La fausse non-intervention du président
S’il est vrai que, quand ils sont opposés l’un à l’autre (ce qui fut le cas du gouvernement Chirac en 1986, du gouvernement Balladur en 1993, ou du gouvernement Jospin en 1997), le président reconnaît au premier ministre le pouvoir de choisir les membres du gouvernement, quand, comme c’est le cas cette année, ils sont plus proches politiquement l’un de l’autre, la désignation des ministres reste un pouvoir du président, partagé avec le premier ministre. Sans doute est-ce bien parce que nous restons dans un exécutif de droite qu’E. Macron dit consentir à laisser un peu de respiration au gouvernement et se mêler un peu moins de tous dans la politique gouvernementale.
Un gouvernement de droite
Car c’est bien un gouvernement de droite, et même de droite dure comme le manifeste son ministre de l’Intérieur, B. Retailleau, que M. Barnier a constitué. En confiant à ce dernier le soin de former un gouvernement et en en approuvant la composition, E. Macron en aura, au moins fini avec les faux-semblants du « en même temps ». Nous sommes devant un exécutif de droite, dominé par la droite des Républicains, qui n’aura laissé que quelques miettes à la droite macroniste et une seule à la soi-disant gauche du macronisme pour donner au président l’illusion qu’il gouverne et au pays celle d’un pouvoir unissant deux composantes égales de la droite, la douce et la dure. Les ministères dits « régaliens », parce qu’ils sont porteurs de l’essentiel du pouvoir, sont détenus par la droite : l’Intérieur par la droite dure, représentée par Bruno Retailleau, les Affaires étrangères par une droite un peu plus douce, pour ne pas effrayer les autres pays, incarnée par J.-N. Barrot, la Défense par S. Lecornu, qui demeure au gouvernement après avoir occupé la même fonction dans plusieurs gouvernements sous le quinquennat d’E. Macron, ou encore la Justice, dirigée par une sorte de « trans », un transfuge du P.S. se présentant toujours comme de gauche mais sans parti, D. Migaud. C’est ainsi que le parti qui aura obtenu le moins de voix aux élections législatives se retrouve en situation de dominer le gouvernement. Cela signifie, d’abord, mais cela a déjà été dit et écrit, que le président foule aux pieds la volonté populaire, mais, surtout, qu’il cherche à concevoir une politique résolument de droite et qu’il entend bien la faire mettre en œuvre par un gouvernement incarnant le volet droitier de l’exécutif.
La bizarrerie : D. Migaud, garde des sceaux
D. Migaud, le nouveau ministre de la justice, fut un élu socialiste. Une erreur de jeunesse ? Toujours est-il qu’il fut, surtout, premier président de la Cour des comptes et qu’il présida la Haute autorité de la transparence de la vie publique. Le voilà donc passé du côté de ceux qu’il contrôlait. En le nommant dans son gouvernement, M. Barnier a-t-il voulu faire croire au « en même temps » ? Cette caution de gauche destinée à tenter de faire encore croire que le président est capable de mener une politique satisfaisant la gauche est aussi également destinée à faire croire que la politique de son gouvernement sera honnête et transparente. En mettant dans son gouvernement quelqu’un qui fut à la tête de la Cour des comptes, il cherche à neutraliser les contrôles dont l’exécutif pourrait faire l’objet. Il s’agit, en quelque sorte, de concevoir une politique soumettant à l’exécutif les contrôles des pouvoirs, ce qui signifiera, une fois de plus, qu’E. Macron entend bien s’approprier les pouvoirs et un des contre-pouvoirs, celui de la justice. Une des principales institutions destinées à figurer un contre-pouvoir voit son autorité réduite par l’autorité sur elle de l’un des siens, qui ne pourra échapper à une forme de complicité. C’est ce genre de confusion des rôles qui conduit à la décrédibilisation du politique.
