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Billet de blog 25 mai 2023

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L’UNION EUROPÉENNE ET LA NATION

Il semble qu’à la suite d'un nouvel élargissement en perspective, l’Union européenne passe de 27 à 37 pays membres. Quelle sera, désormais, la signification politique d’une telle union ?

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De 27 à 37 pays membres

L’Union européenne va donc compter 37 pays membres. Plutôt que le nombre de pays qui en font partie, on finit par se demander quels sont les pays européens qui continuent à rester en-dehors, au-delà de la Grande-Bretagne, qui, elle, en est volontairement partie. Cela finit par vouloir dire que l’Union européenne n’est plus une « union », mais qu’elle finit par se confondre avec l’Europe. En ce sens, on ne peut pas être convaincu par les récents propos de la secrétaire d’État française aux affaires européennes, L. Boone, qui, dans un entretien avec Libération, dit : « il ne s’agit plus seulement d’adhérer à un marché intérieur, mais à une Union politique » et encore : « Nous sommes entrés dans une phase d’intégration très puissante qui va changer l’Europe ». Ce sont des mots, ce ne sont que des mots : un tel élargissement ne peut qui réduire la signification politique de l’Union européenne et sa force politique, de la même manière que l’O.N.U. a, peu à peu, perdu sa force. L’Union européenne met en œuvre un fantasme, une illusion : celle d’un état qui se met en scène en se figurant devenir une puissance mondiale. Mais ce n’est pas parce qu’il mondialise le champ de ses adhésions que cet état va devenir une puissance : ce serait plutôt en mettant en ouvre June politique réelle fondée sur une politique économique réelle et sur une politique sociale authentique. Ce n’est sûrement pas en diminuant la conception d’un état européen face aux capitaux et au libéralisme. Sans doute l’élargissement insensé à 47 membres est-il une arme de plus à la disposition du libéralisme.

L’Union européenne et la guerre en Ukraine

Le projet de ce nouvel élargissement s’inscrit dans un contexte géopolitique européen dominé par la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Certes, il est essentiel que l’Union européenne fasse entendre sa parole dans le contexte de cette guerre qui est à sa porte, qu’elle se fasse entendre. Encore faut-il, pour cela, qu’elle soit, justement audible. Or sa parole est de moins en moins écoutée et l’Union n’a plus aucune force politique réelle. Ce n’est pas en s’»élargissant que l’Union européenne deviendra plus audible et plus puissante. La guerre en Ukraine aurait pu être l’occasion pour l’Union européenne d’agir, de se montrer puissante, de peser sur les événements et sur les évolutions du monde, mais l’Union perd cette opportunité en se montrant incapable d’agir d’une même force. De plus, l’adhésion de ces nouveaux pays ne va servir à rien dans le contexte de la guerre en Ukraine - sinon à manifester la faiblesse de l’Union.

L’Union européenne veut-elle copier les États-Unis ?

Le projet de cet élargissement donne le sentiment que l’Union européenne se donne un modèle : celui des États-Unis. « Quand je serai grande, je serai comme les États-Unis », nous dit-elle. Mais, d’abord, sans doute faudrait-il se rappeler que les circonstance historiques ne sont pas les mêmes aujourd’hui et quand se sont constitués les États-Unis d’Amérique. Et puis les conditions économiques de l’élargissement envisagé ne sont pas celles de l’extension progressive des États-Unis; Surtout, l’Union européenne donne le sentiment de se conformer, une fois de plus, à un modèle dominant, de se soumettre, ainsi, à l’hégémonie idéologique et politique des États-Unis, en particulier depuis l’acceptation du libéralisme comme modèle uniforme de politique économique. Peut-être la signification, en quelque sorte inconsciente de ce projet d’élargissement à 37, presque à cinquante, est-elle justement celle d’uns soumission à la conception de l’État que se donnent les États-Unis, sur laquelle ils se sont foncés : celle d’une disparition de la puissance de l’État et celle d’une sorte de dilution des identités nationales dans une fédération réduisant peu à peu les pouvoirs des états nationaux qui en sont membres. De plus, l’autre signification du projet des États-Unis était celle d’une colonisation des populations indiennes qui habitaient ce pays avant : l’élargissement de l’union à 37 membres entend-il conduire à un semblable effacement des identités nationales, voire à la censure de leur expression ?

