Bernard Lamizet (avatar)

Bernard Lamizet

Ancien professeur à l'Institut d'Études Politiques de Lyon

Abonné·e de Mediapart

361 Billets

1 Éditions

Billet de blog 23 février 2023

Bernard Lamizet (avatar)

Bernard Lamizet

Ancien professeur à l'Institut d'Études Politiques de Lyon

Abonné·e de Mediapart

LA SÉPARATION DES POUVOIRS

Les récentes mésaventures de l’exécutif avec l’interruption, à l’Assemblée nationale, du débat sur la réforme des retraites, dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, engagent à une réflexion sur ce principe, essentiel dans une démocratie : la séparation des pouvoirs.

Bernard Lamizet (avatar)

Bernard Lamizet

Ancien professeur à l'Institut d'Études Politiques de Lyon

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Qu’est-ce que la séparation des pouvoirs ?

Nous sommes en 1748. Quarante ans après (mais qu’est-ce que quarante ans dans l’histoire d’un pays ?) auront lieu, en 1789, les événements qui mèneront à la fin de la monarchie. Cette année-là, un bordelais juriste, écrivain et philosophe de la politique, Montesquieu, publie un livre essentiel pour penser la politique et la comprendre : L’Esprit des lois. Dans ce livre qui, comme tous les livres de philosophie politique, est aussi, un peu, un miroir de son temps, il identifie trois pouvoirs : le pouvoir législatif, celui de faire les lois, le pouvoir exécutif, celui de les mettre en œuvre, et le pouvoir judiciaire, celui de juger leur application et de sanctionner leur transgression. Montesquieu énonce la séparation de ces trois pouvoirs comme un principe essentiel de la démocratie. Il faut que les pouvoirs soient séparés pour qu’un pays vive dans un régime démocratique, car la confusion de ces pouvoirs conduit à ce que l’on appelle, aujourd’hui, le totalitarisme ou la dictature. En effet, il faut que les pouvoirs soient séparés, car, de cette manière, ils peuvent constituer des contre-pouvoirs l’un pour l’autre et ils se limitent l’un l’autre. Or il est essentiel que les pouvoirs connaissent des bornes, qu’ils ne puissent pas s’exercer sans limites. Si un pouvoir ne connaît pas de limites, s’il peut s’exercer sans être soumis à aucun débat ni à aucun contrôle, il devient fou, car il ignore l’autre et, ainsi, ne peut fonder son identité sur une relation à l’autre.

Que se passe-t-il aujourd’hui ?

Pourquoi sommes-nous conduits, aujourd’hui, à réfléchir sur la séparation des pouvoirs ? Parce que l’homme que nous avons élu président, en 2017, puis en 2022, mais chaque fois sous une sorte de contrainte – la menace de l’élection de la candidate du Rassemblement national – semble devenu fou, ivre de son pouvoir, semble, justement, ne plus connaître de limite faute de reconnaître l’autre. Mais, justement, nous avons assisté à une manifestation de l’importance de la séparation des pouvoirs : l’Assemblée nationale a refusé de voter le début de la loi relative à la réforme des retraites. Ce faisant, le pouvoir législatif a manifesté son indépendance à l’égard du pouvoir exécutif, mettant, ainsi, un terme à l’ivresse du pouvoir que semble connaître le président. De cette manière, le pouvoir législatif a, en effet, constitué un contre-pouvoir. Dans un autre domaine, le pouvoir exécutif pourrait bien se heurter à un autre pouvoir, le pouvoir judiciaire, le ministre de la Justice étant, en ce moment, sous la menace d’une condamnation pour prise illégale d’intérêts. Nous sommes, ainsi, dans une sorte d’incertitude quant à la suite des événements qui viennent scander le temps de la vie politique. Peut-être est-ce, justement, cette incertitude qui donne une sorte de respiration à la vie politique, en conduisant à se poser des questions, en empêchant de considérer les décisions comme déjà prises, en empêchant les autres pouvoirs de se soumettre aux volontés de l’exécutif. La séparation des pouvoirs fait de cette incertitude même une garantie de la liberté. On pourrait dire que c’est l’incertitude qui fonde la liberté, car elle empêche la soumission.

Les armes de la concentration des pouvoirs

Nous connaissons bien, maintenant, dans notre pays, les armes dont s’empare l’exécutif pour mettre un masque sue la parole des autres pouvoirs afin qu’ils ne puissent plus se faire entendre. Le fameux article 49-3 de la Constitution lui permet de faire adopter une loi par l’Assemblée pratiquement sans débat. Le président en a déjà usé et même abusé, alors qu’il ne devait s’agir que d’une procédure exceptionnelle. Cet usage est un détournement de l’esprit de la Constitution. Encore que, d’ailleurs, si la Constitution a prévu ces dispositifs, est-ce parce qu’elle a été élaborée au cours d’une situation de crise, dans le temps d’une urgence, la guerre d’Algérie, en 1958, par un chef de l’exécutif, de Gaulle, dont le souci essentiel n’avait jamais été celui de la séparation des pouvoirs. Il est ainsi significatif que des textes de loi aient été adoptés grâce au recours à cet article de la Constitution : cela manifeste le fait que l’exécutif a la possibilité de gouverner sans contrôle, de ne se soumettre à aucun contre-pouvoir. C’est cela, l’ivresse du pouvoir : la folie de la méconnaissance des limites, de leur « macronaissance » - un néologisme qui semble illustrer ce qu’est devenue notre démocratie.

