L’omniprésence d’un président seul à décider
Ce qui frappe dans le pouvoir macronien, c’est la personnalisation excessive de ce régime. C’est, d’ailleurs, précisément, la raison pour laquelle M. Macron n’est pas tout à fait comme les présidents qui l’ont précédé et qu’il a donné naissance à un régime politique particulier. La constitution de 1958, revue en 1962 avec l’élection du président au suffrage universel direct, était fondée sur la recherche, par de Gaulle et par ceux qui l’ont suivi, d’un pouvoir personnel fort, mais il y a autre chose dans le pouvoir macronien : il a réussi à faire adhérer à son pouvoir des acteurs politiques que l’on croyait de gauche, il est parvenu à être seul à exercer le pouvoir, sans être gêné par des oppositions ni même par des réserves. Le processus d’élaboration de la réforme des retraites est peut-être la première occasion où le président ne fait plus tout à fait ce qu’il veut et où se heurte à une opposition véritable. Il s’agit d’une véritable dérive monarchique de notre régime : rappelons-nous que c’est ce que signifie le terme « monarchie » : le pouvoir d’un monos, d’un seul. Accrue en cela par la multiplication et la sophistication des médias audiovisuels et des médias numériques, cette dérive du président repose sur l’omniprésence de son image, de son portrait : en costume ou en bas de chemise, il est sans cesse en scène dans l’espace public qui n’est plus un espace de débat mais un espace d’exposition. Cette omniprésence caractérise aussi un pouvoir personnel. En effet, le président semble seul à décider, à choisir, à donner les orientations à la politique de notre pays, soutenue, en cela, par le fait que le gouvernement soit dirigé par des personnalités sans véritable envergure, qui ont l’air incapable de lui résister, ou tout au moins, de contribuer à l’existence d’un pouvoir exécutif partagé. À moins, bien sûr, que le président ne commence à aller trop loin : enivré par son pouvoir absolu et par le fait qu’il n’est pas rééligible, M. E. Macron court le risque de ne plus même être soutenu par les membres de son parti ou par celles et ceux qui l’avaient soutenu jusqu’à maintenant. Peut-être M. E. Macron commence-t-il à se faire prendre à son propre piège et ses partisans comment-ils à quitter le navire, car la tempête gagne.
Le recul du débat public
Il semble qu’il n’y ait plus que dans les médias que se tienne un véritable débat public : l’agora a disparu de l’espace public pour ne plus se situer que dans des espaces propres à l’information et au débat. Mais ce recul du débat public ne tient pas à M. E. Macron, il ne date pas de ses quinquennats. Peut-être, pour mieux le comprendre, est-il nécessaire de faire un peu d’histoire : si le débat a fini par reculer, peut-être est-ce tout simplement parce que la population politique de notre pays n’est plus celle des lendemains de la deuxième guerre mondiale, de ce temps qui avait connu les régimes totalitaires à l’œuvre et qui s’était engagé dans la critique et la dénonciation du libéralisme. Les générations qui l’ont suivie ne savent plus ce qu’est un régime totalitaire, et, au-delà, ne connaissent plus l’importance de la vie politique et de l’engagement. Le débat public a reculé parce que nous ne comprenons plus son importance. Nous débattons moins qu’avant, dans notre pays, parce que nous sommes moins nombreux à débattre, parce que les cultures politiques semblent moins manifestes, moins présentes dans un espace public dominé par le divertissement au lieu de l’être par l’engagement. Mais ce recul du débat public mène nécessairement à l’établissement d’une monarchie. Ce n’est pas la monarchie qui tue le débat, c’est la mort du débat qui permet à la monarchie de s’imposer. De plus, le débat ne recule pas seulement en raison d’une monarchie qui y met fin, il recule aussi parce que, dans tous les pays, l’espace public se dépolitise. C’est bien pour cela que la Russie menace d’imposer à l’Ukraine sa souveraineté totalitaire, la disparition de la démocratie et la disparition du peuple – au sens propre. C’est bien pour cela que l’Italie connaît la tentation du retour du fascisme, de la même manière que le Rassemblement national impose sa présence dans notre pays : parce que l’extinction du débat public renforce les partis partisans de régimes totalitaires. Mais ne nous trompons pas : ce n’est pas seulement hors de notre pays que la démocrate disparaît : c’est aussi dans le nôtre que la fin du débat risque de nous emporter vers une forme rampante et bien élevée de totalitarisme. Le recul du débat public n’est, finalement, pas autre chose que le recul de notre activité de réflexion et de critique. Il fait de nous des êtres sans personnalité et sans identité. C’est bien ce à quoi nous mène le pouvoir absolu macronien qui conduit à ce qu’A. Jarry appelait le décervelage par une sorte d’E. Macron nommé Ubu.
La régression de la démocratie
Peut-être est-ce là que se situe la menace la plus grave des quinquennats de M. E. Macron : dans la régression de la démocratie. Une fois de plus, c’est dans le « temps long » dont parle l’historien F. Braudel que l’on doit se situer pour comprendre la signification de la politique. Finalement, ce n’est pas tant l’exercice du pouvoir par M. Macron qui est grave, mas les traces qu’il menace de laisser dans notre vie politique. Ce qui est grave, c’est que la régression de la démocratie dans notre pays risque de durer, de rester dans le temps long à venir. C’est cette sorte d’endormissement de la population, ce désintérêt, voire cet abandon de la vie politique par celles et ceux qui se résignent à ne plus être des citoyennes et des citoyens, qui constituent une menace réelle pour la démocratie, pour le pouvoir du démos. La régression de la démocratie se manifeste par le recul des partis de gauche lors des élections qui se succèdent dans la croissance des partis de droite ou d’extrême droite. C’est bien cela que signifie le recul de la gauche : l’hégémonie du libéralisme, dont M. E. Macron est un des acteurs majeurs de notre pays et de notre temps se traduit par l’impossibilité de choisir une autre économe politique et de s’engager dans d’autres formes d’échange et d’économie politique. Après tout, ce n’est tout de même par hasard que M. E. Macron était banquier avant de faire de la politique. La régression de la démocratie tient avant tout au fait que le politique a perdu le pouvoir sur l’économie. En effet, en s’emparant de tous les pouvoirs et en remplaçant l’espace public par l’espace du marché, les acteurs de l’économie libérale semblent fini par tuer la politique. C’est à cela que nous devons prendre garde : il y a une véritable urgence au retour de la démocratie et de l’engagement. Si la politique disparaît de l’espace public, notre société deviendra une société réduite à un espace de consommation et de soumission au pouvoir des acteurs du marché. Si la politique disparaît de l’espace public, les régressions sociales, en particulier dans le domaine du droit du travail et dans l’organisation de l’éducation ou de la santé qui sont, pourtant, les domaines essentiels de la vie sociale. Ne nous trompons pas : la régression de la démocratie n’est pas seulement une affaire institutionnelle : au-delà, elle nous conduit à une société de précarisation généralisée, comme est en train de le devenir l’emploi et à une société d’abrutissement universel comme est en train de devenir l’espace des médias et des téléphones portables. Notre résistance à l’imposition hégémonique de la société macronienne est urgente, car, une fois qu’elle se serait imposée, rien n’arrêterait l’hégémonie du libéralisme, qui conduit à enfermer les personnes dans l’insécurité en réservant la sécurité aux entreprises.