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Billet de blog 27 février 2025

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LE PALESTINIEN : LA FIGURE DE L’AUTRE (1)

Depuis longtemps, dans les cultures judéo-chrétiennes, le Palestinien représente la figure de l’Autre. Dans la Bible, le Philistin, et, de nos jours, le Palestinien figurent celui à qui nous sommes confrontés. Tentons de comprendre cela.a

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Le constat : le conflit ukrainien et le conflit palestinien ne sont pas traités de la même manière dans les médias

Partons de ce constat de nos jours : les médias ne traitent pas de la même manière le conflit entre les Ukrainiens et les Russes et le conflit entre les Palestiniens et les Israéliens, comme s’il s’agissait de deux colonisations à distinguer, l’une légitime et l’autre non. Tandis que la tendance dominante dans les médias français consiste à prendre parti pour les Ukrainiens et à reconnaître une légitimité à leur combat contre la Russie et à l’éventualité de leur annexion, ils sont beaucoup plus partagés entre une opinion favorable à Israël et une opinion favorable aux Palestiniens. Tandis qu’on peut parler d’une position dominante dans l’espace public français au sujet du conflit ukrainien, il n’y a pas de position semblablement dominante à propos du conflit entre Israël et les Palestiniens au sujet du conflit de Gaza et de la colonisation israélienne de la Palestine. Si la guerre est revenue dans le monde, notamment sous la forme de guerres d’indépendance, elle n’oppose pas les mêmes identités d’acteurs en Ukraine et à Gaza.

La Bible : un texte de référence

Pour bien comprendre les termes du conflit palestinien, il faut se situer dans le temps long. En effet, notre culture politique de la Palestine a été largement façonnée par le discours biblique. C’est pourquoi il est important, pour nos cultures occidentales, européennes et nord-américaine, de partir d’un texte servant de référence à beaucoup d’opinions : l’Ancien testament. La Bible prend clairement parti : l’Ancien Testament, qui, pour la culture juive, est le texte de la Loi, prend clairement parti contre les Philistins, il est le texte de la loi constitutive du peuple juif et de son identité. C’est pourquoi les cultures politiques judéo-chrétiennes considèrent le Palestinien comme l’Autre, le mettant à distance et ne faisant pas de lui un modèle. C’est ainsi, par exemple, que l’un des premiers conflits entre les Juifs et les Philistins a lieu au sujet de l’eau, à propos d’Isaac (1) : « Cet homme grandit, il alla toujours grandissant jusqu’à ce qu’il devînt très grand. Il avait un troupeau de petit bétail et un troupeau de gros bétail, ainsi que de nombreux serviteurs ; les Philistins l’envièrent. Tous les puits qu’avaient creusés les serviteurs de son père, aux jours d’Abraham, son père, les Philistins les bouchèrent et les remplirent de poussière. Abimélech dit à Isaac : « Va t-en de chez nous, car tu es devenu beaucoup plus puissant que nous ! ». Isaac s’en alla donc de là ». C’est ainsi que le conflit palestinien fait partie des événements et des crises qui sont parmi les fondements de notre culture politique. Ainsi dans le temps long, l’antagonisme entre les Juifs et les Philistins fait partie des fondements de l’identité juive et de l’identité palestinienne, et cela montre à la fois la permanence de ce conflit dans notre histoire et la difficulté pour les Palestiniens de se faire reconnaître comme un peuple indépendant.

