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Billet de blog 25 août 2022

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Le débat sur le climat : un refoulement du politique

Redisons ce que nous avons écrit à de nombreuses reprises ici : le réchauffement climatique n’est qu’une sorte de déguisement permettant d’occulter la responsabilité politique du capitalisme dans la folie du monde.

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Le réchauffement climatique ne naît pas de rien

Ce que l’on appelle le réchauffement climatique n’est pas un phénomène contestable. Le problème est de s’entendre sur les causes de ce processus. On peut désigner de deux manières l’ensemble des causes qui ont conduit à la situation que nous connaissons aujourd’hui – et dont la canicule que nous venons de connaître est une illustration particulièrement éclairante. Ou l’on s’arrête à la rationalité de l’évolution du climat, et l’on tente d’expliquer le réchauffement en se fondant sur des observations et des données issues des logiques physiques de la géographie et de la météorologie. C’est ce qu’essaient de faire les discours dominants sur le réchauffement. Ou l’on ne s’en tient pas à ces explications et l’on se situe dans une rationalité des phénomènes climatiques qui se situe dans le champ des sciences sociales, notamment économiques et politiques. On se trouve alors contraint de chercher d’autres façons d’expliquer la montée des températures sur la terre. Il s’agit, notamment, des incidences de l’industrialisation massive et désordonnée qu’ont connue (faudrait-il écrire subie ?) tous les pays. Il s’agit aussi des conséquences de l’urbanisation qui a détruit des paysages et modifié les équilibres géographiques des pays dans lesquels nous vivons. Il s’agit, enfin, des modifications de nos modes de vie et de nos usages de l’énergie, qui ont provoqué des évolutions invisibles devenues irréparables des espaces de nos sociétés.

Le dérèglement du climat : une façon de « naturaliser » la question du réchauffement

La figure du simple réchauffement climatique a un avantage politique indéniable : en faisant de ce phénomène un fait seulement climatique que l’on peut penser en termes géographiques, on fait de lui un phénomène naturel, et, de cette façon, l’idéologie du capitalisme évite de faire face à ses responsabilités. Finalement, on se trouve confronté à la vieille histoire de la nature et de la culture. Réduire un phénomène à un fait naturel a toujours permis aux pouvoirs d’éviter de faire face à leur responsabilité et au poids de leurs décisions dans les évolutions que connaissent les peuples qui leur sont soumis. Longtemps, cela a été le rôle des dieux – y compris du dieu de notre monothéisme. C’est Dieu qui l’a voulu ou c’est un phénomène naturel, que voulez-vous y faire ? Cette espèce de naturalisation de certaines évolutions qui, en réalité, tiennent à des systèmes sociaux et manifestent l’hégémonie de certaines politiques est une figure majeure de l’idéologie. À cet égard, n’oublions pas que la figure du réchauffement climatique est, fondamentalement, une figure idéologique. Si les choix des politiques menées par les pouvoirs n’avaient pas été dominés par les contraintes de l’industrialisation et du capitalisme qui ont détruit le climat comme elles ont détruit l’espace des villes et celui des campagnes et comme elles ont détruit les paysages et les lieux de vie, nous ne serions pas en proie, aujourd’hui, à la crise du réchauffement. L’autre incidence majeure de cette « naturalisation » et de ce déni des responsabilités est d’amplifier les figures de la peur et de la menace qui, aujourd’hui comme à toutes les époques de l’histoire, ont, de tout temps, constitué les figures majeures de la domination.

