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Billet de blog 27 avril 2023

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Victor Hugo, reviens ! Ils sont devenus fous

À Mayotte, le ministre de l’Intérieur a donc ordonné la destruction d’un bidonville. Cela donne à réfléchir sur les orientations du pouvoir macronien.

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La destruction par la violence d’un bidonville abritant des réfugiés et des migrants économiques à Mayotte oblige à s’interroger sur les orientations de la politique du pouvoir macronien et sur ses orientations. Nous n’en sommes même plus à des conflits idéologiques : voici revenue la « guerre aux pauvres », celle du XIXème siècle, dénoncée par Victor Hugo dans « les Misérables ». L’opération « Wuambushu », engagée sous la direction du ministre de l’Intérieur, est, paraît-il, destinée à combattre l’immigration illégale à Mayotte. Il s’agit d’une démonstration de force et même de violence, dont la mise en œuvre a été interrompue par le tribunal judiciaire de Mamoudzou. E. Plenel nous explique, dans l’article « Mayotte, île de la cruauté » (Mediapart, 25 avril 2023), que ce mot, Wuambushu, signifie « reprise » : ce mot fait, bien sûr, penser à cet autre mot, coutumier de l’extrême droite, « Reconquête ». Il s’agit bien de reprendre possession d’un territoire en en chassant des occupants illégaux. La France est-elle menacée par les occupants de ces bidonvilles ? Nous en sommes à un tel sentiment de frayeur des pouvoirs devant les risques d’affaiblissement que l’État doit montrer sa force, doit faire étalage de toute la violence dont il est capable. Sauf que, cette fois, il ne s’agit pas de combattre une perte de liberté ou de souveraineté, mais de combattre les pauvres qui viennent tenter d’habiter de petits morceaux d’un pays qu’ils croient riche, alors qu’en réalité, il est pauvre, car il a perdu les idéaux qui ont fait sa grandeur.

Un bidonville est-il de nature à menacer la sécurité de l’État ?

La destruction d’un bidonville n’avait pas encore eu lieu sous l’autorité de l’État : cela, c’est nouveau. Le ministre de l’Intérieur veut-il nous faire croire qu’un bidonville menace l’intégrité de notre territoire ? Alors, de deux choses, l’une : ou il le croit vraiment, et cela démontre une absence totale de sens politique et de réflexion, ou il ne le croit pas, et cela démontre une réelle capacité de mensonge. Un bidonville ne peut pas menacer l’État. Ce qu’il peut menacer, c’est l’orgueil de notre pays, car il démontre l’incapacité des pouvoirs de l’État à assurer l’égalité de tous, alors que ce mot est l’un des trois termes de la devise de la France. Ce n’est pas un bidonville qui peut menacer l’État ou la république. Ce qui peut constituer un menace, c’est le risque que les inégalités ne deviennent tellement fortes qu’elles finissent par être insoutenables. Ce qui peut menacer la France et l’État, c’est l’incapacité d’assurer l’égalité, car ce sont les inégalités qui ont toujours fini par emporter les empires. C’est bien de cela qu’est née la Révolution de 1789. Un bidonville peut menacer l’État car les images de cette pauvreté demeurant dans de la tôle ondulée peuvent faire prendre conscience aux citoyens de notre pays de l’incapacité de l’exécutif et de son irresponsabilité.

Que fait la France à Mayotte ?

Peut-être faudrait-il commencer par le commencement, et se demander pourquoi Mayotte est devenue un département français. La France s’est construite par l’agrégation de territoires et de pays voisins réunis par une continuité territoriale et par une langue commune. Mais, à Mayotte, nous ne sommes pas en Europe, mais en Afrique, dans une île de l’Océan indien. Si notre pays a imposé son autorité et sa langue (je n’ose pas parler de sa culture, car une telle conduite montre qu’il n’en a plus), c’est parce qu’il en a fait une colonie. À Mayotte comme dans d’autres pays, la France a voulu montrer sa force, a voulu montrer aux autres pays, et se montrer à elle-même, qu’elle était une grande puissance. C’est pourquoi la France a voulu, à certains moments de son histoire, se doter d’un empire colonial. Sans doute espérait-elle aussi s’enrichir, sur le dos, précisément, des peuples qui habitaient ce pays, comme d’autres colonies. Mais on n’a jamais demandé à ces peuples ce qu’ils pensaient de la colonisation. Il s’est agi, dès le début, d’une atteinte à leur liberté et à leur indépendance. La seule présence de la France à Mayotte est une violence, même si cette violence est pleinement assumée par les colons et les notables de ce pays. Cela est d’autant plus illégitime que le reste de la région dont fait partie Mayotte s’est vu reconnaître son indépendance il y a une quarantaine d’années.