Le calendrier électoral et la séparation des pouvoirs

Les pouvoirs devraient être séparés dans le temps. La confusion du calendrier des élections législatives et de l’élection présidentielle a été une erreur, du point de vue de la séparation des pouvoirs. En effet, les députés étant élus dans le même temps que l’élection présidentielle, leur élection est, en quelque sorte, contaminée par l’élection présidentielle. Même si, aujourd’hui, E. Macron n’a pas été élu par adhésion mais par peur de l’élection de la candidate du R.N. et si, par conséquent, il ne dispose pas d’une majorité très nette à l’Assemblée, il n’en demeure pas moins qu’il dispose d’une majorité parmi les députés. Pour que les pouvoirs soient véritablement séparés les uns des autres, les élections devraient ne pas se tenir la même année. C’est, d’ailleurs, ce qui est le cas aux Etats-Unis, par exemple, où le président est soumis à mi-mandat aux élections dites « midterms ». L’élection du Congrès constitue, ai si, une sorte d’évaluation du mandat présidentiel et celle du président se distingue pleinement de celle du Congrès.

Une polyphonie politique

C’est cela la séparation des pouvoirs : une polyphonie. Une démocratie ne peut pas tolérer la monotonie ou l’uniformité d’une voix unique, elle est fait d’un concert dans lequel on peut entendre une pluralité de voix, parce que cette polyphonie représente la pluralité des paroles, des voix, des discours, de l’espace public. À la fois multiplicité des paroles, des actes, des manifestations, des débats, des discussions, l’espace public devient un espace pleinement politique quand il est animé du mouvement et des sons de cette polyphonie. Il ne faut surtout pas que celle-ci soit soumise à la direction d’un chef d’orchestre, car il conduirait l’espace public à sa guise, en l’empêchant de respirer et de s’exprimer. Sas doute même, dans cette polyphonie, les fausses notes, les dérapages, les cordes de violon qui se brisent, viennent témoigner de la vitalité de l’espace politique et des acteurs qui le peuplent. Les dictatures, les totalitarismes, ont toujours cherché à éteindre la polyphonie politique et à réduire le concert de l’esp ace public à la monotonie d’une vois et d’une sonorité unique. Si le concert politique ne consiste plus que dans un seul instrument ou dans une voix unique, nous nous retrouvons dans une vie politique poutinienne – c’est-à-dire dans une absence de vie.

Le sommeil et le réveil de la vie démocratique

C’est bien là que nous en sommes, aujourd’hui : la démocratie est en train de reculer dans notre pays, qui semble négliger les impératifs d’une véritable liberté politique. Ne nous trompons pas : ce n’est pas parce que les pouvoirs semblent avoir du mal à se séparer es uns des autres que notre pays semble avoir oublié ce qu’est une démocratie, c’est l’inverse. C’est parce que nous donnons l’impression de ne plus nous soucier des exigences de la démocratie que nous laissons un tel pouvoir s’exercer sur nous, parce que nous semblons consentir à cette diminution de nos libertés, pace que nous semblons en venir à accepter que ne soit reconnue qu’une liberté, celle du capital. La véritable urgence est là : nous devons reprendre nos esprits, nous devons nus éveiller, sortir de la torpeur confortable dans laquelle nous vivons comme des somnambules, le titre du beau livre d’A. Koestler, de ce livre inquiétant. C’est le même sommeil qui nous a conduits, depuis 2002, à laisser l’extrême droite acquérir de plus en plus de pouvoirs, à la laisser se faire reconnaître une légitimité qui lui avait été, jusqu’à maintenant, toujours refusée, et qui nous conduit, aujourd’hui, à accepter la domination de ce pouvoir antidémocratique des experts et de d’absence de débat. Peut-être, ainsi, le refus de débattre d’un projet de loi et de se soumettre aux exigences de l’exécutif est-il le signe de ce réveil de la vie politique. Après toutes ces années de sommeil, nous semblons nous libérer de la torpeur. Au fond, c’est cela, le sens de la séparation des pouvoirs : elle empêche la force du sommeil d’endormir la politique en forçant le son des pouvoirs à faire entendre la polyphonie, la pluralité des voix du peuple, du démos, dans l’exercice des pouvoirs, des kratè. C’est de cette manière que notre pays peut, enfin, être une véritable république.

Dans sa confrontation avec eux, le peuple ne peut l’emporter que si les pouvoirs sont séparés.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.