Une « politique de transition »
Le rapport commence par une bizarrerie : sur la couverture, il est annoncé une « stratégie 2023-2042 » et, dans son avant-propos, le président du C.O.I., D. Valence, évoque une stratégie « pour la période 2023-2032. Comprenne qui pourra. Mais, au-delà, retenons cette idée d’une politique de transition. Ce mot, « transition », est, décidément le mot à la mode, le mot-clef de la stratégie de l’exécutif. Malheureusement, on ne sait toujours pas vers quoi est prévue cette transition. Peut-être, finalement, s’agit-il, justement, d’une transition vers du rien. La politique de l’exécutif prépare une transition entre la réalité d’aujourd’hui et rien. Sinon, peut-être, que cette « transition » est une transition écologique, selon l’avant-propos de D. Valence. Cela donne une indication sur l’orientation de la politique des transports.
Une politique des infrastructures
L’importance d’une politique des transports est affichée par le nom de l’organisme dont nous parlons : les transports sont l’infrastructure d’un pays, en quelque sorte son squelette. C’est toujours sur les choix et les orientations en matière de transports que les politiques publiques ont toujours exprimé leur identité. Et cela peut se comprendre aisément, car ce sont les transports et l’articulation de leurs réseaux qui donnent sa consistance à un territoire, qui font pleinement exister l’identité politique d’un pays.
Un modèle économique
La référence à un « modèle économique » signifie bien que le domaine des transports fait l’objet d’une véritable économie politique, encore à imaginer et à construire. Le rapport évoque l’idée de « sécuriser le modèle économique existant ». Cela veut bien dire ce que cela veut dire : le modèle économique libéral n’est pas plus sûr en matière de transports que dans les autres domaines. Le rapport du C.O.I. propose de « parler vrai ». Mais nous savons tous que « parler vrai », dans le modèle économique du pouvoir, consiste à rendre crédible une inflation qui est à prévoir et à faire de cette prévision un des fondements de la politique, au lieu de tenter de la juguler. Le modèle libéral des transports ne consiste pas à fonder sur les politiques publiques un des instruments de régulation de l’économie, mais à faire de la concurrence l’outil essentiel de la mise en œuvre de la politique économique. Cela explique l’ouverture du réseau des trains à grande vitesse aux entreprises étrangères. Mais l’autre volet du modèle économique libéral des transports consiste à considérer les voyageurs et les usagers comme des clients, comme des consommateurs. C’est pourquoi ils n’ont pas leur mot à dire sur les choix de la politique des transports, mais c’est aussi pourquoi l’usage des transports s’inscrit dans le domaine de la consommation au lieu de trouver sa place dans le domaine des droits des citoyennes et des citoyens.
Une politique « de cohésion et d’équité sociales et territoriales »
Nous nous trouvons là devant la grande impasse de l’économie libérale des transports. En effet, une politique des transports ne peut être équitable que si elle s’inscrit dans la globalité d’une politique économique de justice sociale. Or, rien, dans la politique de l’exécutif, n’est dirigé vers une telle orientation. « L’effort marqué d’investissement » dont parle le rapport au sujet de la politique des dernières années n’a pas été orienté vers la justice sociale, mais a, au contraire, accentué la différence et les clivages sociaux entre, par exemple, les TGV et les trains de banlieue. Enfin, l’équité territoriale que revendique le rapport est une illusion. Il ne peut pas y avoir d’équité territoriale tant que les banlieues seront enclavées par des moyens de transport en commun faibles voire inexistants, et il ne peut y avoir d’équité entre les régions tant que les réseaux de transports en commun, en particulier de rail, n’assureront pas une telle équité, à la fois en termes de desserte, en termes de fréquence de liaison et en termes de qualité des voyages. D’ailleurs, on ne peut pas ne pas inscrire l’égalité aussi dans une dimension écologique et énergétique. Nous savons aujourd’hui que l’égalité s’exprime aussi dans la politique environnementale, ce qui définit une politique écologique, notamment dans le domaine de l’environnement et dans le domaine climatique. À cet égard, les projets proposés manquent d’ambition. C’est, d’ailleurs, ce qu’indique le C.O.I. lui-même au sujet de sa « lettre de mission : « Une programmation respectant le cadrage budgétaire indiqué au C.O.I. ne permet pas de répondre aux objectifs affichés dans la lettre qui lui a été adressée ». Alors, comme aurait dire l’autre : que faire ? Cette contradiction est, elle-même significative de l’absence de rationalité de la politique des transports engagée par l’exécutif.
La « gouvernance »
Encore un mot à la mode : l’usage du mot « gouvernance » est destiné à refouler le « politique », à la fois pour le dissimuler sous un vernis de technicité et pour empêcher le débat sur les points en question du débat. Refouler le politique consiste à faire comme s’il s’agissait d’une gros mot, puisque nous vivons dans une époque dominée par la gestion. La « gouvernance » ne se discuterait pas, puisqu’il ne s’agirait pas de politique. La référence à une « gouvernance » des transports les réduit à une dimension technique, relevant de l’outillage, de l’industrie et, donc, à une approche dépolitisée de l’économie, empêchant de mesurer l’importance pleinement politique des transports pour construire l’identité d’un pays et pour instaurer des relations et des échanges entre celles et ceux qui l’habitent. Au fond, parler de gouvernance en matière de transports revient au classique « Circulez, il n’y a rien à voir ». C’est, d’ailleurs, ce qui caractérise l’ensemble de ce rapport : il s’agit, surtout, de réserver la politique des transports aux prérogatives de l’exécutif et, en particulier, de ne pas engager de débat public.
Les significations du rapport du C.O.I.
On peut relever quatre significations essentielles de ce rapport sur les infrastructures. On connaît bien la première : il s’agit de l’orientation libérale de la politique des transports, affirmée notamment par la référence au « coût très faible des investissements de l’État ». Cette orientation libérale est aussi affirmée par la référence au modèle suisse - mais le rapport semble oublier que des orientations d’un petit pays comme la Suisse ne peuvent être appliquées à un pays bien plus étendu, ce qui a une incidence particulière, justement dans le domaine des transports. La deuxième signification de ce rapport est la référence, qui devient obsessionnelle dans notre pays, à l’Europe et à ses contraintes. Il s’agit, finalement, pour le pouvoir, dans ce domaine comme dans les autres; de s’exonérer de ses responsabilités en se dissimulant derrière les impératifs européens. Une troisième signification de ce rapport est la conception libérale de la dimension sociale de la politique des transports. Une référence du rapport aux « gilets jaunes » fait croire que l’impératif de justice sociale est un de ceux de la politique proposée, alors qu’elle ne laisse pas vraiment de place à des objectifs sociaux et que les inégalités subsistent. D’ailleurs cette référence figure au détour d’un des points de la synthèse, sans vraiment faire l’objet d’un débat. Enfin, ce rapport se dit comporter une dimension écologique, notamment par ses références au CO2. Toutefois, si l’impératif écologique a une place particulièrement importante dans une politique de transports, puisqu’il s’agit d’espace, cette référence n’est pas réellement mise en application dans les propositions du rapport : on a le sentiment qu’une fois de plus, il ne s’agit que de mots.