Les Insoumis et le Rassemblement national
Contrairement à ce que tentent de faire croire les auteurs de cette discrimination, les Insoumis n’ont jamais discriminé personne, tandis que le R.N., héritier de la longue tradition de J.-M. Le Pen et de l’extrême droite dans notre pays, s’est construit en se fondant sur la discrimination à l’égard des étrangers et des français issus de l’immigration et à l’égard des juifs, car nombre de membres et de partisans du Rassemblement national n’hésitaient pas à manifester de l’antisémitisme. C’est pour cette raison que le Front National avait toujours été tenu à l’écart de l’espace politique de notre pays - et, d’ailleurs, avait longtemps assumé cette mise à l’écart en critiquant le « régime des partis » et en cherchant toujours à déconsidérer le système politique de notre pays fondé sur le débat et la confrontation. À cet égard, le Front national devenu Rassemblement national s’inscrit dans une longue tradition française de rejet de certaines identités politiques illustrées notamment par le mouvement poujadiste au temps de la quatrième République et par toutes les formes de populisme en France comme en Allemagne ou en Italie. D. Trump aux États-Unis, G. Meloni en Italie et l’AfD en Allemagne sont les héritiers de cette conception de la politique de la même façon qu’en France, le Rassemblement national ou le Front national. Mais c’est sur ce plan qu’il importe de ne pas mélanger les torchons et les serviettes : la culture d’origine des Insoumis est celle des partis de gauche ancrés dans une politique fondée sur le socialisme ou le communisme, mais, en tout cas, sur la critique du libéralisme et sur la solidarité.
Pourquoi cette discrimination à l’égard des Insoumis ?
Il semble nécessaire à la vie politique de notre pays d’avoir des exclus de gauche. Quand j’étais jeune, il s’agissait des communistes, mais, maintenant qu’ils ont été admis au sein de notre vie institutionnelle, il faut bien trouver une autre « bête noire » : ce sont les Insoumis. Mais rien n’a été dit pour expliquer cette mise à l’écart de ce que nos partis appellent maintenant d’un beau nom « l’arc républicain ». D’abord, tout se passe comme si l’exclusion de l’extrême droite, fondée sur des orientations illégitimes comme le culte de la violence et de ce que l’on peut appeler l’ultralibéralisme, celui de D. Trump ou de G. Meloni, rendait nécessaire une exclusion à gauche, comme si la logique de l’exclusion était nécessairement symétrique : une exclusion à l’extrême droite impose une exclusion comparable à gauche. C’est ainsi que le lexique politique utilise systématiquement des mots comme « les extrêmes », comme « les partis radicaux », pour que les partis résolument de gauche, sans concession au libéralisme, puissent être exclus. Car, au fond, c’est bien cela qui est en question : en considérant les Insoumis comme illégitimes, l’opinion, la doxa politique, limite le débat public aux seuls partis et aux seuls acteurs qui consentent à entrer dans le moule imposé par l’idéologie dominante. De fait, d’ailleurs, ce poids de l’idéologie dans la censure de certains partis pousse la doxa à rejeter les Insoumis au motif qu’ils sont « idéologiques ». Autrement dit : ils n’ont pas d’imaginaire. Mais il n’y a pas de politique sans imaginaire : une politique sans imaginaire est une politique sans but, sans orientation, sans projet, une politique réduite à la gestion du pays incapable de susciter l’adhésion des citoyennes et des citoyens à un projet de société. Peut-être les insoumis sont-ils ainsi rejetés justement parce qu’ils semblent les seuls à avoir un imaginaire sur lequel se fonder.
