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Billet de blog 25 janvier 2024

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REPENSER LE CONFLIT PALESTINIEN (2)

Nous poursuivons aujourd’hui l’analyse entreprise il y a deux semaines sur le conflit palestinien, en insistant sur l’importance de l’histoire, du « temps long » dont parle Braudel, et sur les mythes de la terre

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Ne pas oublier le passé ni l’histoire

Pour comprendre le conflit palestinien présent, il faut remonter au passé de trois histoires. La première histoire est celle qui est racontée dans l’Ancien Testament. Même, bien sûr, s’il ne s’agit pas d’un livre d’histoire mais d’un « testament », c’est-à-dire d’un témoignage, d’un document qui n’est pas un travail scientifique, il nous permet de comprendre que le conflit entre le « peuple juif » et les Palestiniens (le mot se traduit par « Philistins » dans les traductions françaises classiques de la Bible) remonte à la plus haute Antiquité : la Palestine a toujours fait l’objet d’un conflit entre les deux peuples. L’exil, sous l’empire romain, a engagé, pour le peuple juif, ce que l’on peut appeler une « culture de l’errance », puisqu’ils se sont installés dans tous les pays du monde. Il faut comprendre l’idée sioniste comme le projet de refonder ce qui s’appelait dans l’Ancien Testament le « royaume de Juda » dans la perspective d’un « retour » des Juifs du monde dans la terre qu’ils avaient quitté lors de ce qui est appelé, dans la Bible, « l’Exode ». Pour comprendre la seconde histoire, il faut remonter à la guerre de 1914-1918. La Turquie avait fait le mauvais choix en s’alliant à l’Allemagne et à l’Autriche-Hongrie, et, au sortir de la guerre, les traités avaient procédé à la dissolution de l’empire turc. En 1917, voyant venir la fin de la guerre, le ministre britannique des affaires étrangères, Balfour, avait, alors, publié une « déclaration » restée une référence, dans laquelle il estimait souhaitable l’institution d’un état dans lequel, selon lui, les Juifs seraient la majorité du peuplement. C’est sur cette déclaration que s’est fondée la proclamation de l’état d’Israël, en 1948, à l’issue de la guerre de Palestine. Il s’agit de la deuxième histoire du conflit palestinien. Les Palestiniens appellent cette fondation de l’état d’Israël la Nakba, « la catastrophe », car elle les a privés de terre. Certes, à l’issue de la tragédie dont les juifs furent les victimes en subissant l’antisémitisme hitlérien, les états du monde civilisé ont cru que l’issue de la violence de la guerre se trouvait dans une sorte de paiement de leur dette à l’égard des juifs dans la conception d’un état hébreu en Palestine, l’état d’Israël. Mais ils payaient leur dette en confisquant leur terre aux Palestiniens, en les privant de pays. La troisième, l’histoire contemporaine du conflit, se compose elle-même de plusieurs épisodes : 1967, 1973, et les différentes étapes de la colonisation israélienne de la Palestine. Toutes les guerres qui ont opposé les Israéliens et les Palestiniens au cours de l’histoire contemporaine ont été dues à l’appropriation progressive de la Palestine par Israël. Même si un semblant d’état palestinien a été soi-disant reconnu dans le monde en 1988, ainsi que son chef, Y. Arafat, puis, après sa mort, M. Abbas, il ne s’agit pas d’un véritable état, et, de plus, Israël poursuit son entreprise de destruction progressive, colonie après colonie, guerre après guerre, surtout depuis que l’état est gouverné par B. Netanyahou.

