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Billet de blog 25 septembre 2025

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LA RECONNAISSANCE (1)

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La reconnaissance de la Palestine

La reconnaissance de l’état palestinien par les autres états du monde est une étape insuffisante mais nécessaire à la constitution de cette nation en un état. La nation palestinienne existe depuis des années, sans doute même s’agit-il d’une des nations anciennes dans le monde, puisqu’il en est déjà question dans l’Ancien Testament à propos, déjà, de l’affrontement entre elle et la nation juive. Mais, si cette nation existe, elle est, depuis toujours, confrontée à toutes sortes d’obstacles qui l’empêchent d’exister pleinement, et, pour commencer, qui l’empêchent d’être un état. Pour ne parler que de la situation contemporaine, c’est à la fin de la première guerre mondiale qu’elle a été privée d’existence par les autres états du monde. Quand l’empire ottoman est dissous car, allié à l’Allemagne et à l’Autriche, il faisait partie des vaincus, les négociations et les traités qui vont remodeler le monde vont négliger la question palestinienne, en ne donnant naissance ni à un état israélien ni à un état palestinien, alors que, dès 1917, Balfour, le chef de la diplomatie britannique, avait envisagé l’existence d’un état pour la nation juive dans une déclaration demeurée fameuse. En 1949, à l’issue de la deuxième guerre mondiale, les pays du monde reconnaissent un état d’Israël, en quelque sorte pour se libérer de la dette d’avoir laissé trop longtemps le nazisme libre de commettre ses crimes. Mais, une fois de plus, cette reconnaissance se fait en ignorant la question palestinienne, ce qui entraînera la privation des Palestiniens de leur terre, ce qu’ils appellent la « Nabka », la « catastrophe », la guerre de 1948 et la première guerre de Palestine de la modernité, celle de 1948. Mais, pendant tout ce temps, la Palestine ne se verra pas reconnaître l’existence d’un état, ce qui entraînera une quantité effrayante de réfugiés exclus de leur terre, dont les Nations Unies « s’occuperont » en instituant une agence particulière, l’UNRWA (United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees). La guerre de Gaza n’est, de nos jours, pas autre chose qu’un nouvel épisode de ce conflit palestinien qui dure aujourd’hui depuis bientôt 80 ans. La reconnaissance de la Palestine comme état par des pays de plus en plus nombreux depuis des années, revêt une signification particulière dans notre pays, car son tour est enfin venu.

Pourquoi parler du discours d’E. Macron

Le discours d’E. Macron est celui par lequel notre pays reconnaît donc - enfin - la Palestine comme un état. C’est pourquoi je vais lire ce discours, pour essayer d’en comprendre les dits et les non-dits, les points de vue et les références, les éléments de la géopolitique palestinienne qui sont désormais ceux qui engagent la France. Il est important de parler de ce discours à plusieurs points de vue. D’abord, E. Macron est ce qu’il est, il est un dirigeant libéral de droite, mais il a été élu, et à ce titre, il est censé représenter notre pays dans l’espace public international que constitue l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies. De plus, comme souvent, les clivages et les confrontations qui orientent les identités politiques et les engagements ne sont pas les mêmes dans le domaine de la politique extérieure et dans celui de la politique intérieure. Enfin, nous sommes devant une urgence. Il est temps que les pays du monde en finissent avec le déni ou avec l’indifférence et ouvrent les yeux sur la guerre de Gaza, sur l’impérialisme israélien et sur les crimes et les violences du gouvernement de B. Netanyahou. Parler de la reconnaissance de la Palestine et du discours d’E. Macron devant les Nations unies peut contribuer à éclairer le débat. Une lecture attentive du discours du président peut permettre de mieux saisir certains éléments auxquels nous avons pu ne pas prendre garde, et qui peuvent porter sur d’autres domaines que le domaine particulier du conflit palestinien.