L’échec des politiques capitalistes

C’est l’autre grande signification du réchauffement climatique : l’imprévisibilité des politiques mises en œuvre depuis l’industrialisation, et, par conséquent, depuis l’avènement de l’hégémonie du capitalisme qui est liée à elle. Si les décideurs avaient pu prévoir le réchauffement, sans doute, tout de même, auraient-ils fait en sorte de mener des politiques permettant de l’éviter, sans doute même auraient-ils élaboré d’autres modèles d’industrialisation. S’ils ne l’ont pas fait, c’est, justement, qu’ils en étaient incapables. D’une manière générale, d’ailleurs, c’est l’ensemble des questions liées à l’environnement, c’est l’ensemble du domaine de l’écologie, qui manifeste l’échec du capitalisme. Dans les autres domaines de la politique, les décisions du capitalisme sont discutables, on n’adhère pas aux choix du capitalisme, mais on ne peut pas parler en termes d’échec. En revanche, le capitalisme a été incapable de prévoir les incidences écologiques des politiques qu’il a engagées et de « limiter la casse » de réduire leurs effets dévastateurs sur le monde dans lequel nous vivons. L’échec du capitalisme aura été d’élaborer une rationalité de l’espace, d’imaginer une façon de penser l’espace que nous habitons. Et on put craindre que cet échec-là ne soit irréparable. En tout cas, le réchauffement climatique, la dégradation de l’espace due à la pollution industrielle, les catastrophes écologiques (soi-disant appelés « naturelles ») liées à la surconsommation d’énergie, constituent autant d’échecs qui manifestent l’incapacité du capitalisme de permettre autre chose que des profits financiers – et encore.

La question de la cause et du sens

Et si, une fois de plus, on parlait un peu de Saussure ? Que vient faire la linguistique ici ?, me dira-t-on. Eh bien, c’est simple, et, comme tout ce qui est simple, le débat politique tente d’éviter de faire apparaître la question, car, on ne sait jamais, si les citoyennes et les citoyens se mettaient à comprendre ? Saussure, on le sait, c’est ce linguiste et philologue genevois de la fin du XIXème siècle, dont le Cours de linguistique générale fut publié après sa mort, en 1920. Dans le Cours, après l’avoir enseigné par sa parole pendant des années, Saussure explique que le signe est arbitraire : cela signifie qu’il n’a pas de cause. Aussi loin que je remonte dans l’histoire d’un mot, je ne saurai jamais pourquoi il a le sens qu’on lui connaît. Cela ne veut pas dire qu’un mot ne naît de rien, il a une histoire, une étymologie, mais il vient toujours un moment, dans cette histoire, où l’on ne peut pas penser la cause de cette signification. Je ne sais pas pourquoi le mot « ours » désigne le plantigrade que l’on connaît bien – et, d’ailleurs, en anglais, ce sont les mêmes plantigrades qui sont désignés par un mot qui n’a rien à voir : « bear ». Dire, par conséquent, que l’explication du dérèglement climatique pourrait se réduire à une cause (le « réchauffement ») permet d’éviter de réfléchir à sa signification, c’est-à-dire, au-delà, de soustraire le réchauffement au débat. En effet, il n’y a pas de débat sur des causes. On ne discute pas sur la cause de la succession du jour et de la nuit : le jour succède à la nuit parce que la terre tourne autour du soleil et la lune autour de la terre. En revanche, si l’on se mettait à réfléchir au sens du réchauffement climatique, à ce qu’il représente dans notre culture, et, surtout, dans le modèle économique auquel nous sommes soumis, alors on ne pourrait pas échapper au débat.

Une folie de plus

Qu’est-ce que la folie, sinon une sortie du politique ? La folie a toujours été le nom donné par les politiques aux situations et aux évolutions qu’il ne maîtrise pas, qu’il est incapable de penser. Le réchauffement climatique est, ainsi, une nouvelle folie que, comme toujours, nous sommes incapables de maîtriser et de réguler parce que nous sommes incapables de la penser. Ce que l’on appelle le réchauffement climatique n’est pas un fait naturel, ce n’est pas non plus l’issue d’une évolution que nous pourrions penser en termes géographiques, ou même en termes politiques, économiques ou culturels. Non. Le « dérèglement » du climat, comme tous les « dérèglements », est une folie. Sauf que d’une telle folie ni les psychiatres ni les asiles ni les thérapeutes ne peuvent nous libérer, car il s’agit d’une folie de l’aliénation. De cette folie, la seule manière de nous libérer est de changer de modèle politique. Y sommes-nous décidés ?

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