Le mythe de la mouvance et de l’installation

La figure de « l’Exode » institue une dichotomie entre deux conceptions de l’identité juive, celle de la migrance et de l’exil, et celle du « retour » et de la reconquête de la terre. L’événement de « l’Exode » instaure une identité juive fondée sur le déplacement. Il s’agit d’un mythe, c’est-à-dire d’un récit imaginaire reconnu comme fondateur d’une identité, d’un récit dans lequel se reconnaissent celles et ceux qui en sont porteurs, mais, en même temps, d’un récit imaginaire, d’autant plus fort qu’il est intériorisé dans leur conscience et dans leur inconscient. Ce mythe a un rôle essentiel dans l’histoire du conflit palestinien, notamment, aujourd’hui, dans celle plus particulière de la guerre de Gaza. En effet, il importe de comprendre que, dans la folie du projet de B. Netanyahou, il y a bien l’idée de donner à la Palestine une identité exclusivement israélienne, c’est-à-dire de chasser de la Palestine tous les peuples qui ne s’en réclament pas. Il s’agit d’une inversion du mythe de « l’Exode », de faire vivre aux Palestiniens ce que les Juifs ont vécu, selon le mythe, dans leur Antiquité. Il s’agit de tenter de donner corps à la figure de la « Terre promise ». D’abord, il s’agit de la confusion entre la réalité politique d’un pays et d’un état et leur imaginaire mythique. Or, ces deux dimensions de l’histoire ne peuvent pas se confondre : on a toujours distingué soigneusement le réel et l’imaginaire. C’est sur cette confusion que se fondent toutes les entreprises idéologiques, mais, en particulier, tous les épisodes de guerres et de violence qui jalonnent l’histoire de leurs événements meurtriers. Une telle confusion conduit à légitimer la colonisation de la Palestine par des Israéliens au nom d’une revendication imaginaire sans autre fondement qu’un mythe. Par ailleurs, l’entreprise de la guerre de Gaza manifeste la violence d’un conflit entre deux violences mythiques. En effet, la folie de Netanyahou se légitime, aujourd’hui, dans la guerre de Gaza, d’un moment inaugural, celui d’un acte terroriste du Hamas. Mais le Hamas n’est rien d’autre qu’un mouvement islamiste, lui aussi animé par la violence d’une folie légitimée par une référence à une religion. Même si la folie israélienne nous conduit, aujourd’hui, à une folie sans commune mesure avec celle du Hamas, la guerre de Gaza est une guerre opposant deux folies religieuses. À l’idéologie israélienne fondée sur l’opposition mythique entre la mouvance et  l’installation répond l’idéologie islamiste fondée sur une autre opposition, devenue mythique dans les cultures arabes, entre les colonisations occidentales et les revendications de la décolonisation. Depuis le début, le conflit palestinien est un conflit entre colonisation et indépendance. Enfin, l’opposition mythique entre la mouvance et l’installation renvoie à la dimension mythique de la figure de la terre. Il s’agit à, la fois de s’approprier une terre en se légitimant par un mythe et en en chassant celles et ceux qui l’habitent depuis des siècles et de donner, ainsi, à la terre le rôle mythique de fonder une identité. Dans toutes les idéologies guerrières de l’histoire, la terre est ce qu’il faut acquérir ou conserver : dans les guerres, la terre est ce qu’il faut conquérir pour agrandir le territoire d’une nation ou d’un pouvoir ou ce qu’il faut conserver pour préserver l’identité de la nation. La terre  représente, ainsi, la figure mythique de la guerre. D’abord, elle représente la dimension mythique de la naissance et de la fécondité : la terre est l’espace où nous sommes nés et l’espace dans lequel naissent les aliments qui nous nourrissent. Ensuite, la terre est une figure de l’espace qui se voit, qui se sent, dont nous avons une expérience réelle : il ne s’agit plus seulement d’une figure mythique mais d’une figure de la réalité. Or, c’est toujours dans l’espace que sue fondent, d’abord, les identités politiques. La troisième signification de cette figure politique de la terre est l’opposition entre dépendance et souveraineté. C’est une des raisons pour lesquelles les pays ayant des fantasmes identitaires et des logiques de puissance les ont toujours exprimés dans les terres qu’ils possèdent. En même temps, de nos jours, la guerre de Gaza et la guerre d’Ukraine manifestent la « volonté de puissance » des pays qui les ont engagées et qui les poursuivent. Mais ces deux guerres donnent à ce fantasme de puissance une dimension particulière à un moment où la mondialité est devenue une figure fondatrice de l’espace politique. Ces guerres articulent leur violence à celle de la migrance. De la même manière que ceux qui font la guerre se font tuer et subissent la violence des armes, les migrants se font chasser de leur pays par la misère et subissent la violence des pays qui ne veulent pas d’eux en réduisant leur existence à des vies d’errance. La guerre de Gaza inscrit ainsi l’histoire du conflit du Proche-Orient dans celle de la mondialisation.

Le « droit au retour »

Finalement, c’est la grande inégalité qui domine le conflit palestinien depuis le commencement. Si Israël a été conçu comme la réalisation d’un droit au retour pour les juifs contraints à l’exode, un tel droit n’a jamais été réellement reconnu aux Palestiniens chassés de leur terre en 1948. Avec, de plus, une circonstance aggravante : pour les Juifs ayant contribué à la naissance de l’État d’Israël, ce « droit au retour » était symbolique, car, pour la plupart, ils n’avaient jamais vécu dans le territoire de ce pays : ce droit avait une signification culturelle et identitaire, sans faire référence à une expérience réelle. En revanche, pour les Palestiniennes et les Palestiniens contraints à l’exil, ce droit au retour a une dimension réelle : ce sont leurs parents ou leurs grands-parents, voire eux-mêmes, qui ont réellement été chassés et qui aspirent à revenir dans une terre qui est toujours la leur. Pour repenser le conflit palestinien, il est nécessaire de réfléchir, mais des deux côtés, à ce que peut signifier ce droit au retour, pour toutes celles et tous ceux qui sont concernés. 

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