V. Poutine et D. Trump ont tenu un « sommet » pour débattre des concessions territoriales de l’Ukraine
Au-delà de l’échec infligé à D. Trump par un V. Poutine qui n’a voulu entendre parler de rien, un « sommet » est l’abréviation de l’expression « conférence au sommet » qui désigne une réunion de chefs d’État ou de gouvernement de grands pays - ou plutôt, devrais-je dire, de pays qui se prennent pour des grands pays et qui essaient de faire croire aux autres qu’ils le sont. Les sommets sont la forme qu’ont prise, dans la géopolitique de notre temps, les conversations et les entretiens qui ont toujours réuni des souverains dans l’histoire du monde pour montrer leur puissance en ne parlant pas avec des « petits » pays. De nos jours, nous parlons, ainsi, du « sommet » organisé en Alaska, un état nord-américain que V. Poutine considère un peu comme russe pour discuter des concessions exigibles de l’Ukraine pour qu’il soit mis fin à la guerre. Mais ce sommet posait tout de même deux problèmes : d’abord, il semblait ne devoir y être question que de concessions de l’Ukraine, et, ensuite, s’il devait y être question de l’Ukraine, ce pays n’y était pas convié. Enfin, le vrai problème soulevé par l’organisation de ce « sommet » ne s’est manifesté qu’à la fin : D. Trump, une fois de plus, s’est montré incapable d’autre chose que de parler, d’aligner des mots, toujours les mêmes, et de jouer un rôle d’acteur pour films de « série B » - voire de « série W ou Z ».
Un ordre géopolitique périmé
L’organisation de ce sommet manifestait surtout un ordre géopolitique périmé, une société géopolitique d’un autre temps. C’était avant cela que les États-Unis et la Russie se prenaient pour les souverains du monde. D’abord, il s’agissait de la géopolitique issue de la deuxième guerre mondiale et de la défaite de l’Allemagne nazie et de ses alliés, l’Autriche nazie, l’Italie mussolinienne et le Japon du temps de leur alliance avec l’Allemagne nazie et de la bombe d’Hiroshima. Ensuite, ces deux pays se prenaient pour les dirigeants d’un monde qui opposait le « monde de l’Ouest », celui du libéralisme économique, dominé par les États-Unis, et le « monde de l’Est », celui de la société dominée par l’Union et composée par ses alliés. Enfin, cet ordre géopolitique était celui d’un monde qui n’avait pas encore connu la crise de l’énergie due à la surconsommation de l’énergie pétrolière et à la fin de la vassalité des pays producteurs de pétrole, devenus maîtres de leur propre destin.
La nostalgie des puissances
C’est cette puissance perdue que les États-Unis et la Russie ont eu envie de retrouver en organisant le « sommet » de D. Trump et de V. Poutine. Il s’agissait, pour eux, de retrouver ce pouvoir géopolitique, cette espèce d’hégémonie dont ils se croyaient porteurs pour toujours. D. Trump, notamment, se figurait que sa compétence d’agent immobilier (dont je ne suis même pas certain au demeurant) allait lui suffire pour imposer ses volontés à cet autre « grand » que V. Poutine, de son côté, se croit être. En organisant ce « sommet », en mettant en scène cette pièce de théâtre d’un autre temps et ce décorum hors d’âge, D. Trump croyait une fois de plus qu’il allait régler le problème de l’Ukraine en quelques minutes. Il y a beaucoup de choses qu’il tente de nous faire croire qu’il est capable de régler ainsi, rapidement, par la magie de sa seule volonté - tellement que cela finit par en devenir lassant, qu’il devrait essayer de changer de disque. Surtout cette nostalgie du temps des « grands » oubliait que, dans notre nouvel espace géopolitique, d’autres pays entendent bien trouver leur place et manifester la réalité de leur pouvoir.
