Une nomination hors du temps
F. Bayrou avait été nommé premier ministre par un décret du 13 décembre. Il aura donc fallu dix jours pour nommer ce gouvernement. Dix jours d’intérim du gouvernement Barnier. Dix jours d’incertitude, comme dix jours de flottement, pendant lesquels on expédiait les affaires courantes, et, pendant ce temps, le budget n’était toujours pas adopté. Ce gouvernement se sera fait attendre dix jours, et, quand il a été nommé, on a découvert qu’il ne consistait en rien. Il aura fallu dix jours pour que l’on découvre que la colline de l’exécutif avait accouché d’une souris. Ce gouvernement était attendu dans l’urgence, à commencer par la situation de Mayotte, et dans une crise politique au cours de laquelle les acteurs de ce qui n’est pas une majorité n’ont toujours pas de projet pour répondre aux attentes d’un pays qui ne sait toujours pas où ses dirigeants tentent de faire croire qu’ils le mènent. Il aura fallu dix jours pour que nous soyons désormais persuadés d’une chose : ce gouvernement n’en est pas un et le premier ministre n’en est pas un. Ce ne sont que les petits personnages du jeu de société auquel ils essaient de réduire la vie politique.
Un gouvernement dont la composition est dictée par le Rassemblement national
Quelques minutes avant l’annonce de la composition de ce gouvernement, X. Bertrand avait fait savoir qu’il lui avait été proposé, dimanche, le ministère de la Santé, mais que, lundi, il avait été informé qu’il ne ferait pas partie du gouvernement, « en raison de l’opposition du R.N. », lui avait-il été dit. C’est donc le R.N. qui décide la composition du gouvernement dirigé, pourtant, en principe, par F. Bayrou. Nos dirigeants semblent ne plus se rappeler ce qu’est le R.N. Hors du temps, ils oublient qu’il n’est pas une parti comme les autres, qu’il est l’héritier du Front National, lui-même fondé par un ancien partisan de « l’Algérie française » et que son projet repose sur les inégalités et sur les discriminations.
Un gouvernement encore dans le temps de la colonisation
La colonisation encore, comme au temps de « l’Algérie française ». Hors du temps, l’exécutif semble avoir oublié, à Mayotte, que nous ne vivons plus à l’époque de la colonisation et du mépris pour les peuples colonisés. Les dirigeants de notre pays ont laissé arriver la catastrophe climatique de Mayotte alors qu’ils auraient pu prendre les mesures destinées à l’éviter. Hors du temps, ils ne se sont pas souciés d’un peuple qui, lui, était bien dans le temps de la tourmente, car ils se croyaient encore dans le temps où certains peuples en dominaient d’autres qui ne comptaient pas. Pendant dix jours, l’urgence n’a plus compté à Mayotte car la France était sans gouvernement et, par conséquent, les véritables décisions ne pouvaient pas être prises : ce gouvernement est donc hors du temps à la fois parce qu’il vient seulement d’être nommé alors que Mayotte attendait et parce que l’exécutif pensait que ce n’était pas important d’exercer son pouvoir pour un « territoire d’outre-mer ». L’outre-mer est, par ailleurs, placé sous la responsabilité d’un ancien premier ministre socialiste qui a oublié ses changements de nationalité et de citoyenneté, ses revirements politiques et ses échecs passés.
Un président sans mémoire
Entendre un premier ministre expliquer qu’il ne peut nommer un ministre parce que le R.N. ne le veut pas montre que le président de la République est lui aussi hors du temps car il semble avoir oublié qu’il avait été élu président soi-disant pour faire barrage au R.N. Il s’agit donc à la fois d’une décadence politique, car il se soumet à l’extrême droite, et d’un mensonge, car il ne tient pas ses promesses. C’est que le mensonge et l’oubli relèvent souvent de la même chose : le refus ou l’impossibilité de se situer dans le temps de la parole. Cet oubli du président est le même que l’oubli de la décolonisation : ils sont l’un et l’autre la marque d’un président qui n’a pas de mémoire alors que le rôle d’un chef d’État est, justement, de veiller à ce que le pays qu’il dirige conserve sa mémoire. Le gouvernement de F. Bayrou a été nommé par un président sans mémoire car il a oublié que nommer certains ministres comme B. Retailleau serait considéré comme de la provocation par l’opposition. À moins qu’il n’ait oublié que le débat public existe dans ce pays, qu’il importe de tenir compte de l’opposition ; à moins qu’il ne croie vivre encore dans un autre temps : celui de la monarchie absolue.