Une ségrégation injustifiée
Mais, même en comprenant les motifs qui peuvent l’expliquer, rien ne justifie cette mise à l’écart des Insoumis, qui, par exemple, n’ont pas été admis à la réunion organisée par E. Macron pour débattre avec les partis de la crise politique que nous vivons. Les militants des Insoumis sont des militants de partis comme les autres, ils ont leurs idées comme les autres, et ils essaient, comme les autres, de susciter l’adhésion du nombre le plus important possible de citoyennes et de citoyens. Si l’on peut comprendre le rejet du Rassemblement national et du populisme d’extrême droite et la discrimination dont ils sont l’objet parce que leur projet est celui de l’exclusion et d’une conception de la citoyenneté elle-même fondée sur des discriminations, rien dans le discours des Insoumis ne permet une telle exclusion. Ils ne sont pas issus de partis d’extrême droite populistes, racistes, avec une vieille culture antisémite, qui donnent l’illusion de devoir chercher à s’en démarquer, mais ils sont nés de partis de gauche, fondés sur une culture de l’égalité et de la solidarité, et, s’ils se sont séparés de ces partis de gauche, c’est parce qu’ils leur semblaient, justement, trop compromis avec le libéralisme dominant. Mais là, sans doute, se trouve la véritable raison de la discrimination envers les Insoumis. La soumission au libéralisme, à ses orientations, à ses conceptions de l’économie, du travail et de la soumission au capital, définit, en fin de compte, ce que l’on appelle, de nos jours, « l’arc républicain ». Pour être admis au débat légitime, il faudrait accepter la domination du libéralisme et adhérer à la culture politique qu’il impose. La loi dite républicaine se fonde, en quelque sorte, sur le refoulement d’idées interdites comme la critique du libéralisme - ou comme celle de la doxa de l’adhésion au projet de l’Union européenne désormais considérée comme la seule forme légitime d’identité politique. Enfin, la discrimination à l’égard des Insoumis au nom du fantasme d’un rapprochement avec le R.N. est d’autant moins justifiée que ce sont bien les Républicains qui, en ce moment, se rapprochent de l’extrême droite, laissant la droite « classique » adhérer au macronisme.
Antisionisme et antisémitisme
Mais peut-être cette exclusion des Insoumis est-elle aussi fondée par le procès en antisémitisme qui leur est fait parce que, dès le commencement, ils ont dénoncé la politique des dirigeants de droite d’Israël alors, d’ailleurs, que de plus en plus de partis et d’acteurs politiques, en France mais aussi dans le monde, se rendent compte qu’elle est injustifiable. C’est au nom de cette dénonciation de la politique expansionniste d’Israël en Palestine que les Insoumis ont été exclus du fameux « arc républicain ». Mais c’est en ce point qu’il importe de faire porter la critique. Tout se passe, aujourd’hui, comme si, pour chercher des motifs légitimes de censure et d’interdit, la doxa politique avait ainsi trouvé ainsi une bonne raison d’exclure les Insoumis du débat public. Ce n’est pas au nom d’un antisémitisme qui relève, en réalité, d’un fantasme de la culture politique dominante que les Insoumis sont exclus du débat public, c’est pour les censurer que la doxa a imaginé cette idée, bien pratique aujourd’hui en raison de la guerre de Gaza et de la politique palestinienne, que l’on pouvait taxer les Insoumis d’antisémitisme. Cela rencontre également la confusion savamment entretenue entre antisionisme et antisémitisme dans la politique française contemporaine. Rappelons une fois de plus la différence entre ces deux notions. L’antisémitisme est l’exclusion des juifs, c’est l’antisémitisme qui fondait les conceptions nazie et pétainiste de la politique pendant la guerre de 1939-1945. En revanche, l’antisionisme est, justement, le rejet d’une identité politique fondée sur une conception ethnique de la politique. Le sionisme, au bout du compte, consiste dans l’exclusion de celles et ceux qui ne sont pas porteurs de l’identité juive, il s’agit d’une conception de la société fondée sur la recherche d’une domination de l’identité juive, d’une sorte de retournement de l’antisémitisme. C’est justement au nom de l’antisionisme que l’opinion rejette de plus en plus l’idée d’une guerre entre les Israéliens et leurs voisins arabes et acceptent de moins en moins l’expansion territoriale d’Israël en Palestine.