De l’Europe des Six à l’Europe des 37

En 1951, puis en 1957, quand naît l’Union européenne, il s’agit d’une union de six membres. Surtout, nous sommes au lendemain de la guerre, et, pour l’Allemagne et l'Italie d’un côté, pour la France, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg de l’autre, de mettre fin à la guerre et de mettre en ouvre un projet de réconciliation politique et de paix, mais aussi de mettre fin au pouvoir des idéologies nazie et mussolinienne. Au fur et à mesure que l’Union s’est élargie à un nombre croissant de pays, elle s’est éloignée de l’idéal de sa fondation. L’Europe des Six, la première union européenne, s’était construite pour zen finir avec la guerre et avec les projets politiques totalitaires de l’Allemagne nazie et de l’Italie mussolinienne. Mais, au fur et à mesure des élargissements successifs et de l’affaiblissement des institutions politiques de l’Union, de plus en plus soumise à l’hégémonie des pouvoirs économiques dans une union réduite à sa dimension économique, l’emprise du libéralisme n’a fait que croître en toute liberté et sans rencontrer aucune résistance des gouvernements des pays, ni des populations elles-mêmes. Cet élargissement à 37 pays membres va encore accentuer l’éloignement de l’Union européenne de son projet initial. Alors qu’il est en pleine crise, le capitalisme devient hégémonique dans les institutions européennes et dans le projet de l’Union. Les populations de l’Europe sont ainsi placées devant un choix : ou elles continuent à se soumettre en adhérant au projet européen - ou en faisant semblant d’y adhérer par indifférence, ou elles profitent de cette occasion pour, enfin, revenir à un engagement véritable d’une critique politique de l’identité européenne et à un retour des débats politiques et de pratiques sociales exprimant des identités politiques véritables. Alors, un espace public européen recomposé, notamment par le poids crossant qu’y joueront les médias dans la logique de l’élargissement, pourrait, ainsi devenir un espace pleinement politique..

L’identité nationale se dissout dans le projet européen

Le projet européen fait, peu à peu, disparaître les identités nationales et, au-delà, fait disparaître les spécificités politiques, mais aussi culturelles, de chacun des pays membres de l’Union. D’abord, il s’agit de la langue : la seule langue d’usage commun à tous les pays de l’Union est celle d’un pays qui n’en fait pas partie. Cette séparation de la langue et du projet politique fait partie de la disparition de l’identité nationale dans l’Union. Or c’est l’identité des nations qui est menacée par ce nouvel élargissement. En effet, les nations avaient perdu de leur visibilité dans l’Union européenne, mais cette visibilité disparaîtra totalement dans une Europe encore étendue. Au-delà de la visibilité de la nation, c’est la citoyenneté même des habitantes et des habitants de l’Europe qui est menacée de disparaître. Dans un tel « pays », celles et ceux qui l’habitent ne peuvent exprimer de citoyenneté véritable, car ils ne peuvent tenir ensemble de débats politiques et d’échanges, ils ne peuvent se reconnaître dans des acteurs politiques encore plus éloignés d’eux, ils ne peuvent suez concevoir comme les citoyennes et les citoyens d’un pays qui n’existe plus. C’est bien ce qui s’est passé aux États-Unis : l’élargissement de cette union a mené à la dépolitisation de toutes celles et de tous ceux qui l’habitent et à l’accroissement de la puissance d l’hégémonie des pouvoirs auxquels ils sont soumis. Pour en finir avec l’hégémonie et retrouver la liberté, il a fallu que des pays membres de l’Union soviétique la quittent, retrouvant ainsi les identités nationales  qui leur avaient été confisquées. Ce n’est certainement pas en imposant son élargissement aux pays qui en font partie que l’Union européenne leur rendra leur citoyenneté. Ce n’est pas en se soumettant à la dictature du libéralisme européen que les pays qui en font partie redeviendront des nations libres.

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