Une idée folle
Bien sûr, cela semble une folie. D’abord, il s’agirait d’une sorte de tremblement de terre : compte tenu du caractère présidentiel de notre régime et de la dérive à laquelle l’a conduit la politique d’E. Macron, le président semble intouchable dans notre pays. Il y a un petit côté divin dans le président français, et on ne destitue pas un dieu. C’est à peine si l’on peut cesser de croire en lui. Cette idée folle a germé dans l’esprit d’acteurs politiques engagés dans un parti qui n’a pas attendu ces jours-ci pour manifester son opposition à E. Macron et à se politique, et, pour tout dire, son insoumission, cette insoumission ne concernant sans doute pas le seul pouvoir d’E. Macron, mais tous les dirigeants possibles de notre pays. C’est cela, être insoumis : c’est ne pas accepter de se soumettre à un pouvoir, conserver intacte la force de son esprit critique. Et, évidemment, comme devant toutes les formes un peu radicales de la critique, tout le monde, tous les partis, ont tendance à considérer une telle idée comme de la folie. C’est que destituer le président, c’est porter atteinte au pouvoir de l’institution majeure de notre système politique. Au fond, comme toutes les folies, cette idée révèle le sens caché de nos pratiques sociales, comme de nos pratiques psychiques, et c’est pourquoi elle a du mal à être acceptée - comme la folie : les fous, on les enferme, mais, au fond, ils nous disent toujours quelque chose de notre vérité que nous ne voulons pas voir. Ce que cette idée révèle, c’est le caractère monarchique de notre régime politique.
Destitution et dissolution
Après tout, cette hypothèse de la destitution n’est qu’une forme de réponse à la dissolution de l’Assemblée. Le président a dissous l’Assemblée - avec le caractère ingouvernable qu’elle a donné à notre pays. Très bien. Mais alors, si nous dissolvions le président ? L’idée de la destitution n’est qu’une réponse de la bergère au berger, pour parler en termes écologiques. Cela signifierait que notre pays enferme de plus en plus sa vie politique dans un jeu de rapports de forces, dans une espèce de violence des institutions. Comme la dissolution qui la précédait (ne l’oublions pas), la destitution du président ne serait qu’une poursuite du jeu des forces qui domine la conception des institutions semblant prévaloir en France. Mais il ne faudrait pas réduire à la destitution la folie de la destruction des institutions : elle a été précédée par l’autre folie, présidentielle celle-là : la dissolution de l’Assemblée. Comme si seul le président avait le droit d’être fou, comme si les partis d’opposition n’avaient pas le droit de s’échapper du carcan des institutions en se débarrassant de la contrainte de l’un des pouvoirs. Ne réfléchissons donc pas à l’hypothèse de la destitution du président en la sortant de son contexte : la recomposition ratée des acteurs politiques après la dissolution.
Peut-être une erreur : cela permet à E. Macron de se poser en victime
Cette idée est peut-être une erreur : elle permet à E. Macron de se poser en victime des agissements des partis. Cette rengaine de l’opposition entre le président et les partis est une vieille histoire. À ce propos, l’ambiance va être plaisante et détendue au cours de la réunion prévue entre lui et les dirigeants des partis, demain vendredi, après l’hypothèse de la destitution. Mais, dans le même temps, elle permet au président de renouer avec une vieille histoire. Dans notre pays, les présidents se sont toujours plaints du rôle excessif des partis et de l’excès de leur pouvoir, à commencer par de Gaulle qui avait, justement, imaginé notre Constitution, celle de 1958, pour libérer la République de l’emprise des partis, qui dominaient l’État depuis 1946, mais sans doute aussi sous la troisième république, et pour donner au régime politique de notre pays un caractère un peu à cheval entre république et monarchie. Cela signifie que, dans le temps court de la vie politique du pays, c’est peut-être une erreur, car les partis y ont depuis longtemps perdu de leur importance, mais que, dans le temps long, cette initiative aura eu au moins le mérite de remettre les pouvoirs en question en mettant le pied dans la fourmilière des institutions. Nous sommes bien obligés, maintenant, de réfléchir à notre régime politique et à ses erreurs - à commencer par l’excès du pouvoir présidentiel. Même si de Gaulle pouvait se poser en victime des partis sans trop de risques, car son passé lui permettait de recueillir l’adhésion des françaises et des français, il n’est pas sûr qu’E. Macron recueille une telle adhésion.