Un premier ministre hors du temps
D’abord, F. Bayrou a oublié qu’il appartient au « centre », à un ensemble vague et confus de partis politiques de droite certes mais dont l’histoire est celle de partis héritiers des luttes antifascistes de la quatrième république. Le centre est une droite qui se distingue des autres parce que son histoire est claire sur ce plan. On peut dire ce que l’on veut de ce régime qui a été celui de la France de 1946 à 1958, mais, né au lendemain de la guerre et de l’occupation, il avait contribué à débarrasser la France des restes du nazisme. Quant aux partis de ce qui continue à se nommer le centre, ils comptaient parmi leurs fondateurs des personnages qui avaient été des résistants. Donc entendre le premier ministre se soumettre aux volontés du R.N. permet de se rendre compte qu’il n’a pas de mémoire. Mais François Bayrou est aussi hors du temps car il n’a ni les mots ni les projets lui permettant de faire face aux exigences du moment. Il est hors du temps car il semble, comme M. Barnier, avoir l’intention de gouverner avec des vieilles ficelles périmées, d’un autre temps, incapables de répondre aux exigences du temps qui est le nôtre. F. Bayrou est, enfin, hors du temps car il semble dépasse par les exigences de la mission qui devrait être la sienne. Mais F. Bayrou et son gouvernement semblent hors du temps car on ne les entend pas, ils semblent muets alors qu’on devrait ne pas attendre une déclaration de politique générale venant aussi tardivement.
Des ministres qui ont oublié leurs discours passés
Certains ministres comme E. Borne, M. Valls, F. Rebsamen, J. Méadel ont oublié qu’ils ont, dans le passé, appartenu à un parti qui nous faisait croire qu’il était de gauche. Il ne s’agit pas seulement de revirements, mais d’un déni de leur culture politique, celle du parti qui les a initiés à la vie politique. Ces ministres montrent que ce gouvernement est hors du temps, car, il ne sait plus que c’est la confrontation entre la droite et la gauche qui fonde le débat et la politique. De tels personnages sont hors du temps car ils semblent ne pas avoir de mémoire politique. Ainsi, on ne peut savoir quelle sera leur politique, ni même s’ils en auront une, en-dehors de se soumettre aux volontés du président qui les a nommés. À force de revirements et de leur absence de voix, ils ne savent plus qui ils sont car ils n’ont plus d’identité : au sens propre, leur nom est Personne.
Le propre de la droite est de ne pas avoir de mémoire
Peut-être s’agit-il là de l’une des différences fondamentales qui séparent la gauche et la droite : la gauche a une mémoire, elle fonde son identité politique sur une culture et sur une histoire, tandis que la droite n’en a pas. C’est, d’ailleurs, pourquoi, contrairement à ce que disent les « centristes », ils y a toujours une droite et une gauche, et, si les personnalités comme F. Bayrou ne disent pas de quel côté ils sont, c’est qu’ils sont à droite. La droite est dans l’immédiat, elle ne sait que répondre à ses besoins du moment, elle est dans le temps court de l’immédiat et des besoins de du profit et du pouvoir. En se présentant ainsi comme un gouvernement sans mémoire, le gouvernement de François Bayrou assume son positionnement à droite. C’est que cette orientation à droite est celle du libéralisme. Le libéralisme est, en quelque sorte pour définition, à droite car il n’a ni culture ni mémoire. L’histoire ne lui sert à rien car il ne se situe que dans l’instant. C’est pourquoi E. Macron, F. Bayrou et leurs ministres peuvent changer d’orientation sans difficulté car ils n’ont pas la mémoire qui leur permettrait de fonder un parcours politique cohérent.
Sans mémoire, un gouvernement n’a pas d’identité
Nous voilà, ainsi, revenus, une fois de plus, à la question fondamentale de l’identité. Comme E. Macron, le gouvernement de F. Bayrou n’a pas d’identité, ce qui explique qu’il est sans cohérence. F. Bayrou n’a pas d’identité, et, ainsi, il est, à proprement parler, fou. Sans mémoire et sans identité, il ne sait pas où il va ni où il nous emmène. On se demande même, tout simplement, s’il va quelque part. Cela explique la grande faiblesse qu’il montre depuis qu’il est premier ministre. Il donne l’impression d’être faible, lâche, parce qu’il se laisse porter par l’instant sans avoir d’autre projet que celui qui lui sera imposé par le chef de l’État qui l’a choisi, justement, parce que sans mémoire et sans projet, il ne le gênera pas. Les monarchies absolues n’ont pas d’autre projet que celui de leur chef, mais souvent, ce dernier n’en a pas d’autre que celui de conserver le pouvoir, de s’accrocher à lui, comme à une bouée qui leur éviterait de se noyer dans la mer de leur néant. Mais cela conduit les pays qu’elles gouvernent, tôt ou tard, à la ruine, comme E. Macron et son gouvernement sont portés par la dynamique de l’échec - autre caractéristique d’un pouvoir hors du temps.