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Billet de blog 22 mai 2025

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LE TOUT-À-L’EGO (1)

Dans « Mediapart » du 20 mars dernier, K. Delli critique la vie des Écologistes en évoquant le « tout-ego » qui mène même ce parti dans la perspective de l’élection présidentielle de 2027. Une piste pour comprendre ?

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L’élection présidentielle et le développement des egos politiques

Depuis 1962 et le recours au suffrage universel direct pour l’élection du président de la République, cette élection est devenue un véritable champ de bataille pour les ego, pour les personnes, souvent au détriment de la formulation des projets. À la fois parce qu’il s’agit de désigner une personne unique à l’échelle nationale et parce que le développement des médias audiovisuels a accentué la transformation de la vie politique en une sorte de vaste spectacle, les ego ont pris une place de plus en plus grande dans le débat public, en particulier au cours des campagnes électorales pour l’élection présidentielle. À cela il faut ajouter que la 5ème République a donné au président des pouvoirs plus étendus que ceux qui étaient auparavant les siens, faisant presque de lui une sorte de monarque républicain, ce qui a conféré une importance particulière aux ego dans le débat public, en personnalisant cette élection, en faisant d’elle une élection particulièrement importante dans la vie politique et en motivant les ambitions personnelles. De plus en plus, l’élection présidentielle en vient à structurer le calendrier des échéances politiques et à ordonner l’information et le débat public. De ce fait, le fait électoral s’est de plus en plus personnalisé : ce sont de moins en moins les projets qui dominent l’actualité politique et la vie des organisations politiques ou des partis, mais ce sont de plus en plus les confrontations entre les personnes. Même les partis et toutes les organisations politiques en sont à tenir compte de la « télégénie » des personnalités pour choisir celles qui détiendront des mandats, qui seront candidats aux diverses élections et celles qui se verront reconnaître une autorité en leur sein. Pour cette raison, les ego politiques prennent la place des choix, des projets et des discours dans les confrontations qui animent le débat public. On peut, d’ailleurs, remarquer que l’élection du président au suffrage universel direct a été instituée en 1962, c’est-à-dire, justement, au moment où se développaient les médias audiovisuels. En ce sens, il ne s’agit pas seulement d’une idée de de Gaulle tenant à sa conception du rôle du président, mais ce projet s’inscrivait dans une évolution globale de l’expression politique, dans tous les pays. 

L’évolution des médias et de leur place dans la vie politique

Les médias ont profondément changé au cours du vingtième siècle et ces transformations se poursuivent de nos jours. Deux éléments majeurs de cette évolution ont conduit à la personnalisation de la vie politique. Le premier est l’accentuation du rôle de l’image. Le vingtième siècle a vu l’image renforcer sa domination des médias, d’abord par la place de la photographie dans la presse écrite, et, ensuite, par le développement de la télévision et des médias audiovisuels. Cette place dominante de l’image dans les médias a conduit à l’accentuation de l’importance des portraits et du rôle des personnalités singulières dans la vie politique. La politique a fini, peu à peu, par devenir une affaire d’images, puis une affaire de films rapprochant les médias politiques des médias de fiction. Cette évolution des médias s’est manifestée dans le fait politique en donnant à l’ego une place dominante dans la vie des institutions et dans les débats qui ponctuent la vie politique. Au lieu de favoriser l’engagement des citoyennes et des citoyens, des électrices et des électeurs, le débat public a réduit leur rôle dans la vie des institutions à celui de simples spectatrices et spectateurs, confondant la vie politique avec un vaste ensemble de films d’un nouveau genre. Mais, en réalité, si l’on y prend garde, il ne s’agit que d’une simple accentuation de la place de l’image dans la vie des institutions après le rôle des portraits dans la vie publique ne faisant que prolonger la place de l’image dans l’espace public, considérable depuis toujours. En pérennisant cette accentuation du rôle de l’image, la personnalisation de la vie politique n’est qu’une régression vers ce qu’était la vie des institutions et des pouvoirs dans les temps anciens de la communication religieuse ou de la monarchie. Le second élément qui accentue, de nos jours, la personnalisation de la vie politique est la place du numérique qui consiste dans l’importance des manipulations singulières motivant les lecteurs devant les médias audiovisuels plus qu’ils ne s’engageaient. Le spectacle a, peu à peu, changé de nature. Au lieu de se retrouver tous devant les mêmes images et de ne pas nous engager au-delà du regard, qui était le même pour tous dans l’espace public, notre engagement prend de plus la forme d’une série de manipulations et d’opérations qui nous donnent l’illusion d’être plus actifs que nous ne l’étions auparavant. Mais, de ce fait, notre personnalité singulière est sollicitée, donnant, ainsi, une place de plus en plus importante à la dimension singulière de l’information, au détriment des formes collectives de l’engagement. Nous croyons nous engager davantage dans le débat politique, mais notre ego fait face seuls aux médias qui nous informent et qui nous demandent d’intervenir en appuyant sur des petites touches. Les médias numériques fragmentent le débat public en faisant intervenir la personnalité de celles et de ceux qui deviennent des usagers au lieu de s’inscrire dans l’espace public.  

