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Billet de blog 20 avril 2023

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PARLER POUR NE RIEN DIRE

Vide : c’est le premier mot qui vient à l’écoute ou à l’audition du discours du président Macron de lundi 17 avril. Derrière les mots, abondants, certes, qu’il a prononcés, il n’y a rien, aucune annonce, aucun projet.

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Aucune réponse à la critique de la réforme des retraites

Bien sûr, c’est sur ce point que l’on attendait le discours. Le président avait, d’ailleurs, annoncé qu’il répondrait aux critiques, dans ce discours. Il s’est contenté d’évacuer le débat en se donnant « cent jours ». Pourquoi d’ailleurs, « cent jours » ? Peut-être se prend-il vraiment pour Napoléon. Mais, alors, il devrait savoir que les cent jours de l’empereur avaient mal fini. Au lieu d’une réponse, il a seulement « regretté » qu’il n’y ait pas eu de « consensus » et que la réforme « n’ait pas été acceptée ». Et puis il a redit que cette réforme des retraites était « nécessaire », sans dire pourquoi. En quelques mots, il a mis de côté les milliers de manifestants qui avaient dit leur refus, il a ignoré le peuple, alors qu’il disait « agir au service de la France », comme si le peuple et la France n’étaient pas la même chose. Il est vrai que c’est une caractéristique connue du discours de la droite de s’en référer à « la France » et non au « peuple », les pouvoirs venant s’approprier la France pour considérer que le peuple n’a pas de légitimité politique. C’ »est ainsi qu’il a joué, qu’il a représenté comme un acteur de théâtre, en parlant à la place du peuple et en énumérant les raisons, selon lui, du refus de la réforme. Pour cela, E. Macron a parlé de la « colère », et en disant comprendre cette colère, en disant comprendre que « le travail, pour trop de Français, ne permet plus de bien vivre »,  que « des prix montent », comme ceux « du plein, des courses, de la cantine ». Mais, en réduisant, ainsi, une représentation de la société à des mots creux,, il a, une fois de plus, fait la preuve qu’il ne sait pas ce qu’est la réalité de la vie sociale populaire. Comble d’hypocrisie, il s’est même permis de parler de la « colère parce que certains ont le sentiment de faire leur part, mais sans être récompensés de leurs efforts, ni en aides ni en services publics efficaces », alors que, jusque’à preuve du contraire, c’est le rôle de l’État, dont il est le chef.

Les « chantiers »

Le président a profité de ce discours pour exposer des « chantiers ». C’est beau, le mot « chantier », il permet de faire croire que l’on travaille, que l’on agit, il permet de donner l’illusion que l’on accomplit un travail pénible difficile, mais, en même temps, un travail de construction, de création, même. C’est toujours le mot favori de ceux qui cherchent à donner le change. Mais, une fois de plus, ces mots sonnaient creux, lundi, parce qu’il n’y a pas de chantiers, sinon des mesures impopulaires, parce que les mandats d’E. Macron n’ont, justement, rien créé, parce qu’ils n’ont cherché à mettre en œuvre aucun projet, sinon celui de défaire l’existant pour engager une véritable politique de régression sociale. Il a donné une « feuille de route », pour les trois mois à venir, et la première ministre les exposera « dès la semaine prochaine ». La semaine prochaine, on rasera gratis. Mais, d’abord, rappelons-nous, tout de même, la Constitution, dont l’article 20 est souvent méconnu (on finit pas ne plus connaître que l’article 49-3). Cet article 20 explique que le « gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation ». Ce n’est donc pas au président de « donner une feuille de route » : selon la Constitution, le président n’est là, finalement, que pour s’assurer de la légitimer de la politique conçue par le gouvernement. Il n’est pas là pour diriger la politique du pays. Les « chantiers », devraient être conçus par la première ministre et son gouvernement.