Une recomposition de la géopolitique
C’est que toute la géopolitique du monde est en train de se recomposer, autour de nouvelles logiques et de nouvelles confrontations, autour, aussi, de nouveaux pouvoirs et de nouvelles conceptions de la diplomatie. La première grande rupture de notre monde par rapport à l’ancien est l’ouverture de la Chine au monde. Enfermé, comme pendant les siècles de ses empires, pendant les premières années de la géopolitique postérieure à la deuxième guerre mondiale, ce pays a fini par redevenir un empire en s’ouvrant économiquement et politiquement en monde : il a commencé à inonder les marchés du monde de ses produits et de ses innovations, il s’est donné une place de pus en plus importante dans la géopolitique et dans les rapports entre les pays et entre les puissances, il a entrepris de conquérir une place qu’il n’avait pas auprès de toutes sortes de pays - je pense an particulier à des pays d’Amérique latine. La seconde évolution à transformer le monde est la population. La Chine n’est plus le pays le plus peuplé du monde, c’est l’Inde. Cela va rendre nécessaires certaines recompositions, non seulement entre les anciennes grandes puissances et les nouvelles, mais aussi entre les nouvelles grandes puissances, à la fois sur le plan politique et sur le plan idéologique : de nouvelles conceptions de la société, de nouvelles cultures sont en train de s’imposer sur la scène mondiale de la puissance. Enfin, une troisième évolution est en train de transformer la géopolitique : l’axe Est-Ouest n’a plus de sens depuis la disparition des régimes fondés sur des orientations communistes illusoires, et, surtout, depuis que ce ne sont plus l’Europe et l’Amérique du Nord qui sont à la tête du monde mais c’est un axe Nord-Sud qui a pris sa place. Avec la fin des colonisations (raison, d’ailleurs, pour laquelle, en plus de son illégitimité, de son totalitarisme et de la mort dont il est porteur, le projet israélien en Palestine est une aberration politique), les pays que l’on désigne comme les pays du Sud sont devenus aussi puissants que ceux du Nord, ne serait-ce que parce que le Nord a besoin du Sud. Ainsi, ce n’est pas seulement la géopolitique du monde qui est en train de se bouleverser, c’est aussi l’économie. À moins qu’il ne faille dire, ce qui revient au même, que l’économie est devenue - ou redevenue - la logique essentielle de la géopolitique. Compte tenu à la fois de la croissance de la consommation de l’énergie et des conditions de sa production, des circulations des travailleurs, des conditions dans lesquelles se produit l’alimentation et qu’elle se diffuse dans le monde, la géopolitique devient, peu à peu, dominée par le Sud - à moins que l’on ne préfère dire que la domination géopolitique du monde n’est plus soumise à l’hégémonie du Nord, mais qu’elle est partagée entre le Nord et le Sud.
Une terre redevenue le globe qu’elle avait cessé d’être.
C’est cela, finalement, qui est en train de se produire : la terre est redevenue une sphère et elle a, enfin, cessé d’âtre plate. « Et pourtant elle tourne », aurait dit Galilée à l’issue de son procès : peut-être la géopolitique avait-elle fini, elle aussi, par l’oublier, comme ses juges et comme les pouvoirs auxquels il était soumis. Que la terre politique tourne, cela signifie que les pouvoirs, les événements, les évolutions y circulent sans cesse, n’y sont plus toujours détenus et contrôlés par les mêmes pays, mais que les pouvoirs sur les espaces du monde sont détenus par des pays qui ne sont jamais les mêmes. Que la terre politique tourne, cela signifie aussi qu’il n’y a plus de pérennités ni de permanences dans le monde, que nous devons apprendre à vivre dans un temps politique en perpétuelle mutation et que nous devons comprendre que les puissances n’en sont plus. Enfin, que la terre politique tourne, cela implique que les unions et les confrontations, les luttes, mais aussi les alliances sont, elles aussi, en continuelles transformations. Nous devons, désormais, apprendre à lire un monde qui parle plusieurs langues, qui s’exprime en une infinité de cultures, qui met en commun une multiplicité d’histoires et de géographies. Les deux grands doivent, enfin, comprendre qu’ils ne sont plus les seuls grands dans un monde qui, de toutes les manières, n’en a plus.