Deux orientations marquées : libéralisation et privatisation
Un exemple de la tendance à imposer la privatisation de la vie publique peut être donnée par deux ministres en particulier. En effet, dans leur vie professionnelle, O. Givernet et S. Primas ont manifesté la volonté de libéralisation dans leurs domaines, l’une en cherchant à privatiser les formations de vétérinaire, l’autre en ayant travaillé dans le domaine de l’aéronautique privée. Une des significations de la composition du gouvernement Barnier est bien la volonté de confier au privé des pans importants des politiques publiques et de soumettre l’État à l’hégémonie du secteur privé, ôtant au secteur public la possibilité d’imposer ses choix et sa politique. Le ministre du budget et des comptes publics, L. Saint-Martin, quant à lui, a dirigé Business France, l’agence servant de soutien aux entreprises françaises dans leurs actions à l’étranger. Établi sur la base d’une confusion entre l’économie des entreprises privées et le domaine public, l’organisme « French Tech » de soutien aux entreprises privées est ainsi présent dans le gouvernement, incarné par C. Chappaz. Nous nous trouvons bien, ainsi, devant un gouvernement soumis aux entreprises et à la dimension libérale et privée de l’économie de notre pays.
Les rapports de force au sein du gouvernement
La répartition des ministères entre les composantes politiques du gouvernement permet de mieux comprendre l’équilibre des forces en son sein. L’égalité gouvernementale entre les macronistes et les Républicains montre que ce sont bien ces derniers qui détiennent la réalité du pouvoir, puisqu’ils ont pu imposer d’être à égalité avec le camp présidentiel, alors qu’ils ont eu bien moins de voix que lui aux élections législatives. Si on laisse de côté la caution de gauche incarnée par D. Migaud, qui, tout seul, aura bien peu de poids dans cette équipe, les macronistes ont été soumis aux exigences des Républicains. Au-delà du constat que, de cette manière, Renaissance est bien à droite, ce qui est renforcé par la présence de ministres issus du parti d’É. Philippe, on se rend compte que la droite est, elle-même, toujours dominée par les Républicains. D’ailleurs, ce déséquilibre pourrait bien s’accroître encore si des membres du parti macroniste, ulcérés par une telle droitisation qui fait fi du projet d’instaurer une sorte de social-démocratie pour conduire, dans notre pays, une politique associant un flanc de droite et un flanc de gauche, quittaient le parti présidentiel, l’affaiblissant encore davantage, ce qui n’est pas exclu, quand on observe les réactions de certains de ses membres à la formation du gouvernement.
Le gouvernement Barnier a-t-il un avenir ?
Au fond, c’est la question la plus urgente. On peut, en effet, se demander ce qui va se passer après la déclaration de politique générale de M. Barnier, à l’Assemblée nationale. D’abord, on peut se demander si la motion de censure qui a tout lieu d’être proposée par les députés de gauche ou par ceux d’extrême droite ne va pas être adoptée, ce qui entraînerait, presque dès sa nomination, la démission du gouvernement. Cela inscrit le gouvernement Barnier dans une sorte de précarité. Après tout, une telle expérience ne ferait peut-être pas de mal à la droite, qui a tellement l’habitude de régner sur notre pays comme sur un pays conquis qu’elle a, depuis longtemps, fini par perdre le sens même de la notion de démocratie. Mais il faut réfléchir plus loin. Même si la motion de censure n’était pas adoptée et si ce gouvernement survivait à la rentrée parlementaire, les conflits entre tendances sont tels en son sein même qu’il finirait, sans doute, à plus ou moins brève échéance, par exploser. Comment mettre dans une même équipe gouvernementale des partisans d’une droite dure comme B. Retailleau et des tenants d’une droite plus tournée vers l’illusion d’une droite sociale comme des partisans de F. Bayrou tels que N. Delattre (Parti radical) ou G. Darrieusecq (MODEM) ? Cette rhétorique, désormais rabâchée, du « en même temps » macronien montrerait vite qu’il ne s’agit que d’une fiction, d’une histoire que l’on raconte aux petits enfants de la politique pour les aider à s’endormir et leur faire laisser les grandes personnes s’occuper des choses sérieuses. S’il n’est pas détruit au moment même de son départ, l’avenir du gouvernement Barnier est conditionné par le vote du budget, ainsi que par les premières mesures sociales qu’il sera amené à prendre et aux manifestations de mécontentement qu’elles entraîneront. Sans compter que, très vite aussi, ce gouvernement risque d’être bien obligé de se soumettre aux quatre, cinq ou six volontés du R.N. et de l’extrême droite. La fameuse formule de Gambetta s’opposant au président MacMahon en 1877, « se soumettre ou se démettre », risque, à présent, de retrouver toute sa signification.