Israël a changé de sens
Lors de son institution, en 1949, après les atrocités nazies et la première guerre contemporaine de Palestine, celle de 1948, Israël était dominé par les travaillistes et constituait un outil libéral et occidental de domination de la Palestine. Il s’agissait, pour les fondateurs de l’état d’Israël, d’instituer dans les lieux considérés comme ceux de l’origine de l’identité juive un état dans lequel les juifs pourraient se retrouver en paix, sans être discriminés ni rejetés. Si, dans le contexte de la guerre mondiale contre l’Allemagne, l’Autriche et la Turquie, la « déclaration Balfour » de 1917 envisageait le projet d’un état « dans lequel les Juifs seraient en majorité », il s’agissait, de plus, en 1948, avec l’institution de l’état d’Israël, reconnu par les autres nations du monde en 1949, d’en finir avec l’antisémitisme nazi. Mais, dans ses commencements, le projet israélien était un socialisme, conforme, d’ailleurs, aux idéaux du projet juif de l’Ancien testament. Aujourd’hui, le projet politique de l’état d’Israël a changé de sens. Il ne s’agit plus seulement d’instituer un état (en effet, cet état existe) mais le projet de Netanyahou et du Likoud ainsi que de leurs alliés et des sionistes radicaux s’inscrit dans des logiques impérialistes de conquête et de recherche de toute-puissance. C’est le sens des « colonisations » successives mises en œuvre par Israël en s’appropriant des terres de plus en plus nombreuses, proches de lui, mais habitées par des Palestiniens qui se sont trouvés, ainsi, dépossédés de leurs terres. Une telle logique de conquête est, d’ailleurs, le sens de tous les projets de colonisations qui se sont déroulés dans le monde, pour accroître les espaces des nations les mettant en œuvre. Les juifs issus d’Europe et d’Amérique du Nord qui accompagnaient ceux qui restaient en Judée ont été peu à peu remplacés par des habitants venus d’Europe de l’Est et d’autres pays du Proche-Orient dans une quête de domination. Ce que les États-Unis ou d’autres pays (dont la France ?) n’ont pas vu, ou feignent de ne pas voir, c’est ce changement de sens : ils dénient le fait qu’en aidant Israël et en soutenant aveuglément sa politique, ils légitiment, au contraire, la violence du Hamas et du Hezbollah en donnant à leur politique le sens d’une résistance à l’oppression.
Le sionisme : un socialisme puis une politique de conquête et d’expansion territoriale
Le projet sioniste de Theodor Herzl (1860-1904) est presque contemporain du projet communiste (Le Manifeste communiste est de 1848, Le Capital est de 1867 et la révolution russe a eu lieu en 1917). Il s’agit, pour T. Herzl, notamment face à la menace et à la violence de l’antisémitisme, fort à son époque, de concevoir un état dans lequel pourrait s’instituer une société socialiste. La culture politique juive est, pour lui, un lieu dans lequel il peut trouver des références à la société juive de l’Antiquité, lui permettant de légitimer un tel monde. C’est surtout D. Ben Gourion qui cherchera à donner un caractère socialiste à l’état d’Israël en train de se construire en 1948. En effet, c’est dans les milieux syndicalistes que Ben Gourion trouvera les soutiens à l’institution de l’état et les militants qui en seront les premiers acteurs et les premiers cadres, notamment autour de la Histadrout, la première organisation syndicale israélienne. Quant au territoire d’Israël, les premiers temps de l’institution de l’état se limitent aux frontières qui auront été prévues en 1948, et sa politique ne comportera pas de recherche d’expansion territoriale ni de domination régionale. C’est le Likoud de M. Begin et de B. Netanyahou qui va chercher à s’étendre, en poursuivant une politique infinie de colonisation en Palestine et en cherchant à pousser la souveraineté jusqu’au Liban, recherchant, ainsi, la conquête d’une véritable hégémonie régionale. Alors que les juifs furent des résistants à l’occupation allemande qui les avait opprimés et tués, le sionisme de Netanyahou consiste en une occupation des pays qu’il cherche à dominer, renversant, en quelque sorte, les logiques de l’occupation. C’est ainsi que le sionisme ne va plus manifester un projet d’organisation de la société ni exprimer une forme d’idéal politique, ce qu’il avait pu être au commencement, mais, sous sa forme radicale, il va représenter ce qu’il est devenu aujourd’hui : un projet de domination et d’expansion à la fois politique et géographique. De même, le projet socialiste arabe, celui de Nasser, en Egypte, celui de Ben Bella en Algérie, ou celui de Bourguiba, en Tunisie, va être remplacé par un projet dominé par les idéologies religieuses.