Le « charisme » en politique

Dans un essai intitulé Le métier et la vocation d’homme politique, publié en 1919, Max Weber fait du charisme un terme important du lexique politique. Il explique qu’il existe trois fondements de la légitimité, dont le second est « l’autorité fondée sur la grâce personnelle est extraordinaire d’un individu (charisme »). Il s’agit de comprendre ce que peut exprimer la personnalité d’un acteur politique et de reconnaître que sa capacité de séduction constitue un élément essentiel de son pouvoir et de sa reconnaissance dans l’espace public. Au commencement, le charisme d’une personnalité politique était celle de personnalités ou de monarques exerçant individuellement le pouvoir et faisant l’objet d’une reconnaissance imposée aux peuples qui ne contestaient pas leur pouvoir. Dans beaucoup de pays, le charisme des acteurs du pouvoir était, de plus, renforcé par une autorité de nature religieuse, manifestée, par exemple, lors des sacres. Mais, avec le recul des monarchies et l’importance des républiques dans la vie politique de tous les pays, le charisme a changé de sens. Il s’est agi d’une forme de passage des monarchies classiques à des sortes de monarchies républicaines dans lesquelles la légitimité du souverain ne se fonde pas sur son appartenance à une dynastie ou sur un dimension sacrée d'ordre religieux, mais sur la reconnaissance dont il fait l’objet de la part des autres acteurs de la vie politique. Cette reconnaissance a pris la forme de l’élection donnant au peuple de la cité le sentiment, réel ou illusoire, d’être à l’origine de la légitimation du pouvoir du souverain. Le charisme a vu, bien sûr, son importance croître dans nos espaces politiques à la faveur du développement des médias audiovisuels au détriment de l’expression des choix politiques et de l’importance des discours dans l’espace politique. Le charisme des politiques est devenu celui de stars ou de vedettes. De nos jours, ce que Max Weber nomme le « charisme » continue à fonder la légitimité des pouvoirs dans les démocraties, mais, au lieu de trouver sa place dans la confrontation entre les projets politiques, il se fonde sur une forme de reconnaissance de la part des peuples et des cités. Ce qui fonde cette reconnaissance est, de plus en plus, l’image des acteurs du pouvoir, reposant, elle-même, sur ce que les psychanalystes appellent un transfert, c’est-à-dire une manifestation du désir dans la vie institutionnelle. Cela contribue à une sorte de dépolitisation de la vie politique. Le débat politique repose, de plus en plus sur le charisme des dirigeants, voire sur ce que l’on pourrait appeler un choc des charismes dans les pays dans lesquels l’espace public est encore un espace de débat et de confrontation entre des acteurs politiques.

Charisme et « tout-à-l’ego »

Mais cette importance de l’ego dans les formes contemporaines de la communication politique manifeste une autre évolution. Si le charisme constitue une expression de l’idéal politique, lui-même forme politique de l’expression de ce que Freud appelle l’idéal du moi, le tout-à-l’ego représente une autre évolution de la communication, qui ne se limite pas au politique, mais qui est présent dans toutes les formes des médias : une sorte de confusion constante entre la dimension singulière de la personne et la place de la personnalité dans l’espace politique. Cela prend, en particulier, la forme de l’immersion de l’intimité des personnages représentés dans les médias qui diffusent des images d’eux dans l’espace politique. Qu’il s’agisse d’images ou de récits qui exposent leur vie privée dans les médias, cette confusion entre vie publique et vie privée abolit la distinction entre la dimension singulière de la communication et sa dimension collective. Il s’agit de tout-à-l’ego, car tout finit par être ramené à la dimension singulière, notamment  intime et privée, des personnages faisant l’objet de communication, d’informations ou de représentation, mais il importe de prendre garde au fait que cette individualisation de l’image politique tend, finalement, à une disparition de la dimension politique du discours et à un abandon de l’engagement ou à sa dissimulation. Sans doute l’importance du tout-à-l’ego dans l’espace public contribue-t-elle à l’affaiblissement de la dimension critique des médias et de l’information, qui, au-delà, explique la domination croissante des discours de droite, voire d’extrême-droite et l’affaiblissement de la voix des discours de gauche et de la résistance à l’hégémonie des discours et des représentations cherchant à soumettre l’espace au politique à l’autoritarisme, et même au retour en force d’idéologies exaltant le culte de la personne et de la force violente comme le nazisme.

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