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Billet de blog 25 juillet 2024

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DES JEUX LASSENT

La folie des Jeux olympiques et du Tour de France nous rappelle que, depuis longtemps, les épreuves sportives ne sont plus du sport, mais de simples spectacles. Mais en même temps elles ont un rôle immense dans notre espace public. Réfléchissons un peu à cette folie.

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Les Jeux olympiques et le gouvernement

Notre bien-aimé président l’a dit : nous aurons un gouvernement après les Jeux olympiques. D’ici là, le gouvernement dirigé par G. Attal reste en fonctions, pour s’occuper des affaires courantes, pour courir, ainsi, après les affaires. Plusieurs choses surprennent, là-dedans, tout de même. D’abord, nous nous demandons si cela veut dire que, jusqu’à cette date, le gouvernement continuera à violer allègrement l’article 23 de la Constitution, qui stipule que « les fonctions de membre du Gouvernement sont incompatibles avec l’exercice de tout mandat parlementaire », et que les ministres continueront, ainsi, à siéger au Parlement, et, surtout, à y voter. Et puis, tout de même, cette curiosité dérange : comment le calendrier des Jeux, de la « fête du sport », peut-il régir le temps de nos institutions ? Un tel mélange entre le sport et les institutions signifie-t-il que, dans notre pays, les pouvoirs publics sont soumis au temps du sport ? Que les matches de football dicteront, ainsi, le temps de l’État ? Ou cela signifie-t-il que le gouvernement n’est qu’une équipe sportive de plus ? Peut-être, enfin, cela signifie-t-il, tout simplement, que le président ne veut pas être dérangé par des ministres, ou, plus simple encore, qu’il se moque de nous ?

Panem et circenses

La politique serait, ainsi, une sorte d’ensemble de jeux du cirque de plus. L’exercice du pouvoir exécutif n’est qu’un événement sportif de plus, qui vient nous donner du pain (un tout petit peu, tout de même, n’exagérons pas, le SMIC à plus de 1600 euros, vous vous rendez compte ? Le pays va être à genoux) et des jeux (beaucoup, en l’occurrence, beaucoup de spectacles sportifs, de matches de télévision, de séries télévisées). En réalité, rappelons-le nous, c’était dans la Rome de l’Antiquité que ces mots étaient une sorte de devise. Du pain et des jeux, c’était ce que le peuple était censé attendre des pouvoirs. Le peuple attendait, ainsi, de pouvoir prendre la distance par rapport aux pouvoirs qui le dominaient, mais, en même temps, cette distance lui permettait d’échapper à la tutelle des impératifs de la religion : par les « circenses », le peuple se libérait un peu des dieux et du règne des normes sociales. Les « circenses » mettaient en scène la violence d’État pour en libérer l’espace public en la cantonnant à l’espace de l’arène.

La folie de la course et de la compétition

Depuis toujours, ainsi, le sport occupe une place considérable dans notre culture, dans les logiques de nos sociétés. Mais il faut remettre les pendules à l’heure. Cette place du sport est considérable, mais elle a évolué, avec le temps. De nos jours, derrière l’impératif du sport, il y a la contrainte de la compétition, qui n’est qu’une variation sur le mode de la concurrence, ce qui nous a été donné comme loi fondamentale par le libéralisme. Au fond, la concurrence et cette économie de la rivalité ont remis les jeux au cœur de la vie sociale afin de mieux imposer leurs règles et leurs normes de confrontation. La course et la compétition ne sont que les mises en scène sportives de la confrontation des acteurs sociaux les uns aux autres, sur ce que l’on pourrait appeler le théâtre du sport, fermé, comme l’étaient les arènes, mais au centre de la cité. La folie de la course et de la concurrence nous a été imposée par les logique qui fondent le libéralisme : être libre, finalement, c’est être en mesure de rivaliser avec les autres selon les lois du marché, au lieu de se confronter à eux selon les lois de la politique. Dans une telle économie, ce n’est plus l’usage, mais l’échange, c’est-à-dire le marché, qui ordonne les valeurs.

