qu’il méprise. Ce mépris de l'espace politique de notre pays se manifeste ainsi par la désignation comme premier ministre d’un homme dont la seule action politique réelle s’est déroulée en Europe ou à propos de l’Europe. Finalement, comme E. Macron, M. Barnier est étranger à la culture politique de notre pays, il ne fonde son identité politique que sur sa dimension européenne, de même qu’E. Macron ne fonde la sienne que sur sa carrière financière dans le monde des banques. Ni l’un ni l’autre ne parle la langue politique de notre pays.
Un homme politique à l’ancienne
Michel Barnier n’est pas un nouveau. Il fut ministre sous la présidence de Jacques Chirac. Nous voilà revenus aux anciens temps de la droite triomphante. Il s’agit, ainsi, de la part d’E. Macron, d’une façon de plus de revenir aux habitudes et aux cultures anciennes de la vie politique. Le terme « réactionnaire » prend toute sa signification : en nommant M. Barnier premier ministre, E. Macron exprime son attachement aux temps anciens de la politique. M. Barnier a été ministre de l’agriculture et de la pêche sous N. Sarkozy dans le gouvernement de F. Fillon (juin 2007-juin 2009) et ministre des affaires étrangères sous J. Chirac dans le gouvernement de J.-P. Raffarin (mars 2004-mai 2005). Il avait été, auparavant, ministre délégué aux affaires européennes sous J. Chirac, dans le gouvernement d’A. Juppé (mai 1995-juin 1997) et ministre de l’environnement sous F. Mitterrand dans le gouvernement d’E. Balladur (mars 1993-mai 1995). Et il n’est question, ici, des fonctions ministérielles qu’il a occupées, et non de ses mandats parlementaires. C’est ainsi qu’E. Macron choisit la fidélité à l’héritage ancien de la droite française. Il ne cherche pas à imaginer une nouvelle politique ni à choisir des hommes nouveaux ; non seulement la politique qu’il entend mener se fonde sur le conservatisme, mais, de plus, elle est portée par des figures anciennes, que l’on croyait disparues de l’espace politique de notre pays. Après avoir tenté de nous faire croire qu’il désignerait comme premier ministre une figure récente sinon contemporaine, E. Macron est allé chercher son premier ministre au rayon des Antiquités, comme si rien ne s’était passé en France depuis la présidence de J. Chirac et celle de N. Sarkozy. Au fond, dans cette ignorance, ou ce dédain, des évolutions politiques qu’a pu connaître notre pays, il y a toujours cet enfermement d’E. Macron dans le seul souci de sa petite personne et dans sa seule conception imaginaire de la politique fondée sur des fantasmes de conservatisme et de recherche de l’ordre ancien, comme si le pouvoir ne pouvait être qu’un privilège réservé aux ancêtres ou à une espèce de « troisième âge » de la politique.
La figure de Michel Barnier pour Emmanuel Macron
Une fois de plus, rappelons-nous que l’on ne peut dissocier la rationalité politique et la rationalité psychique : un acteur politique est aussi fait de son identité psychique. Sans doute faut-il ainsi comprendre ce que représente un personnage comme Michel Barnier pour Emmanuel Macron. Il y a quelque chose d’une figure du père dans ce personnage, à la fois parce qu’il est plus âgé (il est né en 1951 et E. Macron en 1977), parce qu’il a eu des pouvoirs dans des temps anciens et parce qu’il va constituer pour le président une sorte de garant de son ancrage à droite. Mais, au-delà, cette figure représente pour E. Macron, quelque chose d’un père qu’il aurait pu choisir et sur qui il aurait eu un pouvoir. Même sur le père, E. Macron cherche à détenir un pouvoir. Il cherche, une fois de plus, le pouvoir sur tout, en cherchant même à se donner le père politique qu’il n’a pas et la figure du père qu’il n’est pas.
Une droite affirmée
Enfin, au moins, les choses sont claires. E. Macron ne peut plus se prévaloir de son constant « ni de droite ni de gauche », le premier ministre est clairement à droite. La désignation d’un homme politique issu de la droite chiraquienne ne laisse plus aucun doute sur l’orientation de droite de l’exécutif macronien. La petite valse jouée avec Bernard Cazeneuve n’était bien là que pour amuser la galerie, pour faire semblant d’hésiter entre un gouvernement de gauche et un gouvernement de droite. Cette petite valse ridicule, cette soi-disant hésitation à choisir le premier ministre le plus adapté à la situation de notre pays, n’était destinée qu’à donner le change. En réalité, la politique d’E. Macron, et cela depuis le début, est une politique résolument de droite. Il s’agit de ne tenir aucun compte des volontés exprimées par le peuple français donnant le plus de suffrages aux partis de gauche lors des dernières élections législatives, mais bien de mener une politique de droite, la seule convenant pleinement aux orientations libérales de la politique macronienne. Nous voilà de nouveau devant cette idée portée par tous les hommes de droite et par tous ces hommes et toutes ces femmes qui se prennent pour des élites : seule la droite serait assez légitime pour exercer le pouvoir. La gauche ne peut avoir le pouvoir que par erreur ou au cours d’un petit mandat pour la laisser s’amuser et pour feindre qu’on lui laisse une voix pour s’exprimer pendant un peu de temps - à condition, surtout, qu’elle ne change rien aux structures fondamentales de l’État dominé par le libéralisme. En désignant M. Barnier comme premier ministre, Emmanuel Macron remet ses premiers ministres issus de la « gauche macronienne », E. Borne et G. Attal à leur place, celle de premiers ministres par accroc, et il revient aux fondamentaux de sa conception de la politique qui ne peut réserver le pouvoir qu’à la droite, la seule qu’il reconnaisse comme légitime.