La. colonisation impose des devoirs

Ce que les colons, sans doute, tous les pays, n’ont jamais voulu accepter, c’est que la colonisation impose des devoirs. Si la France entend faire de Mayotte un département français, cela lui impose des devoirs. Parmi ces devoirs, celui de contribuer à l’égalité des habitantes et des habitants du pays vis-à-vis de celles et de ceux qui vivent dans les autres départements français. Certes, me dira-t-on,  nous sommes encore loin de l’égalité de l’ensemble de celles et de ceux qui demeurent dans notre pays, mais les H.L.M. ne sont pas encore rasés ni détruits à coups de bulldozer. Encore, peut-être, bien sûr, que la destruction des quartiers pauvres des villes fait partie des projets du ministre de l’Intérieur. Mais nous n’en sommes pas encore là, et, par conséquent, au lieu de détruire les habitations des migrants, la France doit commencer par s’interroger sur les raisons de leur pauvreté, sur ce qui peut pousser des migrants à venir s’installer dans ce département français, et à y mettre en œuvre une politique sociale efficace. Si la France est l’État qui est à la tête de Mayotte, elle doit, elle, se mettre au travail et y engager une politique digne de ce nom.

Ne pas voir l’autre pour qu’il n’existe pas

Nous voilà donc, une fois de plus, devant l’expérience du miroir. C’est ce que nous voyons de l’autre qui nous fait fonder notre identité, nous construisons notre identité à partir du regard que nous avons sur celle de l’autre. On ne peut pas échapper au miroir qui nous construit, et même, pour parler de politique, qui nous institue. C’est pourquoi, si le gouvernement cherche à détruire l’autre afin qu’il n’existe pas, c’est notre pays lui-même qu’il détruit de cette manière, à plus ou moins longue échéance. En détruisant le bidonville, le ministre de l’Intérieur (je n’ose même pas écrire son nom) détruit l’image de la France pour les autres pays, et même pour ses citoyennes et ses citoyens. Le problème, c’est que la destruction du bidonville ne peut pas suffire à faire en sorte qu’il n’existe pas : la pauvreté dont l’image est ainsi détruite revient toujours, sous d’autres formes. Ce n’est pas son symptôme qu’il faut détruire, c’est à la pauvreté elle-même qu’il faut mettre fin : c’est, en tout cas, ce que savent tous ceux qui réfléchissent un peu plus loin que le bout de leur supposé empire. Mais, comme il n’a pas encore pu détruire les chômeurs, les « gilets jaunes » et ses adversaires politiques à coup de bulldozer, le ministre de l’Intérieur va chercher les pauvres de Mayotte car il croit qu’il peut les détruire plus facilement. Nous sommes ainsi, donc, revenus à la « guerre aux pauvres » du capitalisme naissant.

Où sont les urgences du moment ?

Car, enfin, réfléchissons un peu aux urgences de notre pays. Sans même parler, mais la Cour des comptes le fera peut-être, du coût d’une telle opération, ce qui est important, pour un gouvernement pleinement responsable, c’est de s’attaquer aux véritables problèmes qui menacent la cohésion sociale de notre pays : l’urbanisme complètement irrationnel, les menaces, réelles, elles, de l’inflation, de l’absence de politique dans le domaine de l’agriculture et de l’industrie, les urgences en matière de médecine, de santé publique et d’hôpitaux. Depuis sa réélection, plus encore qu’avant, le président E. Macron a montré une réelle incapacité à gouverner : comme il ne peut plus se faire réélire, il ne fait rien. La parole de la France n’est même plus écoutée dans le domaine de la politique internationale. C’est dans ces domaines-là que se situent les urgences qui s’imposent à notre gouvernement, pas dans les bidonvilles des migrants de Mayotte.

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