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Billet de blog 23 mai 2024

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MÉFAITS ET VIOLENCE DE LA COLONISATION (SUITE) : L’ISSUE DE LA COLONISATION

Il ne peut y avoir qu’une suite à une chronique consacrée aux méfaits de la colonisation : comment en sortir ?

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En finir avec la violence

En réalité, il faut en finir avec deux violences : celle des colons et des pays colonisateurs et celle des habitants de ces nouveaux pays qui ne sont plus des colonies, mais dans lesquels subsistent encore des violences entre leurs habitants. Ces deux violences sont nées, toutes deux, de la colonisation. La première violence dont il importe que ces pays se libèrent est celle des colons et de leurs pays. Pour cela, la première exigence est que ces nouveaux pays fassent reconnaître leur autorité dans l’ensemble de leur territoire et qu’ils parviennent, en particulier, à l’imposer à ces colons devenus les habitants d’un pays étranger. Pour en finir avec cette violence, il faut que les nouveaux pays parviennent à établir l’ordre et la sécurité nouveaux dont ils deviennent les garants, mais aussi les acteurs. Libérés, en devenant indépendants, de la tutelle des colons, ces pays nouveaux doivent vite se faire reconnaître comme des états souverains à l’intérieur de l’ensemble des territoires dont ils sont les souverains. C’est ainsi que les pays comme la Palestine ou la Kanaky doivent, pour en finir avec la violence de la guerre, envisager déjà « l’après ». Pour ne plus être en proie à la violence, cet « après » doit, en particulier, s’exprimer dans la culture qui devient celle du pays devenu libre. Mais il y a une autre violence dont ces pays doivent se libérer : c’est celle qui opposent leurs habitants les uns aux autres, celle qui oppose les habitants décidés à l’indépendance à ceux qui croyaient pouvoir profiter de la colonisation en se soumettant aux colons. Il est particulièrement difficile de se libérer de cette violence-là, car elle met plus longtemps à disparaître : les conflits entre ces deux sortes d’habitants ceux qui reconnaissent leur nouvelle identité et ceux qui la refusent sont porteurs d’une violence qui dure dans le temps.

La libération des pays colonisés

La fin de la colonisation est une libération pour ces nouveaux pays : elle est, pour eux, une nouvelle naissance. Même s’ils étaient nés depuis longtemps - souvent même depuis plus longtemps que les pays qui les avaient conquis et occupés, ces pays doivent imaginer une nouvelle naissance. L’issue de la colonisation n’est pas seulement le départ des colons, elle est aussi la naissance d’un nouveau pays, c’est-à-dire l’institution d’un nouvel état. C’est tout un ensemble d’institutions qu’il s’agit d’organiser, car ces nouveaux états naissent à une époque qui n’est pas la même que celle qu’ils avaient vécue avant la colonisation. Il importe de faire vivre ces pays dans la modernité qui est désormais la leur en s’imposant à eux. La Palestine d’avant 1949, comme le Kanaky d’avant 1830, ne sont plus ceux d’aujourd’hui et leur libération engage à imaginer de nouveaux états, avec des institutions que les habitants de ces nouveaux pays n’ont pas encore envisagées. La libération des pays colonisés est une double libération : ils doivent se libérer de leurs colonisateurs, mais ils doivent aussi maîtriser les nouvelles contraintes issues d’un monde qu’ils n’avaient pas connu dans leur modernité. Les exigences de ces libérations sont immenses, à la mesure des espoirs des populations qui accèdent, enfin, à la reconnaissance des autres nations. C’est même une langue qu’ils doivent transformer en la peuplant des mots par lesquels ils pourront dire le monde dans lequel ils vivent désormais. Entendons-nous bien : il ne s’agit pas, pour moi, de prétendre que ces pays ne sont pas prêts à l’indépendance, mais il s’agit de dire qu’ils doivent inscrire la culture dont ils sont porteurs dans le monde qui est désormais le leur, sans se faire prendre au piège des acteurs politiques réactionnaires qui pourraient leur faire croire que c’est seulement dans la tradition et le passé qu’ils pourraient trouver leur indépendance - comme le fait un mouvement comme le Hamas en Palestine.