Radicalisme sioniste et radicalisme musulman s’entraînent l’un l’autre dans une spirale sans fin
C’est ainsi que les deux radicalismes sioniste et musulman, qui se confrontent l’un à l’autre vont s’enfermer dans un cycle infini de violence et de guerre. Au lieu de concevoir une société en lui donnant une identité religieuse et culturelle, il s’agit, pour l’un comme pour l’autre, de chercher à s’étendre et à détruire l’autre. Ces deux radicalismes vont s’inscrire dans des politiques extrémistes qui finissent par oublier et par dénier les logiques de leur institution et de leur histoire pour ne plus se manifester que dans la violence d’un radicalisme sans limites. On pourrait même dire que c’est le projet religieux qui change de rôle et de signification. Au lieu d’être ce qu’il pouvait être dans ses fondations, c’est-à-dire l’expression d’un imaginaire politique, il se réduit au seul projet d’une conquête et d’une expansion dans l’espace. La légitimation de l’institution de ces deux états s’est perdue au profit d’une simple politique de fanatisme religieux et d’expansion territoriale. On peut comprendre ces radicalismes de trois manières. La première consiste à chercher dans la culture religieuse une légitimation. L’expansion territoriale consiste à chercher dans la réalité de l’espace la manifestation de l’idéal utopique exprimé dans les textes sacrés de référence. Mais, dans le même temps, c’est une façon d’oublier un peu vite que le concept même d’utopie signifie bien l’absence d’espace (grec ou-topos). La deuxième remarque que l’on peut faire est qu’il s’agit d’une croyance et non d’une adhésion. Cela implique une logique de soumission. Il ne s’agit pas de se reconnaître comme citoyen et comme acteur politique d’un pays, mais de considérer ce pays comme le paradis proposé par la croyance dont on est porteur. L’importance de cette référence au principe d’une croyance est que les fidèles se font imposer des lois au lieu de les concevoir eux-mêmes. Qu’il s’agisse de la logique sioniste ou de la logique de l’expansion musulmane, les citoyens n’adhèrent pas à un projet qu’ils pourraient contribuer à élaborer, à faire évoluer, à instituer comme l’espace politique d’une société de vie et d’équité, d’économie, de culture et d’éducation, mais ils se soumettent à des normes et à des injonctions exprimées par les textes de référence ou, surtout, par les institutions religieuses contemporaines. Les populations n’adhèrent pas librement à un projet partagé, mais se voient contraintes d’obéir aux autorités qui leur sont imposées. Enfin, une troisième remarque que l’on peut faire au sujet de ces radicalismes est que, l’un et l’autre, ils légitiment une violence imposée. La violence qu’ils déploient, à la guerre, dans les colonisations ou dans les organes de répression imposés dans les états constitués, n’a, en quelque sorte, d'autre but qu’elle-même. La violence n’est pas un moyen destiné à permettre l’établissement de sociétés conformes à l’idéal politique porté par ces états, mais elle devient un simple moyen d’affirmer une identité politique singulière et collective face à celles et à ceux qui sont considérés comme des ennemis - tout simplement parce qu’il ne pourrait exister de radicalisme violent sans ennemi. En ce sens, les guerres de Palestine sont des guerres infinies et le projet sioniste s’est transformé au fil de l’histoire des deux derniers siècles. D’un projet d’institution d’une société idéale, il est, peu à peu, devenu un projet d’extermination de l’autre, d’uniformisation de l’état et de reconnaissance d’une hégémonie des institutions religieuses, censurant le politique, la contestation et le débat en rendant ces pays muets et en les privant de vision.