Bernard Lamizet (avatar)

Bernard Lamizet

Ancien professeur à l'Institut d'Études Politiques de Lyon

Abonné·e de Mediapart

357 Billets

1 Éditions

Billet de blog 22 février 2024

Bernard Lamizet (avatar)

Bernard Lamizet

Ancien professeur à l'Institut d'Études Politiques de Lyon

Abonné·e de Mediapart

LA RÉGRESSION POLITIQUE

Nous semblons vivre une époque de régression de la politique. La quantité de régimes autoritaires, la tentation pour les pouvoirs répressifs, et pour les faux partis que sont les partis d’extrême droite, la perte de qualité du débat : tout cela doit nous interroger.

Bernard Lamizet (avatar)

Bernard Lamizet

Ancien professeur à l'Institut d'Études Politiques de Lyon

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les pouvoirs autoritaires partout dans le monde

Xi Jinping en Chine, Poutine en Russie, Modi en Inde, les talibans en Iran, Netanyahou en Israël : pour ne prendre que ces quelques exemples, de grands pays du monde sont aux mains de dictateurs conservateurs. C’est le premier aspect de la régression politique qui se manifeste aujourd’hui - et, sans doute, dans tous les pays. L’autoritarisme qui règne dans les pays du monde est lié à deux faits majeurs dans le domaine politique. Le premier est, en grande partie en raison de l’omniprésence de l’hégémonie des médias numériques et audiovisuels, la personnalisation du pouvoir qui nous fait revenir aux pires époques de l’icône en politique. Le second est l’évolution de la vie politique vers une sorte de passivité des populations de tous les pays du monde, qui semblent ne plus militer, ne plus s’engager, ne plus résister : le pire est le consentement des peuples à être dominés. Il se produit une sorte d’intériorisation de la domination qui laisse libre cours à l’autoritarisme des institutions et des pouvoirs.

La régression de l’économie politique

Mais cette montée des régimes autoritaires est liée, sur le plan politique, à la domination du libéralisme sur le plan économique. Tout se passe, finalement, comme si nous étions soumis à un partage des rôles. Les pouvoirs politiques consistent dans des dirigeants aux pouvoirs de plus en plus autoritaires, tandis que les pouvoirs économiques reposent sur la soumission des décideurs politiques aux puissances économiques et financières. Le libéralisme a-t-il gagné ? Des conceptions libérales s’associent à des conceptions autoritaires de la politique, qui se rapprochent de l’extrême droite comme on a pu le voir avec le débat sur la loi « asile et immigration ». À cet égard, on peut rapprocher le discours de D. Trump aux États-Unis et, en France, le rapprochement de l’extrême droite et des Républicains dans la recherche d’une politique libérale autoritaire.

L’aggravation de la violence

La violence monte partout dans le monde, qu’il s’agisse de la guerre et des formes collectives de la violence ou des pratiques individuelles de la violence comme les crimes ou les violences sexuelles. Cette montée de la violence manifeste l’impossibilité du débat en même temps que le refus de reconnaître l’existence de l’autre et de la nécessité des relations sociales. Nous ne savons plus ce qu’est écouter - encore moins ce qu’est entendre. La violence semble illustrer une forme d’oubli du langage politique. L’espace politique n’est plus un espace de la parole et du débat mais semble s’être réduit à un espace de confrontation des pouvoirs et des violences ou à un espace de politiques violentes et répressives par les acteurs qui détiennent les pouvoirs. D’un côté, on assiste à une montée de la criminalité et des actes violents des personnes les unes sur les autres, et, de l’autre, on assiste à une aggravation des actes politiques violents, liés à la radicalisation des engagements politiques, qu’il s’agisse, par exemple, en Palestine, de la radicalisation de l’islamisme ou à celle du gouvernement israélien de droite radicale de Netanyahou.

La montée des peurs

La peur, qui fut un fait idéologique essentiel au Moyen Âge, est revenue. Prenant la forme du thème de l’insécurité, mais aussi de la crainte de la maladie (le SIDA en d’autres temps pas si éloignés, le COVID-19 aujourd’hui, en attendant ce qui sera imaginé demain, ont remplacé la peste), la peur est savamment orchestrée par les médias et par les discours politiques pour renforcer leur pouvoir et pour accentuer l’illusion d’une protection et d’une nécessité de la sécurité en grande partie imaginaire. La peur, la stupeur, n’est qu’une manière de suspendre son jugement critique et de s’abstenir de réfléchir, une façon de se soumettre et de se priver soi-même de sa liberté. Il s’agit d’une forme de régression politique en quelque sorte symétrique de la violence. La montée des peurs nous fait vivre dans un temps fondamentalement opposé au politique, à la parole et au débat : le temps de l’urgence.