La dette des anciens colonisateurs

La reconnaissance des nouveaux pays et de leur identité passe par la reconnaissance d’une dette par leurs anciens colons. Ceux-ci les ont maintenus si longtemps dans une situation de dépendance que c’est à eux, maintenant, de s’acquitter de leur dette. C’est ainsi qu’une nouvelle économie politique de la relation doit se construire. Entre les anciens pays colonisateurs et les nouveaux pays issus de la décolonisation doivent s’instituer de nouvelles relations d’échange, mais, de plus, cette dette doit se payer par une contribution des anciens colons au développement de ces nouveaux pays et à la construction de ces nouveaux états. Mais, en réalité, pour que l’indépendance soit garantie, sans doute doit-il s’agir d’un jeu à trois. Le rôle des organisations internationales est ici essentiel. C’est à elles de servir de garants de la naissance de ces nouveaux pays et de leur accession à une réelle indépendance, politique et économique. Continuer à être dans la dépendance de leurs anciennes tutelles reviendrait à dénier l’existence même des nouveaux pays issus des processus de décolonisation. Sans doute nous trouvons-nous devant un véritable rôle de l'espace public international et sans doute pourrait-il trouver là une raison d’être lui-même reconnu qu’il n’ont pas toujours su avoir dans son histoire. En servant de garant à l’extinction de la dette des anciens colons, il joue le rôle de tiers, d'arbitre dont ont besoin les relations entre les nouveaux pays et leurs colons d’avant. C’est dans l’espace public international que peut s’écrire cette nouvelle histoire qui commence à naître.

La reconnaissance des états qui ne sont plus des colonies dans l’espace public international

C’est le sens de la reconnaissance des nouveaux états issus des décolonisations. Leur libération se fonde sur leur reconnaissance par les autres, qui, seule, peut leur permettre de trouver leur place dans l’espace public des nations. Cette reconnaissance est à la fois celle des autres pays, étrangers au processus de la décolonisation et celle, bien plus difficile, des anciens colons, qui est, d’ailleurs, aussi difficile pour les pays qui étaient les colons d’autres pays et qui voient leur statut remis en cause. Il ne peut être simple pour la France de reconnaître l’indépendance de la Palestine, car cela l’oblige, aujourd’hui, de reconnaître l’indépendance de Kanaky en faisant face à son histoire. Tout un système géopolitique nouveau est à imaginer dans les processus de décolonisation et de naissance des pays nouveaux. La mondialisation de la diplomatie et des relations internationales rend d’autant plus complexes les relations entre les pays qui étaient encore, il y a peu, dans des relations de dépendance. On se rend bien compte, ainsi, que la reconnaissance fonde l’identité sur la logique de la relation. C’est dans l’instauration de relations nouvelles entre les pays que se joue la reconnaissance de leur identités, ce n’est pas un processus qui ne se joue qu’entre eux et leurs anciens colons. Dans le même temps, cette reconnaissance est bien un processus qui s’inscrit dans le langage et dans les mots. On comprend bien en quoi la diplomatie et les relations internationales substituent les échanges de communication et de relation aux actes de violence. La géopolitique ne se limite pas aux rapports de force, mais elle se fonde, justement, sur l’invention de nouveaux codes et de nouveaux langages. Les mots des pays qui naissent sont des mots nouveaux qu’il faut apprendre à dire, pour que puissent s’établir les relations entre les nouveaux pays et les autres. Ne nous trompons pas : il ne faut pas attendre la fin des guerres pour que ces mots commencent à se dire. C’est dès maintenant, avant l’achèvement des décolonisations, que les pays doivent imaginer les mots dans lesquels ils se parleront. En Kanaky, en Palestine, mais aussi dans de nombreux pays, c’est dès maintenant qu’il faut concevoir « l’après », le construire, l’instituer, le dire.

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