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Billet de blog 27 juin 2024

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L'URGENCE

Comment ne pas parler des élections législatives ? Dimanche, nous allons commencer à choisir qui seront nos députés, avant de clore ce choix une semaine plus tard, le 7 juillet.

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Les élections

Le processus électoral commence dimanche prochain, car c’est le moment du premier tour. J’ai envie de dire : « tant mieux », car on ne parle plus que de cela, dans notre pays, le monde n’existe plus, les autres pays n’existent plus, les mouvements sociaux n’existent plus. Tout est occulté, dissimulé, par les élections législatives, qui mobilisent toute notre attention, toutes nos réflexions, tous nos échanges. C’est en cela qu’il faut parler d’urgence électorale : le propre de l’urgence est à la fois de désigner un rapport au temps - en l’occurrence le temps qui nous sépare des deux jours où nous allons voter - et de manifester un temps exceptionnel, un moment qui échappe à l’ordinaire du temps. Pour cette raison, il faut mettre fin à l’urgence, pour revenir au temps ordinaire de la vie politique, au temps courant de la société, de ses mots, de ses questionnements, de ses échanges. L’urgence n’est jamais un moment démocratique, car elle se situe, en quelque sorte, en-dehors du temps.

Mais l’urgence est aussi un impératif d’une autre sorte : nous ne pouvons pas mettre la tête sous l’oreiller, tourner nos yeux vers le côté : nous ne pouvons pas « ne pas voir ». Dans l’urgence, nous devons choisir. C’est pourquoi je voudrais, aujourd’hui, en profiter pour dire ce que je pense de ces élections - à la fois pour moi-même et pour notre pays. Ce qui a fait de ces élections un moment d’urgence, c’est la destruction de la vie politique et démocratique de notre pays par les sept années de présidence Macron, le clou de cette perte de la démocratie étant la dissolution de l’Assemblée, imprévisible et irrationnelle, au point que, même dans son parti, beaucoup de gens ne l’ont toujours pas comprise. Par conséquent, l’autre urgence devant cette disparition de l’ordinaire démocratique, est l’impératif de faire en sorte qu’un parti totalitaire, le R.N. ou l’un de ses complices, ne puisse accéder au pouvoir

Rassemblement national et régression

Pour moi-même, c’est simple : si le Rassemblement national venait à disposer d’une majorité à l’Assemblée, je ne serais plus libre, je ne pourrais plus être un citoyen, car mes opinions, mes pensées, mes mots, seraient confinés, comme en prison. Ce n’est, d’ailleurs, pas un hasard si, au moment du Covid, il fut question de nous « confiner » : ce mot, qui désigne le fait d’être limité dans ses mouvements et dans ses déplacements, de se voir privé de sa liberté, fut employé au moment d’une pandémie érigée comme une menace légitimant la perte de nos droits ou leur restriction. Si le R.N. gagnait, je ne serais plus libre, je ne pourrais plus dire les mots de la semaine dans mon blog de Mediapart. Je ne serais plus libre, car mes jugements me seraient imposés par le pouvoir. Je ne serais même plus libre de m’opposer à lui, car je ne pourrais plus choisir les points sur lesquels je m’exprimerais, car le pouvoir m’imposerait une façon de penser et les questions que je serais amené à poser. Enfin, je ne serais plus libre, car les personnes ne seraient plus libres : nous serions contraints de vivre sous le régime de la menace. Ce n’est pas un hasard si les discours tenus au sujet de ces élections sont dominés par la menace du R.N. Le parti de Le Pen et Bardella a commencé à régner sur nos esprits en monopolisant notre attention et notre réflexion. En effet, nous ne pensons plus à ces élections en termes de choix, mais seulement sous la menace. Il faut en finir avec la menace et retrouver notre liberté dans toute sa force et toute sa dynamique. 

