Qu’est-ce que l’extrême droite ?
Ce que l’on appelle l’extrême droite a eu plusieurs dénominations : droite radicale, extrême droite, et d’autres encore. Il s’agit de mouvements et d’opinions fondés sur la recherche violente d’inégalités sociales considérées comme le fondement de nos sociétés, sur le rejet de toute autorité sur des acteurs et des partis politiques et économiques, et sur la mise en œuvre unique de l’autorité sur des personnes singulières. On peut dire, de cette manière, que l’extrême droite constitue l’horizon de tous les partis de droite, ce vers quoi ils tendent tous au final, sans toujours le dire et le reconnaître. L’extrême droite n’est que l’aboutissement des idéologies de droite, ce qui les fonde et les distingue, en fin de compte, des autres partis de l’espace public. C’est ainsi que l’extrême droite n’est pas toujours admise ni légitimée dans l’espace politique, qu’elle est parfois rejetée en raison des violences mêmes qu’elle a pu susciter dans l’histoire. Mais, en raison de cette reconnaissance des orientations ultimes de la droite, des valeurs qui forment son horizon, l’extrême droite a fini par être validée, en France par la légitimation du R.N., souvent présentée par les discours de droite comme une sorte d’équivalent symétrique des Insoumis, en Italie par la désignation de G. Meloni à la tête du gouvernement, aux États-Unis par l’élection de D. Trump comme président. On pourrait aussi citer V. Poutine à la tête de la Russie ainsi que de nombreux autres exemples contemporains. L’extrême droite peut se définir, globalement, comme l’idéologie dont l’ambition politique extrême est le maintien et le renforcement de l’inégalité. Mais allons plus loin : sans doute peut-on dire que, de nos jours, l’extrême droite finit par être la seule à proposer un véritable imaginaire politique, car la gauche a oublié de parler d’utopie et même de projet aux classes populaires dans l’espace public. C’est, en quelque sorte, l’extrême droite qui occupe, aujourd’hui, les lieux de l’imaginaire politique, alors que l’on ne peut pas faire de politique sans imaginaire.
L’extrême droite n’est plus un repère négatif
Longtemps, en France mais aussi dans d’autres pays, l’extrême droite a constitué une sorte de repoussoir. C’est ainsi, par exemple, que faciliter l’élection d’un candidat du R.N. à une élection était un argument pour voter pour un candidat, quelle que soit son appartenance. Ce n’est plus le cas. En effet, l’extrême droite se voit reconnaître une place comparable à celle de n’importe quel parti ou de n’importe quelle orientation : elle est acceptée dans l’agora, elle n’est plus exclue de ce que l’on appelle « l’arc républicain ». Ce qui est frappant, à cet égard, c’est que les orientations, les opinions, les choix politiques de l’extrême droite sont désormais acceptés et même revendiqués par des partis de droite qui se distinguaient auparavant de l’extrême droite. C’est ainsi que, dans notre pays, certaines personnalités des Républicains tiennent sur l’immigration ou sur les pratiques du pouvoir des discours et des propos qui étaient avant tenus exclusivement par le Front National, devenu le Rassemblement national. Ce changement d’appellation est, d’ailleurs, en soi-même, significatif de cette évolution de la place de l’extrême droite dans l’espace politique. L’extrême droite cherche, en France, à « rassembler » plutôt qu’à « faire front ». On peut noter qu’en Italie ou en Allemagne, les partis d’extrême droite, jusque là tenus loin des pouvoirs en raison du passé de ces pays, sont devenus des partis reconnus comme des partis ordinaires. L’AfD en Allemagne ou les partis issus du fascisme en Italie sont à la tête de l’exécutif ou pourraient l’être, alors qu’une sorte de censure politique l’empêchait jusqu’à nos jours. Avec l’éloignement dans le temps du nazisme et du fascisme, l’extrême droite n’est plus associée, de nos jours, aux atrocités des régimes des pays qui ont perdu la guerre comme l’Allemagne ou l’Italie. C’est pourquoi elle peut, de nouveau, occuper une place dans l’espace politique.
