Les dérives du pouvoir
Au-delà du coup de force institutionnel qu’il constitue, l’usage du désormais fameux article 49-3 de la Constitution est bien une dérive du pouvoir, remplaçant la légitimité du pouvoir par sa violence. Il s’agit de remplacer une législation reposant sur du débat par une législation imposée par un coup de force contre les institutions. C’est que le Parlement, le lieu où ça parle, est réduit au silence. La loi est imposée par l’extinction du débat et le Parlement est remplacé par le silence de la force. En ce sens, nous nous trouvons bien face aux dérives d’un pouvoir qui ne sait plus lui-même où il va - si tant est qu’il l’ait jamais su. Nous sommes devant une disparition de la République, remplacée, par ce coup de force, par un autre régime, qui n’a pas de nom, que nous ne savons pas comment désigner. Le pouvoir est en train d’errer dans les méandres d’un régime politique qui navigue au gré de la violence de flots qui le dépassent, dans une tempête qui n’est pas près de s’achever.
La violence du libéralisme
C’est qu’il ne s’agit pas seulement de la violence qui nous serait imposée par E. Macron : c’est d’une autre violence qu’il est question, celle du libéralisme. Le libéralisme réduit l’économie à de la violence : il remplace l’économie politique par l’économie du profit. La fameuse critique de l’économie politique, élaborée par Marx dans l’ouvrage qui porte ce nom puis dans Le Capital, trouve aujourd’hui une signification que nous avions fini par oublier, car nous n’avions pas été confrontés à la violence du capital. Le libéralisme consiste à réserver la liberté à l’argent et aux échanges financiers et à en priver les classes populaires réduites à s’exprimer par la lutte. La réforme des retraites est, ainsi, une manifestation de plus de cette violence du libéralisme qui consiste à nous de priver l’espace public en violant celles et ceux qui l’habitent.
L’aliénation
C’est cela, l’aliénation : la soumission au pouvoir de l’autre. Le pouvoir macronien exerce une violence car il cherche à imposer la puissance du capital au peuple qu’il tente de soumettre. Mais, en tentant par tous les moyens de faire disparaître la démocratie en essayant de museler le peuple et de l’empêcher de s’exprimer, tout ce qu’il réussit à faire, c’est à mettre en évidence une aliénation qui prend la place de la démocratie et à renforcer la détermination des classes populaires qui entendent se libérer de l’oppression et de l’hégémonie. Le pouvoir macronien nous fait remonter un peu plus d’un siècle en arrière, quand les peuples n’étaient pas encore parvenus à imposer leur autorité. Le projet d’E. Macron est seulement de réduire le peuple au silence et de réserver le débat aux classes possédantes - comme au XIXème siècle. Le réveil de l’aliénation est une régression comme notre pays n’en avait pas encore connu depuis longtemps. Le président se figure qu’il peut réduire à néant tout le travail mené depuis la Commune, le Front populaire et la Résistance, mais il n’y parviendra pas, car la tentative de l’aliénation ne parvient que réveiller le peuple assoupi.
La violence de la réforme des retraites
Dès le commencement, la réforme des retraites était un acte de violence du pouvoir. Sans doute est-ce la raison pour laquelle il s’agit d’une obsession d’E. Macron. En imposant la réforme des retraites, E. Macron réussit à remplacer la démocratie par le violence et à réduire les acquis de siècles de luttes populaires. Car, si la réforme des retraites constitue une violence, c’est que rien ne la justifie, même si les dirigeants tentent de lui trouver de soi-disant justifications économiques, et surtout financières. La réforme des retraites n’a qu’une seule utilité : manifester la violence du capital sur les classes populaires ; il ne s’agit que de mettre en scène l’imposition de la force et de remplacer le débat par des rapports de violence. En effet, d’abord, il ne s’agit pas d’un projet d’organisation de la société : en retardant l’âge de la retraite et en entreprenant de remplacer la retraite par répartition par le retraite par capitalisation, le pouvoir macronien tente d’imposer par la force le modèle économique du libéralisme sur un pays qui n’en veut pas et sur un peuple qui le rejette. Par ailleurs, rien ne justifie, sur le plan économique, le projet de réforme des retraites : il s’agit de remplacer l’économie politique par une économie soi-disant indépendante du politique, mais qui, en réalité, cherche à refouler le politique, à empêcher l’emprise du politique sur l’économie et à étendre le pouvoir des acteurs des échanges libéraux du profit. Enfin - et, en cela, il s’agit bien d’une violence, le projet de réforme des retraites vise à empêcher le peuple d’exprimer June opinion sur une décision politique qui le concerne. Le peuple est empêché de participer au débat et à faire connaître son jugement sur les décisions qui organisent sa vie sociale.
La disparition de la démocratie
C’est bien de faire disparaître la démocratie, le pouvoir (le kratos) du peuple (du dèmos), qu’il s’agit aujourd’hui. La démocratie doit disparaître car elle empêcherait le profit de s’accroître et les acteurs du capital de mener le pays comme ils l’entendent. Faire disparaître la démocratie est essentiel pour les acteurs politiques comme E. Macron car c’est ce qui lui permet ainsi qu'à son gouvernement de régner sans entraves sur notre pays. Faire disparaître la démocratie consiste, finalement, à faire disparaître tous les pouvoirs politiques et à les remplacer par d’autres pouvoirs, auxquels les peuples ne peuvent rien. Mais la disparition de la démocratie et son remplacement par des rapports de force pourraient bien se retourner contre eux qui les ont imposés : le peuple finira bien, par retrouver la force dont on l’a privé et, alors, par retrouver sa souveraineté. La disparition de la démocratie ne peut être que temporaire. Rappelons-nous une fois de plus les mots de Rousseau dans Le Contrat social : « le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir ». Aujourd’hui, celui qui se croit le plus fort a négligé de remplacer sa force en droit en empêchant l’Assemblée de s’exprimer par le 49-3 et de transformer la soumission à son hégémonie par un devoir intériorisé par le peuple qui n’entend plus s’y soumettre.
Remplacer la politique par la violence
D’un côté, le parlement est remplacé par la violence d’un usage illégitime de la Constitution, et, de l’autre, il ne reste au peuple, pour s’exprimer, que les manifestations de sa force dans des défilés ou dans des actes de violence. C’est bien en cela que le pouvoir macronien a fini par déclarer la guerre au peuple souverain. Nous nous trouvons devant le choc de deux souverainetés antagonistes. À la violence du pouvoir, ne peut répondre que la violence d’un peuple que l’on tente de censurer, et à la violence du peuple ne peut répondre que la violence de la répression. C’est ainsi que la démocratie est entravée : E. Macron croit avoir réussi ce qu’il voulait : remplacer la politique par de la violence. Mais on ne peut pas remplacer la politique par la violence : un moment vient toujours pour le peuple de retrouver le pouvoir qui lui a été volé. L’illusion d’E. Macron, qui croit être parvenu à réduire le peuple au silence en réduisant ses représentants à l’absence de débat, ne durera pas longtemps : elle finira à plus ou moins long terme par se dissiper et les yeux du peuple finiront par être décillés. Alors la guerre sociale deviendra une guerre politique. Mais l’issue d’une telle guerre est encore imprévisible. Le pouvoir macronien est inconscient de ce qu’il vient de provoquer dans l’espace public car il ne sait pas - ou feint de ne pas savoir - ce qu’est le politique. Le politique est un langage, alors que la violence dénie le langage et le sens. Et si E. Macron en était lui-même réduit à une telle politique parce que lui-même ne sait pas parler ?