Les Palestiniens et la colonisation israélienne

La Palestine a toujours été considérée comme un enjeu important de la géopolitique, à la fois dans la réalité du conflit, de ses acteurs et des événements qui le nourrissent, et dans ce qu’il exprime de notre identité. C’est ainsi que, depuis toujours, la colonisation israélienne de la Palestine a été acceptée, tandis que l’état palestinien n’est toujours pas reconnu, au point, d’ailleurs, que, souvent, on ne parlait pas de la Palestine, mais de la « Cisjordanie », sans lui reconnaître l’identité d’un nom. La colonisation israélienne de la Palestine a toujours reconnue et légitimée par la plus grande partie des pays occidentaux, ce qui constitue un des éléments de l’identification des Palestiniens à la figure de l’Autre. La colonisation israélienne et le conflit palestinien ont toujours eu tendance à opposer un acteur proche de nous et un acteur plus lointain, que nous considérons dans une altérité qui l’institue par rapport à nous. De plus, l’institution de l’état d’Israël trouve son origine dans l’histoire de la première guerre mondiale. C’est en 1917, à un moment où l’issue de la guerre semble se clarifier, et où la défaite de la Turquie, alliée à l’Allemagne, paraît s'annoncer, que le secrétaire d’État britannique aux affaires étrangères, Lord Balfour, publie sa fameuse « déclaration », envisageant, en Palestine,  qui faisait alors partie de l’empire ottoman, l’institution d’un nouvel état dans lequel les Juifs pourraient trouver leur place : « His Majesty's Government views with favour », écrit il, « the establishment in Palestine of a national home for the Jewish people ». C’est ainsi que l’institution de l’état d’Israël est envisagée par les Alliés, sans qu’il ait été procédé à aucune consultation des habitants de la Palestine. Depuis cette date, dès 1917, la Palestine a été promise à la colonisation israélienne, après avoir été fait partie de l’empire turc. Ce projet a pu être mené à bien à la fin de la deuxième guerre mondiale, après la défaite de l’Allemagne d’autant plus qu’il était alors légitimé par ce qui a pu être considéré comme une dette des pays du monde à l’égard du peuple juif. C’est par la colonisation israélienne que le Palestinien s’est trouvé, en quelque sorte, enfermé dans cette figure de l’Autre. Un Autre, c’est un peuple à qui est refusé le droit d’exister en tant qu’État, et, par conséquent, à qui est refusé un statut similaire au nôtre. La colonisation israélienne de la Palestine figure, dans le débat public, une sorte de représentation de ce que peuvent manifester n’importe quelle colonisation et n’importe quelle domination pour un pays comme les pays européens et les États-Unis. Cela peut expliquer la difficulté d’avoir un débat véritable sur cette question à l’heure actuelle dans nos pays.

En France, la colonisation israélienne de la Palestine ravive le souvenir de la colonisation de l’Algérie

Sans doute notre pays a-t-il une relation particulière à la figure de la colonisation au Proche-Orient, en raison de sa propre colonisation de l’Algérie et de la guerre qui l’a accompagnée. Si la question de la colonisation israélienne de la Palestine revêt tant d’importance dans notre pays et si elle y suscite un débat aussi fort et même aussi violent, c’est que la France est interpellée, dans ce conflit, en tant qu’ancien pays colonisateur en Afrique du Nord. Ce n’est, ainsi, pas un hasard si les partis et les mouvements d’extrême droite manifestent, dans notre pays, un engagement fort en faveur d’Israël, alors qu’il s’agit, bien souvent, de partis et d’acteurs politiques s’étant souvent fondés sur des tendances claires à l’antisémitisme. Mais, ici, il n’est pas question d’une discrimination à l’égard des Juifs, mais d’une confrontation entre  un pays arabe colonisé et un pays colonisateur fondé, en grande partie, par des acteurs politiques occidentaux. La colonisation israélienne de la Palestine est soutenue par des partis qui ont, auparavant, soutenu la colonisation française de l’Algérie et qui continuent à considérer les peuples arabes comme des adversaires, comme des peuples à dominer, n’ayant aucune légitimité à constituer une état indépendant. En ce sens, le débat français sur le conflit palestinien revêt des spécificités qui lui donnent une signification particulière, différente de celle qu’il peut avoir dans d’autres pays. En France, l’altérité de la figure du Palestinien n’est pas n’importe laquelle : elle est l’altérité d’un peuple à dominer, à vaincre, notamment à l’issue d’une guerre. On peut, d’ailleurs, ajouter à cela que l’extrême droite n’a jamais accepté l’indépendance de l’Algérie en 1962, ce qui est la source d’un antagonisme violent entre elle et de Gaulle, et qu’elle trouve, en quelque sorte, dans le conflit palestinien, une occasion de se venger de cette indépendance.

(1) Genèse, 26, 12-15 (Trad. par É. Dhorme, Pléiade, t. 1, p. 82-83. Abimélech, roi de Gérard, un pays voisin, est entré en conflit avec Abraham.

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