Pour notre pays, un succès du R.N. serait le signe d’une régression économique et politique qu’il serait difficile de dépasser après son inéluctable échec quelques années après. D’ailleurs, les pays qui sont nos voisins suivent ces élections avec inquiétude. La France connaîtrait l’affaiblissement de l’État, remplacé par un État qui n’en serait plus un, réduit qu’il serait à des actions de contrôle, de surveillance et de répression. Nous ne serions plus des citoyens libres, à peine serions-nous, d’ailleurs, des citoyens. Nous serions comme des fantômes sans vie et sans mouvements dans un pays endormi, anesthésié, sans projet et sans initiatives. Si la France était gouvernée par le Rassemblement national, elle redeviendrait un pays semblable à celui de la France de Vichy et de Pétain. Nous vivrions dans un pays occupé et nous serions contraints de résister - ce qui est, en quelque sorte, une limitation de plus. C’est notre liberté qui serait menacée - comme elle l’est déjà avant même que ces élections n’aient eu lieu - car l’État fantôme dirigé par le R.N. nous imposerait nos mots et nos idées en les occupant. C’est bien de la France de Vichy qu’il s’agirait car nous serions obligés de vivre sous une nouvelle Occupation. La régression serait économique, car le R.N. n’a pas de projet économique véritable de croissance, d’emploi et de développement : sa seule conception de l’économie est une obsession : celle du profit (en cela, nous ne serions, somme toute, pas très loin de l’économie macronienne). La régression serait politique : nos droits et nos libertés seraient menacés, car la seule conception du politique est aussi une obsession : celle de la restriction des libertés et du retour de « l’ordre moral ». Enfin, la régression serait culturelle : les acteurs de la culture seraient menacés dans leurs libertés, et, avant tout, dans leurs moyens.

Le Nouveau Front populaire

Mais ne nous trompons pas pour autant. La seule alternative véritable à la menace du R.N. est portée par le Nouveau Front populaire. En effet, si le R.N. en est venu à occuper une telle place dans l’espace public, c’est bien parce que sept ans de pouvoir macronien l’ont laissé proliférer, croître et se multiplier. Le président a laissé grandir les droites radicales - voire les a encouragées - car sa seule peur était la montée de la gauche. Comme dans tous les autres domaines de la vie sociale, le macronisme ne repose que sur la peur : pour tenter d’apaiser sa propre peur (mais on n’apaise pas une peur car la peur n’est qu’un fantasme, il ne s’agit que d’imaginaire), il a installé dans notre pays une véritable politique de la peur dans tous les domaines : dans la santé, avec la peur du Covid, dans le domaine de la sécurité, en en suscitant la peur de la violence et en encourageant la peur de la police, dans le domaine de la culture et de l’éducation par la multiplication des mesures fondées sur le contrôle et la sanction. La seule manière rationnelle de se libérer du macronisme est donc le choix du Nouveau Front populaire, car il est seul à permettre à notre pays de retrouver le chemin de la démocratie. Il est faux de dire et de faire croire qu’il faut « rejeter les extrêmes ». C’était le discours tenu par l’Amérique de l’après-guerre, dans les années cinquante, pour faire croire que le communisme était une menace. Aujourd’hui, l’anticommunisme a été remplacé par le discours sur une prétendue menace des Insoumis, mais ces deux discours sont autant l’un que l’autre menés par une obsession : détruire le débat, réduire le pays au silence. Il est faux de mettre sur le même plan le R.N. et le Nouveau Front populaire, comme tente de le faire le discours macronien, car il ne s’agit pas de deux « extrêmes » semblables comme il le prétend, cherchant ainsi à susciter une peur imaginaire de la gauche enfin réunie.

Les mots et les voix de la liberté

L’urgence de dimanche est de retrouver la liberté, une liberté brisée par sept ans de présidence macronienne et aujourd’hui par la tentative d’emprisonner notre vote en nous imposant un choix. Le régime macronien aura eu, peut-être, cet apport pour nous : il nous aura fait retrouver le chemin des mobilisations populaires. En nous opposant à lui, nous avons retrouvé la voix de la protestation. La langue de la liberté, toujours, est celle de la politique, et c’est elle que nous retrouverons dimanche. Pour rester libres, nous retrouverons, le 30 juin et le 7 juillet, l’autre voix par laquelle nous nous exprimons : les voix de la liberté, celles de nos votes.

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