La situation de l’extrême droite en France
En France, la mort de Jean-Marie Le Pen a été l’occasion de se rendre compte de l’aboutissement de cette légitimation du R.N. En effet, d’abord, elle a mis ce parti au cœur de l’actualité politique pendant quelques jours. Pendant le temps qui a suivi la disparition du fondateur du Front National, on ne parlait plus que de l’extrême droite dans les médias et dans l’espace public. Ensuite, surtout, cette disparition a achevé la transformation idéologique du R.N. Depuis que Marine Le Pen et d’autres personnalités qui lui sont associées dirigent le R.N., ce parti se donne une allure légitime. En ne se nommant plus « Front » mais « Rassemblement », il revendique une orientation moins violente que ne l’était la sienne auparavant. De plus, par exemple au cours des débats sur le conflit palestinien et la guerre de Gaza, l’extrême droite française se donne une orientation pro-israélienne, comme l’ensemble de la droite de notre pays, alors que le F.N. avait été fondé par des personnalités issues de la droite pétainiste, antisémite, collaborationniste et hostile à la Résistance au moment de la deuxième guerre mondiale et dans les logiques politiques qui ont suivi la Libération. Même si les choix de l’extrême droite française, ceux de l’extrême droite italienne, ou ceux de l’extrême droite allemande sont bien issus des orientations de l’extrême droite proche du fascisme ou du nazisme, ces partis parviennent à faire oublier ces orientations en se faisant passer, de nos jours, pour des partis démocratiques et rejetant les discriminations. Cette évolution de l’extrême droite s’inscrit dans une sorte de déplacement a conduit qui a conduit vers une droite plus affirmée l’ensemble de la droite : la droite classique tend à se rapprocher de l’extrême droite, la droite autoritaire comme celle des Républicains s’est peu à peu rapprochée du R.N., tandis que les macronistes sont devenus un parti de droite comme les autres, même s’ils avaient pu faire croire qu’ils avaient dans leur composition et dans leur discours soi-disant moderniste des éléments issus de la gauche. Enfin, en refusant de plus en plus de s’allier aux Insoumis, le P.S. finit, lui aussi, par se rapprocher du macronisme et d’orientations de droite.
Le débat public entre acteurs éloignés du peuple
Nous pouvons alors commencer à nous demander comment de telles évolutions ont pu avoir lieu. La première raison est que le débat public s’est éloigné du peuple aujourd’hui. Les acteurs qui interviennent dans l’espace public et qui y font entendre une véritable voix ne sont plus les partis de gauche. Le P.C.F. s’est peu à peu éloigné du débat politique en raison de l’affaiblissement du communisme partout dans le monde, notamment en France. Plus encore : il est devenu de plus en plus clair que les pays qui se faisaient passer pour des pays communistes comme en Europe de l’Est ou en Chine avaient volé le communisme, s’étaient emparé de lui pour se faire reconnaître comme des pays populaires et des pays démocratiques, alors qu’il s’agissait, en réalité, de pays restés totalitaires depuis toujours. La chute du communisme a contribué, en France, à l’affaiblissement du P.C.F., devenu, peu à peu, inaudible au sein des partis de gauche. Quant au P.S., il s’est, lui aussi, peu à peu, coupé des classes populaires. Cette évolution avait été sensible à partir de 1983, quand les gouvernements socialistes successifs, en particulier ceux de L. Fabius puis celui de M. Rocard, avaient dirigé le pays en se faisant passer pour des gouvernement socialistes alors qu’ils n’étaient que des partis de l’aile droite des « sociaux-démocrates ». Ce que l’on a appelé, en 1983, le « tournant de la rigueur » n’était que le nom donné à cette transformation des socialistes. Quant aux Insoumis, dont on a pu croire qu’ils prendraient la place de partis populaires d’une gauche renouvelée, ils manquent d’audience réelle, et, surtout, ils ont commis trop de maladresses pour pleinement se voir reconnus comme d’authentiques partis populaires de gauche à même de représenter les classes populaires et de se voir reconnaître par elles. C’est ainsi que le débat politique s’est, peu à peu, trop éloigné du peuple pour que les partis de gauche soient en mesure de faire entendre une voix qui le représente. L’agora française a fini par ne plus être une agora populaire, et, de cette manière, la voie était libre pour une légitimation populaire de l’extrême droite.