Le spectacle et l’obsession du voir

Les logiques du marché dominent, ainsi, l’activité sportive, mais aussi la vie publique et les rapport sociaux, au point que Jeux olympiques fonderaient le temps de notre vie politique.L’activité du sport n’est plus du sport, mais, depuis longtemps, un spectacle, comme les festivités de toutes sortes qui scandent notre vie sociale, en nous proposant - ou plutôt en nous imposant - des événements à voir afin de susciter la passion de notre regard et d’en évacuer le véritable plaisir ainsi que la réflexion et la critique. Devenu un spectacle, le sport s’est, d’abord, rangé du côté des spectacles ordinaires de la vie sociale, comme à la télévision, mais, ensuite, il est devenu une sorte de voyeurisme, car en assistant à des compétitions sportives, on assiste à des jeux sportifs en nous éloignant de la pratique du sport. Nous ne faisons plus de sport, nous ne nous livrons plus au plaisir des pratiques qu’il nous propose, mais nous nous contentons de voir, de nous faire séduire par l’objet de notre regard.

Les jeux et l’argent

Mais il y a une autre forme de jeu : les jeux où il s’agit de gagner de l’argent, comme au casino ou comme dans les jeux à mise (je pense, en particulier, aux courses de chevaux). Il s’agit, encore, d’une déformation du jeu : destinés à gagner, ces jeux-là ne reposent pas sur la force que l’on fait apprécier à un public, mais à l’usage de la force de l’autre pour gagner ou au recours au calcul (ou au hasard) pour gagner de l’argent sur le dos de l’autre. Au-delà, sans doute importe-t-il de comprendre à quelle place le jeu situe l’argent. Il s’agit de bien distinguer la réalité de la production et des échanges du jeu auquel les réduit l’excès de l’activité libérale contemporaine. Le libéralisme a fini par réduire l’argent et la richesse à n’être plus que des jeux : ce sont ces jeux que l’on désigne par le terme « finance ». Mais, en réalité, ces jeux d’argent public recouvrent une absence d’économie réelle. Le travail et la production ne s’y voient reconnaître aucune place et perdent toute véritable légitimité dans la société marchande contemporaine : seul le jeu de la finance se voit reconnaître une place, achevant ainsi, de séparer la réalité de l’économie du jeu du profit. Marx nous avait, pourtant, déjà mis en garde, dans ses travaux, sur cette évolution dangereuse que les banques et le jeu des capitaux imposaient à la société dans laquelle nous vivons.

Les jeux et le populisme

Ce que l’on appelle le populisme n’est rien de plus qu’une conception de la politique consistant à réduire le peuple à un ensemble de personnes qui « jouent » à figurer le peuple. Les populistes font reposer leur soi-disant légitimité sur le fait que le peuple est supposé adhérer à leur projet, mais, en réalité, ce projet et ces idées ne sont qu’un jeu : ils ne consistent qu’à mettre en scène, dans l’espace public, une sorte de jeu de la vie sociale de la cité dont les pouvoirs sont seuls à détenir les lois et à les imposer. Si le populisme a eu un certain succès et continue à en avoir, c’est qu’il séduit par sa configuration de jeu politique. Le populisme n’est, finalement, qu’un jeu de plus dans lequel le peuple croit se retrouver en jouant son propre rôle. Cela permet de comprendre l’importance du sport dans nos sociétés politiques.

Les jeux, le plaisir et la critique

Revenons, tout de même, à la signification première du jeu. Jouer, c’est suspendre son identité un moment, mettre en scène, pendant ce moment, une identité qui nous permet d’échapper à l’identité qui nous est imposée par notre appartenance sociale - qu’il s’agisse, pour l’enfant, de « jouer à », de jouer à la marchande ou aux gendarmes et aux voleurs, et, ainsi, d’apprendre, grâce au jeu, ce que sont les identités du monde de la société, ou, pour l’adulte, d’échapper aux contraintes sociales, pour se donner, ainsi, le temps du plaisir. Les « circenses » étaient, à Rome, le plaisir qui, joint à celui du « panem », permettait à celles et à ceux qui vivaient dans la cité, de trouver à la vie sociale un peu de plaisir qui permettent de l’accepter, de s’y résoudre. C’était, ainsi, une sorte de « miroir inversé » dans lequel se la société cherchait à se reconnaître. Mais, de nos jours, les jeux sont, au bout du compte, devenus une contrainte de plus. Qu’il s’agisse des contraintes sportives, comme celles des Jeux olympiques ou du Tour de France, ou des contraintes de la rivalité, comme celles que sont devenues les élections, les jeux ne sont plus qu’une façon de faire échapper la vie sociale et la vie politique à la distance de la critique.

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