Le premier « chantier » consiste à élaborer un « nouveau pacte de la vie au travail ». Le mot « pacte » aussi est un mot creux. Un pacte, c’est un accord mettant fin à une guerre ou concevant une alliance, alors qu’il ne peut y avoir de « pacte » entre employeurs et travailleurs, alors, surtout, qu’il existe déjà des lois pour réguler la vie au travail. Peut-être s’agit-il de prévoir de nouvelles mesures de régression sociale, comme, par exemple, un nouvel allongement de la durée hebdomadaire du travail. Quant à la « vie au travail », on ne sait pas ce que ces mots veulent dire.  Ce « chantier » consiste aussi dans la réforme du lycée professionnel. On remarquera que le projet présidentiel consiste à ne s’occuper que du lycée professionnel, ce qui est, d’abord, une façon de plus de séparer les formations professionnelles des façons générales, c’est-à-dire une façon de plus de les mettre à l’écart, de les exclure du domaine de la formation et de la culture, et ce qui est une façon de manifester son intention de mettre encore une fois l’État au service des employeurs et des entreprises, rejetant, ainsi, de son projet, celui d’améliorer la justice sociale.

Le second « chantier » est celui de « l’ordre républicain ». Comme si la France n’était plus une république, ou comme si l’ordre n’y régnait pas. Par ces mots, le discours d’E. Macron tente de faire croire que le pays est en désordre, qu’il est en crise, et qu’il y a, heureusement, un sauveur pour restaurer l’ordre. Comme souvent, les mots portent en creux une sorte d’aveu : en évoquant ainsi « l’ordre républicain », E. Macron reconnaît peut-être, lui-même, que son projet (encore une fois les « cent jours) est d’en finir avec la république. « Dans ce but », dit le président, « nous continuerons à recruter plus de 10 000 magistrats et agents, nous continuerons d’améliorer le fonctionnement de notre justice et nous sommes en train de créer 200 brigades de gendarmerie dans nos campagnes pour lutter contre toutes les formes de délinquance, contre toutes les fraudes, qu’elles soient sociales ou fiscales ». L’ordre républicain. Se réduit à de la sanction et à de la répression. Rien, dans ce discours, ne laisse de place au débat et à la liberté d’expression et de confrontation. Au lieu de répondre à la critique de la réforme des retraites, le président prévoit un renforcement de l’appareil répressif, et les moyens de l’État sont consacrés à la justice et à la police.

Le troisième « chantier » est celui du « progrès pour mieux vivre ». Encore des mots. Et, encore une fois, le président fait la liste de ce qui ne va pas, des échecs de l’État, sans reconnaître qu’après un quinquennat et le début d’un second, on se demande ce qu’il a pu faire pour que de tels manques restent encore. La recherche de ce « mieux vivre » est le rôle de l’école, mais en français, en mathématiques et en sport : les autres disciplines n’existent pas, ce qui montre le caractère réactionnaire du projet d’E. Macron, dont on se demande, en passant, ce qu’il peut bien connaître de l’école publique, puisque la seule école qu’il connaisse est l’école privée des privilégiés.  Quant à la santé et à l’amélioration de « la vie quotidienne » des « dix millions » de personnes qui « vivent dans les quartiers les plus défavorisés, dans les zones rurales les plus en difficulté, dans nos territoires d’outre-mer », on se demande encore qui est le responsable des manques de cette vie. Surtout, on ne sait pas en quoi consiste le projet du président dans ce domaine comme dans les autres.

Ce discours aura ainsi manifesté à la fois le vide de la pensée du président, son absence d’analyse de la situation et de réelle expérience de la relation avec le « peuple ». En s’adressant à nous par ce discours, E. Macron avait annoncé des décision s, des choix, des mesure, en réponse à notre malaise et à notre exaspération. Au lieu de cela, il se sera contenté, comme souvent, de mots destinés,  espère-t-il, à donner le change sur son absence de politique. Car c’est cela, au fond, que montre ce discours : E. Macron n’est pas un homme politique, il ne fait pas de politique, il ne fait que de la gestion. Le discours de lundi n’était pas un discours politique, il n’était que les mots d’un pouvoir. C’est grave.

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