Réfléchir plus loin : peut-être cette idée n’est-elle pas si folle que cela
J’avoue qu’a priori, cette idée m’a semblé folle. Mais bon, réfléchissons un peu plus loin que le bout de notre nez politique, en-dehors des préoccupations qui peuvent être celles du président. S’il n’y avait que cela de bien, ce projet de destitution aura, au moins, lancé un débat. C’est qu’en France, le président est intouchable, en-dehors des élections présidentielles. Le Parlement est soumis aux élections législatives, y compris, de fait, quand elles sont anticipées comme quand l’Assemblée est dissoute, tandis qu’une fois élu, le président est un « monarque républicain ». En l’élisant, le peuple français lui signe un chèque en blanc pour cinq ans, et il ne peut recouvrer son droit de critique qu’au terme de ce mandat - et, en plus, E. Macron n’est pas rééligible, et il peut donc faire entièrement ce qu’il veut. La destitution aurait le mérite de permettre une remise en question du président. De plus, cette idée n’est pas non plus si folle qu’elle n’en a l’air, car nombreux sont celles et ceux, au sein du Parlement comme dans le corps électoral, qui ont le sentiment de s’être fait piéger par un président élu avant tout au nom d’une union contre l’extrême droite, et qui ne met en œuvre qu’une politique de droite de plus en plus dure. En ce sens, il y a eu comme une tromperie sur la marchandise et la destitution ne serait que le retour au fabricant d’un produit défectueux ou ne correspondant pas à sa publicité. L’idée de la destitution ne consisterait, somme toute, qu’à, enfin, soumettre le président à une critique de son mandat et à mettre fin à cette dérive monarchique à laquelle nos institutions semblent soumises. Comme souvent la folie, il ne s’agirait que de mettre en œuvre une autre rationalité, différente de celle à laquelle nous sommes habitués.
La faillite institutionnelle du président Macron
Ce qui fonde l’idée de la destitution, c’est un constat : la faillite de l’État. Depuis la démission du gouvernement Attal, nous n’avons plus de gouvernement, c’est-à-dire plus d’exécutif ni d’administration. Le président ne peut incarner le pouvoir exécutif à lui tout seul. Les ministres sont tous « démissionnaires », et, donc, en intérim, ils ne peuvent rien prévoir puisqu’ils ne savent pas jusque’à quand ils seront ministres, ils ne peuvent pas préparer le budget de l’année 2025 qui doit être voté au plus tard le 31 décembre, ils ne peuvent plus représenter notre pays dans les réunions et les concertations internationales, car le monde entier sait bien que la France n’a pas de gouvernement véritable. La carence de l’État risque bientôt de paralyser l’ensemble des administrations et des services publics, car ils n’ont plus de boussole, ils ne savent pas où aller. Depuis plus d’un mois, la France n’a plus de gouvernement ni, donc, d’État.
L’idée de la destitution repose sur un constat : le président peut être destitué car il ne remplit plus les devoirs de sa charge. Quelles que soient nos opinions, l’échec de la dissolution est un premier constat d’incapacité. Aucune majorité n’étant issue des élections législatives, cela signifie que le président n’avait pas su mesurer l’état de l’opinion ni, donc, prévoir une telle incapacité, pour le pays, de disposer d’un parlement efficace. Les débats parlementaires et les décisions de l’Assemblée sont réduits à des petits arrangements entre les partis, qui, pour le coup, risquent d’être réellement discrédités. C’est en un autre point que réside l’autre faillite institutionnelle du président : l’incapacité de former un gouvernement. Si l’on veut être président, c’est que l’on est capable de composer un gouvernement et d’avoir sur lui l’autorité que donne la fonction présidentielle, sinon, c’est une manifestation de plus d’incapacité. La faillite institutionnelle d’E. Macron se situe ainsi dans la structure globale de l’exécutif. C’est que l’exécutif même manifeste une autre faillite présidentielle : l’incapacité d’E. Macron de faire la distinction entre son rôle et celui du gouvernement. À force de tout vouloir contrôler et régenter, il ne sait pas ce qu’il a à faire et il ne laisse aucune place au gouvernement et au premier ministre. Mais voilà : comme dit la sagesse populaire, qui trop embrasse mal étreint. Cet ensemble d’échecs et de faillites institutionnelles du président suffirait à rendre concevable une éventuelle destitution. À suivre ?