Les propos sur la violence terroriste et sur la guerre

C’est, bien sûr, le premier élément du discours d’E. Macron. Il prend, d’abord, la forme d’un aveu de faiblesse. « La vérité », a dit le président français, « est que nous portons la responsabilité collective d’avoir failli jusqu’ici à bâtir une paix juste et durable au Moyen-Orient », ajoutant : « C’est l’évidence même qui s’est imposée à nous le 7 octobre 2023 lorsque le peuple israélien a subi la pire attaque terroriste de son histoire ». C’est un aveu de faiblesse, car ces mots reviennent à avouer une imprévoyance ou une incompréhension des autorités de notre pays. E. Macron a, ainsi, articulé deux types de violence et de guerre, celle du terrorisme et celle qui est menée par l’état d’Israël, disant : « À cette heure, Israël étend encore ses opérations militaires à Gaza dans l’objectif déclaré de détruire le Hamas. Mais ce sont les vies de centaines de milliers de personnes déplacées, affamées, traumatisées, qui continuent d’être détruites, alors que le Hamas a été considérablement affaibli et que la négociation d’un cessez-le-feu durable reste le moyen le plus sûr d’obtenir la libération des otages ». Le chef de l’État français aurait pu ajouter que, parmi les intentions criminelles du gouvernement dirigé par B. Netanyahou, il y a le refus de reconnaître la Palestine qui conduit à se poser la question toute simple de savoir avec qui négocier. Faute de pays reconnu par son adversaire, quelles sont les autorités qui seront à même de prendre part à des négociations ? C’est ainsi qu’E. Macron fait de la reconnaissance de l’autre la condition de la fin de la guerre : « Une solution existe pour briser le cycle de la guerre et de la destruction. C’est la reconnaissance de l’autre ». « Que les uns et les autres », ajoute-t-il, « rouvrent les yeux et voient des visages humains là où la guerre a placé le masque de l’ennemi ou les traits d’une cible ». On peut comprendre ainsi que la reconnaissance de l’autre fonde l’identité à la fois sur le plan singulier (l’identité d’une personne) et sur le plan collectif (l’identité d’une institution - en l’occurrence d’un état). Encore faut-il qu’Israël accepte de reconnaître l’existence et l’identité de la Palestine, car les Palestiniens ont déjà dit à de multiples reprises qu’ils reconnaissent celles d’Israël. Le discours d’E. Macron sur la guerre nous amène à mieux comprendre la place de la reconnaissance dans les échanges entre des pays et à réfléchir aux conditions dans lesquelles une telle reconnaissance peut se mettre en œuvre. On peut définir la violence comme la volonté de mettre fin à l’existence de l’autre, notamment dans le cadre d’une guerre, mais on peut définir le terrorisme comme une forme particulière de guerre et de violence, qui repose sur le déni de l’existence de l’autre, que l’on ne veut pas reconnaître, dont on ne veut pas qu’il soit reconnu.

Les projets et les propositions pour le futur

Peut-on imaginer un futur pour la Palestine en se fondant sur le propos d’E. Macron à l’O.N.U. ? C’est bien là le problème majeur soulevé par son discours. Le premier projet manifesté par le président français est, bien sûr, « la solution à deux États ». Ainsi, E. Macron affirme que tel est le choix de la France. Toutefois, tout le monde sait bien qu’il y a deux réserves sur ce choix. La première est que, pour qu’il soit viable, il faut qu’Israël abandonne la colonisation, et, même, que les colons restituent les terres dont ils se sont emparés par les violences qui se sont inscrites dans un cycle de guerre qui n’a jamais cessé depuis le début. En morcelant le territoire palestinien par de tels vols de terres, Israël a rendu pratiquement impossible l’institution d’un véritable état palestinien. Pour que le discours d’E. Macron ne soit pas un ensemble de paroles sans lendemain, il est nécessaire que la fin de la guerre de Gaza - car elle se terminera bien, comme toutes celles qui l’ont précédée - consiste dans une négociation sur la reconfiguration des territoires qui sera difficile mais qui est indispensable. Insistons sur le fait qu’E. Macron entend que ce soit l’Autorité palestinienne qui ait la maîtrise de la sécurité de la transition vers les deux états, ce qui ne sera pas facile. Mais, dans le discours du président français, il n’y a aucun mot sur la dimension économique de la « solution à deux États », alors que pour que ces deux États puissent seulement vivre, il faut que l’État palestinien se bâtisse une économie qui lui permette de vivre, d’exister. Or Israël a détruit méthodiquement, inlassablement, avec le soutien des États-Unis, ce qui restait d’économie à Gaza, ce qui a affaibli durablement l’économie palestinienne. Un autre fait important, peu évoqué dans le propos d’E. Macron, est un impératif majeur : pour qu’un État réel permette à la nation palestinienne de vivre et de se reconnaître elle-même, il lui faudra retrouver la richesse de sa culture, qu’il soit mis fin à ce qui entrave son expression et qu’elle retrouve la liberté de parler la Palestine, de la dire. E. Macron a peu de mots, dans son discours, sur la culture et sur sa place dans l’institution d’un véritable état, dans son émergence. Enfin, le président français dit qu’il faudra « établir une ambassade auprès de l’État de Palestine ». D’abord, il est surprenant de noter que c’est dit à la première personne : « je pourrai », dit-il, « décider d’établir une ambassade ». Même dans des circonstances comme celle de la reconnaissance d’un État, E. Macron ne peut pas se défaire de cette propension au pouvoir personnel qui est la sienne et de nous en libérer. Or une ambassade ne se fonde pas sur la décision d’un chef, mais sur une décision institutionnelle. Une ambassade n’est pas celle d’un chef d’état mais la représentation d’un pays. Par ailleurs, cela semble dérisoire au moment où nous sommes, de parler d’ambassade, alors que celles et ceux qui habitent Gaza sont en train de mourir de faim et de violence sous les tirs de l’armée israélienne. Il sont en train de ne plus pouvoir y vivre. Même si l’ouverture d’une ambassade est le signe nécessaire de la reconnaissance d’un État et de l’instauration de relations et de dialogues entre deux pays, on peut se demander s’il s’agissait d’une première urgence dans les temps que nous vivons. Une ambassade est-elle aujourd’hui la première chose qui soit nécessaire dans les relations futures entre la Palestine et la France ?

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