Les migrations et l’enfermement des pays

On peut considérer l’accroissement des flux migratoires à des formes de violence, car ils font subir aux personnes qui se déplacent la violence d’un changement forcé de lieu d’habitation - voire à une perte de l’habitation remplacée par un nomadisme forcé. D’un côté, les crises économiques et politiques chassent les peuples de leurs pays et les installent dans des situations continuelles de migrance, et, de l’autre, des lois comme, en France, la loi sur l’immigration cherchent par tous les moyens à arrêter cette mobilité en fermant les frontières des pays dans une sorte de surenchère de la xénophobie et de la clôture des pays sur eux-mêmes. C’est ainsi que la migrance piège les habitantes et les habitants de tous les pays pauvres ou insuffisamment développés en les soumettant à la violence de flux tendus imposés par les événements violents qui se produisent dans leur pays comme la faim ou les guerres et à la violence des pays qui les rejettent en les condamnant à une migrance sans fin.

La régression de la démocratie

En France, la présidence d’E. Macron manifeste une régression de la démocratie, à la fois par le retour à un régime présidentiel caractérisé par un président qui se prend pour un monarque avec sa cour et par un déclin du débat politique. Il s’agit d’une régression de la vie politique qui consiste à ne plus s’exprimer dans des débats et dans des confrontations entre des discours et des conceptions différentes de la politique mais qui, peu à peu, se réduit à n’être plus qu’un champ de rapports de force. Les pouvoirs ne sont plus des pouvoirs démocratiques mais sont soumis à la violence des rapports de force entre partis et entre acteurs politiques ou à celle des conditions de travail et de la domination des dirigeants d’entreprises qui font reposer leur puissance sur la crainte du chômage. C’est sur les différentes formes de peur que repose la régression de la démocratie : peur de perdre son emploi sans en retrouver d’autre, peur des banlieues soumises à la violence des affrontements avec la police, peur d’une vie économique dominée ainsi par la multiplication des risques, peur, enfin, des menaces qui pèsent sur l’environnement et le climat sans que les pouvoirs politiques n’exercent leur rôle : protéger les populations qu’ils sont censés diriger.

L’évolution des médias et le déclin de la démocratie

Le rôle des médias est de faire vivre l’espace public et de lui permettre de devenir un espace de débat. Le développement des médias numériques a conduit à un enfermement dans des pratiques individuelles d’information et de communication et à un affaiblissement de la médiation, de la relation entre le singulier et le collectif. Cela conduit à une régression de la démocratie car les médias cessent de constituer leurs usagers en un démos. Il est, d’ailleurs, symptomatique que l’on parle d’usagers, car la pratique des médias s’apparente davantage à de la consommation que de l’engagement. Les médias se sont, peu à peu, réduits à n’être plus que des objets de consommation individuelle comme d’autres : ils proposent des activités de loisir, ils enferment leurs usagers dans des pratiques qui n’ont plus de critique, ils ne contribuent plus à la diffusion des pratiques culturelles ni à l’élaboration d’une véritable information.

La perte de sens du politique

C’est qu’une véritable information consisterait à donner une signification compréhensible aux événements et aux acteurs de la vie politique. Finalement, cette régression du politique est liée à une perte de sens du politique. Si l’engagement s’affaiblit et si la peur ou la violence prend sa place, c’est que la politique n’a plus les significations dont la compréhension permettrait l’engagement. L’affaiblissement du démos et la montée des conceptions autoritaires de la politique s’articulent à la croissance de la violence dans une montée du pouvoir de la force et dans le remplacement d’une vie politique fondée sur le débat par une autre, fondée, elle, sur de la confrontation violente. Si l’espace politique est devenu, peu à peu, un espace autoritaire de rapports de force, c’est que les populations qui y vivent ne lui trouvent plus les significations qui leur permettraient de prendre part à un véritable débat et de s'inscrire dans un véritable espace public. Il devient, ainsi, urgent de retrouver le sens du politique, de retrouver, ainsi, les mots du politique et les paroles du débat. Il devient urgent que nous retrouvions notre identité politique d’acteurs engagés et responsables, pleinement présents dans un espace public véritable dont nous cessions de laisser la domination à des pouvoirs qui nous sont imposés, mais dont nous soyons, enfin, de nouveau les maîtres.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.